Le pilotage par les résultats : la face cachée et inquiétante du Pacte d'excellence
- Publié le 06-03-2017 à 11h39
- Mis à jour le 06-03-2017 à 11h43
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Une opinion de Barbara Trachte, cheffe de groupe Ecolo au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Alors que les foudres se sont abattues sur le Pacte pour un enseignement d'excellence, et que certains négociateurs ont, semble-t-il, reçu le mandat d'adapter notamment les propositions relatives au tronc commun, un aspect préoccupant de ces réformes semble toutefois échapper aux radars : celui du pilotage par les résultats.
Après une phase consultative, le Groupe Central, organe chargé de faire les propositions qui constitueront le Pacte d'Excellence, doit à présent amender son troisième avis. D'autres l'ont constaté avant nous, ce troisième avis constitue avant tout un compromis (1). Ecolo soutient une série de mesures, comme le renforcement de la qualité de l'accueil en maternelles, dont l'école a cruellement besoin et qui amélioreront durablement et pour tous notre enseignement. Mais ces mesures ne doivent pas occulter d'autres aspects du Pacte, dont les effets pourraient être totalement contre-productifs, pour ne pas dire dangereux.
Ainsi, le deuxième axe stratégique de cet avis confirme l'option anticipée il y a un an déjà par le « décret fourre-tout » de la Ministre Milquet ; celle de piloter désormais les écoles « par les résultats ». Ecolo s'était déjà opposé à cette technique de gestion de projet qui met l'accent sur les résultats à atteindre plutôt que sur les moyens disponibles ou la pédagogie mise en œuvre. Il est frappant de constater que l'avis évoque le leadership, l'efficacité ou l'efficience ; un vocabulaire managérial qui correspond davantage au monde de l'entreprise qu'à celui de l'école. Et qui font peser bien des risques sur notre enseignement. Nous en pointerons trois.
Le premier risque lié au « pilotage par les résultats » ? Une compétition malsaine et accrue entre les établissements. Les auteurs de l'avis nous vendent « du progrès ». À les croire, les acteurs de l'école seront plus autonomes et libres de décider de leurs méthodes pour atteindre des objectifs généraux. On combattrait ainsi l'homogénéisation des pratiques en respectant les spécificités de chaque établissement. On offrirait aux parents et aux élèves le choix entre des établissements qui correspondent à leurs besoins et leurs envies.
A nos yeux aussi, la liberté des établissements est essentielle. Mais si elle n'est pas assortie de réels moyens, cette liberté ne sera qu'illusoire. Axer le pilotage sur des résultats « tangibles », tout en restant peu disert sur les moyens, accentuera les effets pervers du marché scolaire, au lieu de les résoudre. Quel établissement oserait une politique originale, innovante et émancipatrice, sans en avoir les moyens et au risque de sanctions si les objectifs ne sont pas atteints ? Nous pourrions parier que les établissements les plus fragiles se limiteront au strict minimum : des plans de pilotage sans ambition car sans risque. Alors que pendant ce temps, d'autres établissements mettront en place une sélection plus stricte des élèves pour s'assurer d'atteindre des objectifs racoleurs.
En effet, mettre tout en œuvre pour favoriser l'émancipation d'un enfant, quelle que soit son origine sociale, ne comporte pas les mêmes risques et enjeux que de privilégier l'inscription d'enfants favorisés pour atteindre un taux maximal de réussite au Certificat du Tronc Commun.
Comment, dans ces conditions, assurer l'égalité entre les établissements et, par voie de conséquence, entre les enfants ?
Deuxième danger: la formule de pilotage proposée accentuera aussi la pression sur les acteurs professionnels de l'enseignement, tout en dégageant la Fédération Wallonie Bruxelles elle-même de toute responsabilité.
Ainsi les « DCO », les délégués au contrat d'objectifs, nouveaux « middle managers » de l'enseignement serviront de fusibles. Chacun sera responsable d'une trentaine d'établissements (soit à peine huit journées de travail par établissement et par année civile), et se trouvera isolé entre les acteurs qu'il contrôle et l'autorité centrale qui le chapeaute.
Que dire également de la charge symbolique de cette réforme où l'établissement « récalcitrant » sera soumis à un « audit » ? Où direction et enseignants seront sanctionnés en cas de non atteinte des objectifs ? Et que dire des évaluations plus fréquentes et chronophages qui éloigneront les acteurs de leur véritable mission : enseigner à nos enfants ?
Et que dire des enseignants ? Chacun sait que l'amélioration globale d'un système scolaire et l'émancipation de chaque enfant ne pourra se faire qu'avec leur concours. Les outils dont on pourra les munir seront le meilleur levier de changement. Or, l'avis du Groupe central les considère comme de simples exécutants. Il préconise de les tenir éloignés de l'élaboration du contrat qui les liera à leur employeur. Tout juste auront-ils droit à une présentation orale des objectifs chiffrés. Mais ils seront pourtant tenus pour responsables des résultats. Ils seront évalués, sanctionnés même, en cas d'échec. Sans que les outils indispensables à leur réussite ne soient mis à leur disposition.
Cette section du pacte consiste donc à mettre la pression sur les acteurs, en clamant à outrance que la responsabilisation collective est la clé de voûte du système, alors qu'au même moment, l'autorité centrale, qui n'est autre que la Fédération Wallonie-Bruxelles, est complètement dégagée de toute responsabilité. À aucun moment, sa responsabilité dans la non-atteinte des résultats ne peut être pointée. Pourtant, c'est elle qui fixe les règles et, surtout, c'est elle qui distribue les moyens.
Enfin, dernier risque, le plus important du « pilotage par les résultats », c'est le fait de considérer les enfants comme une variable prévisible parmi d'autres, comme une partie du contrat dont on peut anticiper à l'avance le comportement. Pourquoi sinon parler de « contrat d'objectifs chiffrés » alors qu'on sait que l'enfant, qui est le cœur de l'école, est un individu complexe et justement imprévisible ? Comment respecter son individualité et son histoire en le soumettant au « business plan » de l'établissement ? Comment ne pas l'écraser sous les nécessaires résultats que son établissement devra atteindre s'il ne veut pas être soumis à la tutelle d'un « manager de crise » ?
Cet aspect est d'autant plus inquiétant qu'il est contradictoire avec le décret « Missions » qui, pour rappel, engage tous les acteurs de l'éducation à faire de l'émancipation des enfants l'objectif principal de l'enseignement. Comment réduire l'émancipation de nos enfants à des indicateurs chiffrés ? Il est aussi en contradiction avec la volonté du pacte, via des outils comme le Tronc Commun ou le renforcement de l'encadrement en Maternelle, de donner à tous les élèves les mêmes chances d'aller plus loin et de solidifier ensemble leur formation. Comment donner à tous les enfants un enseignement commun, diversifié et de qualité dans ces conditions ?
Pour Ecolo, les objectifs que les établissements se fixent devraient être des projets ambitieux et stimulants. Une feuille de route que tous les acteurs comprennent et ont les moyens de suivre. Hélas, tels que proposés par le Groupe Central, ces objectifs et la façon de les envisager ne feront que paralyser les établissements, les enseignants et les enfants, surtout les plus fragiles, tout en dédouanant la Fédération Wallonie-Bruxelles de ses responsabilités.
Il donc est urgent d'ouvrir le débat sur ce sujet qui fâche. Si on ne le fait pas, nous risquons de mettre à néant les réelles avancées que contient par ailleurs le projet de Pacte pour un Enseignement d'Excellence et de passer à côté de l'opportunité qui nous est offerte d'améliorer réellement l'école et l'avenir de nos enfants.
(1) Bernard Delvaux, « Projet de Pacte: réel levier pour nous sortir de l’enlisement? », La libre, 4 décembre 2016
(Photo : à gauche la ministre de l'Enseignement Marie-Martine Schyns ; à droite Barbara Trachte)