Et si on interdisait le voile islamique des petites filles ?
Il est faux de croire que les pouvoirs publics ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour interdire des comportements provoqués par une pratique politico-religieuse.
- Publié le 23-08-2016 à 10h49
- Mis à jour le 23-08-2016 à 11h36
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/URFTY2IXDZAXBOGR3MFRXUKMHQ.jpg)
Une opinion de Stéphane Rixhon, avocat au Barreau de Bruxelles, assistant en droit administratif à l'Université de Liège.
En pleine polémique sur le burkini, jeudi passé, la bourgmestre de Molenbeek a braqué les projecteurs sur un sujet bien plus important pour la démocratie, le voile des enfants, affirmant constater un nouveau phénomène : le port du voile par des fillettes parfois âgées de 7-8 ans. De mon côté, il m’arrive souvent de croiser dans les rues de Bruxelles de jeunes enfants voilées, parfois de moins de 4 ans… Françoise Schepmans a indiqué que, puisque ces faits avaient lieu sur la voie publique, les pouvoirs publics ne pouvaient agir et qu’il fallait laisser la main à la "communauté" afin de limiter, "par le dialogue", le phénomène. Cette proposition mérite un examen plus approfondi.
Le contexte
Analysons d’abord le port du voile par certaines musulmanes lorsqu’elles sortent dans la rue. Les motifs du port de ce couvre-chef sont variés (social, religieux, politique…) mais restent liés à une certaine idée de "pudeur" et, par là même, à la sexualité. Son port n’est pas réglementé dans l’espace public et aucune démocratie ne pourrait l’interdire pour une adulte volontaire. On notera cependant que, dans l’arrêt Dhalab, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estimait que "le port du foulard est difficilement conciliable avec le principe de l’égalité de traitement des sexes".
Par contre, le port de la burqa (voile couvrant l’intégralité du corps, y compris le visage) est interdit dans les lieux accessibles au public en vertu d’une loi de 2011. Le législateur justifie cette atteinte à la liberté de religion en raison du principe d’égalité entre hommes et femmes et en raison du "vivre ensemble" qui exige qu’un individu ne masque pas son visage et, par là, son humanité, dans la Cité.
L’enfant
Revenons maintenant au port du "simple" voile islamique pour les petites filles. La question est différente. Ici, le visage n’est pas masqué mais la personne voilée est une enfant, dont l’Etat doit faire respecter "l’intérêt supérieur", comme le veut notamment la Convention de l’Onu relative aux droits de l’enfant. Dès lors, le législateur fédéral peut voter une loi d’interdiction du port du voile par des enfants et justifier cette loi au nom "des risques pour l’épanouissement physique, mental, moral et social des enfants", un peu à l’image du motif d’interdiction des concours de mini-miss. La liberté de l’enfant à ne pas croire ou à ne pas pratiquer de rites religieux peut être aussi invoquée. Enfin, le "vivre ensemble" peut justifier que des enfants ne participent pas à des manifestations de prosélytisme.
On peut imaginer qu’en toute logique, une telle interdiction du voile dans l’espace public cesse à l’âge de la majorité sexuelle de la jeune fille.
Les mesures possibles
Les communes, elles aussi, ont leur responsabilité. Pour rappel, les Conseils communaux, au contraire du législateur, ne peuvent réglementer le "vivre ensemble" ou limiter la liberté de religion. Ils peuvent cependant interdire des pratiques dangereuses ou nuisibles ("incivilités") au nom de la tranquillité, de la sécurité, de la salubrité publiques - d’où la prolifération des "sanctions administratives communales". Un Conseil communal peut donc considérer comme une incivilité de voiler une enfant et un règlement communal pourrait sanctionner les parents ou d’autres personnes responsables, comme les précepteurs d’écoles coraniques, qui affublent les fillettes de ce type de "vêtement". Non seulement parce qu’il est "difficilement conciliable avec le principe de l’égalité de traitement des sexes" mais aussi parce qu’il est porteur d’une connotation sexuelle et d’exclusion et, à ce titre, dangereux pour "l’épanouissement physique, mental, moral et social" des enfants.
L’affirmation des principes
Cette solution n’est pas infaillible - comme aucun problème juridique ! - mais le risque doit être pris par les communes touchées par le phénomène si le législateur n’agit pas. Car il est raisonnable de penser qu’au cours des prochains mois, la société européenne devra limiter les manifestations les plus fortes de l’islam politique sur la voie publique. Et il est donc faux de croire que les pouvoirs publics ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour interdire des comportements provoqués par une pratique politico-religieuse.
La liberté de pratiquer sa religion n’est pas absolue et doit être mise en balance avec d’autres principes fondamentaux, comme le respect de l’égalité entre les hommes et les femmes et la préservation des droits de l’enfant.