Pourquoi asphyxier le Wiertz et le Meunier ?
Les musées Wiertz et Meunier sont très mal gérés. Les ministres refusent de faire évoluer les horaires d’ouverture malgré ses effets effrayants sur la fréquentation. Antoine Wiertz et Constantin Meunier sont pourtant des figures majeures du patrimoine culturel.
Publié le 10-10-2016 à 11h13 - Mis à jour le 10-10-2016 à 11h41
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Une opinion de Bernard Hennebert, coordinateur du site Consoloisirs.be, auteur du livre "Les musées aiment-ils le public?" (Editions Couleur Livres).
Les musées Wiertz et Meunier sont très mal gérés. Les ministres refusent de faire évoluer les horaires d’ouverture malgré ses effets effrayants sur la fréquentation. Antoine Wiertz et Constantin Meunier sont pourtant des figures majeures du patrimoine culturel.La location pour 1 euro symbolique par le Parlement européen d’une partie des bâtiments et du jardin du musée Antoine Wiertz (au 62, rue Vautier) ne changera sans doute rien concrètement pour les visiteurs puisque les collections continueront d’appartenir à notre Etat fédéral et risquent donc bien d’être toujours - aussi mal - gérées auprès du public.
Avec le musée Constantin Meunier, il constitue un cas à part dans la brochette des institutions fédérales composant les musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB), aux côtés du musée Magritte, du musée Fin de Siècle et du musée d’Art ancien.
Trois particularités les distinguent : tous deux sont situés à Ixelles, ils sont établis dans les maisons où vécurent les deux peintres sculpteurs qu’ils célèbrent et ils pratiquent l’entrée gratuite quotidienne.
Deux fautes de gestion tétanisent la fréquentation de ces musées : les horaires déplorables et une absence de promotion incompréhensible.
Interpellée par la sénatrice Zakia Khattabi en décembre 2010, la ministre fédérale Sabine Laruelle affirma aux parlementaires que le public n’avait "jamais massivement fréquenté" ces deux musées. C’est réécrire l’histoire !
On relève qu’en 1927 (près de soixante ans après la mort de l’artiste) le Wiertz fut visité 46 632 fois. Actuellement, il y a environ 150 fois moins de public (selon "L’Avenir" : six visiteurs par semaine).
Les résultats pour le musée Meunier ne sont sans doute guère plus réjouissants. Il y a un peu moins de dix ans, j’ai visité cette institution (59, rue de la Cambre), un vendredi de fin d’hiver, une heure avant sa fermeture. Il faut sonner. Un premier gardien ouvre la porte et me précède, allumant au fur et à mesure l’éclairage des différentes pièces. Son collègue les éteint après mon passage. Ils m’apprendront que je suis le premier et le seul visiteur de cette journée.
Horaires calamiteux
Autrefois, les deux musées étaient accessibles gratuitement tous les jours sauf le lundi. Puis, le manque de personnel transforma l’offre du samedi et du dimanche : chaque musée ouvrit en alternance un week-end sur deux.
Depuis que Michel Draguet a pris la direction des MRBAB, on est revenu à une ouverture tous les week-ends, mais de manière quasi dissuasive : il faut prendre rendez-vous pour les visites. Puis, petit à petit, cette offre s’est limitée aux groupes.
Aujourd’hui, l’entrée continue de manière plutôt pharisienne d’être gratuite en week-end car lors du contact nécessaire pour la réservation, on vous apprend qu’il est plus que souhaitable de souscrire à une visite guidée (80 euros pour vingt participants au maximum).
Les horaires rendent inaccessibles ces musées à plus de la moitié de la population (les personnes qui travaillent et étudient) : pas de visite individuelle en week-end donc; ouverts de 10 à 17 heures du mardi au vendredi mais fermés pendant le temps de midi; fermés enfin les jours de congé. Il nous a même été dit sans ironie : "Si on veut vraiment visiter, il suffit de prendre une demi-journée de congé."
Rien ne change pour le gardiennage
Depuis près de dix ans, Michel Draguet et les ministres successifs refusent de faire évoluer cet horaire malgré ses effets effrayants en termes de fréquentation. Puisque le gardiennage coûte le double en week-end, il leur a été proposé en vain d’ouvrir au public les deux musées chaque week-end et de reporter les visites guidées payantes pour groupes en semaine, ce qui permet une opération blanche financièrement parlant.
En décembre 2010, la ministre Laruelle se positionna par rapport à cette proposition en affirmant qu’il convenait de trouver un équilibre et qu’elle transmettait cette proposition pour examen à l’administration de la Politique scientifique. Depuis, plus rien n’a bougé sinon que l’une des plus belles peintures de Constantin Meunier (le très grand triptyque de la mine) a été transférée de son musée au Fin de Siècle, et aucune autre peinture des riches réserves n’a été accrochée en remplacement.
L’argument entendu ici et là selon lequel il y aurait pénurie de gardiens pendant le week-end est-il sérieux ? Quand il a fallu développer le gardiennage au Magritte, il n’a pas fallu patienter dix ans (1).
Promotion inexistante
En 2008, pour l’exposition "Meunier à Séville : l’ouverture andalouse" dans les locaux de la rue de la Régence, Michel Draguet exulte dans le catalogue : "Meunier reprend place aux MRRAB." Mais, en même temps, aucune information dans ce catalogue et aucun avis à la sortie de l’exposition n’indiquent aux visiteurs conquis l’existence et la localisation du musée Meunier. Une belle occasion manquée de faire sans aucun frais un coup de promo auprès d’une cible idéale.
Rebelotte pour, dans le même lieu, la grande rétrospective Meunier, fin 2014. Indiquer aux visiteurs l’existence du musée, son adresse et ses heures d’ouverture aurait-il été indécent ?
Il en est quasi de même, également à deux reprises, pour le Wiertz.
Fin 2009, après une fermeture durant deux ans pour travaux lourds, aucune conférence de presse n’est organisée pour faire découvrir son imposante verrière magistralement réhabilitée.
Le 18 juin 2015, on aurait dû célébrer les 150 ans de la mort de l’artiste. Rien n’est initié par les MRBAB. Pour stigmatiser cet "oubli" s’organisa alors une visite-manifestation d’habitants de Dinant, la ville où il naquit.
Dans le hall d’entrée des MRBAB, des petits cartons qui présentent chacune de ses institutions sont mis à la disposition du public. Apparemment, tous ont été régulièrement réimprimés, sauf ceux concernant les deux petits musées. Ceux-ci n’ont pas non plus la chance d’avoir droit à de grandes affiches, à l’inverse des autres plus grands musées.
Mais peut-être que le Wiertz et le Meunier sont des fardeaux. Si le public est absent, ce ne serait pas parce que ce patrimoine est obsolète ? Il n’en est rien. Le premier fera la couverture d’un numéro de "Géo". Cette revue le considérera comme l’un des musées "culte" de la capitale de l’Europe.
Quant au second, il sera ainsi présenté par Jean Cornil, alors sénateur, dans une lettre adressée le 23 novembre 2008 à la ministre Laruelle, en vue de revendiquer - en vain jusqu’à présent - un changement de ses heures d’ouverture au public : " […] Constantin Meunier est une des figures majeures de la scène culturelle belge et un artiste internationalement reconnu. Ses œuvres sur la vie ouvrière du XIXe siècle sont un témoignage extraordinaire de notre histoire sociale ."
(1) Le musée Meunier sera accessible à tous le jeudi 8 décembre de 17 à 20 heures dans le cadre des Nocturnes des musées (entrée gratuite mais réservation obligatoire).