Pour un journalisme indépendant contre les "fake news" (OPINION)
Publié le 06-04-2017 à 12h06 - Mis à jour le 06-04-2017 à 12h08
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/HCJIO5DRKVGB7HHWV2N76SD5VE.jpg)
Une opinion de Carlo Perrone, président de l'ENPA (Association Européenne des Editeurs de Journaux).
L'Europe devrait donner les moyens aux éditeurs de garantir une presse indépendante et durable.
Les événements qui ont marqué l’année 2016, que ce soit en Syrie, au Yémen, l’élection de Donald Trump, le Brexit, les attentats de Bruxelles, le séisme en Italie, pour n’en citer que quelques-uns, nous montrent que plus que jamais, nous avons besoin d’un journalisme professionnel et de qualité, pour nous permettre de nous repérer dans la jungle d’informations.
Le concept de "fake news" est arrivé sur le devant de la scène. La société civile et les personnalités politiques s’en préoccupent de plus en plus. Ont-elles influencé les élections américaines ? Sont-elles des informations fausses répandues de manière intentionnelle ou bien le fruit d’erreurs et de partialité ? Considérer comme "fake news" tout ce qui suscite notre désaccord ne serait-il pas trop facile ? Nous devons être conscients du fait qu’à l’ère numérique, le contenu se diffuse en quelques secondes, et chacun peut dire ce qu’il souhaite sur Internet sans avoir à l’étayer par des preuves ou des sources.
Eviter, ou au moins limiter les "fake news" est possible : le journalisme professionnel est l’antithèse des "fake news". La responsabilité et la vérification des faits ont toujours fait partie du journalisme professionnel et sont une partie essentielle du travail éditorial : enquêter, interroger, rechercher, étudier, analyser, et vérifier encore une fois.
Mais le contenu journalistique de qualité a un prix, et la diversité des médias qui profite à toutes les audiences, de l’échelon local à la scène globale a aussi un prix. Les journalistes professionnels doivent être payés, formés, dotés de ressources, et protégés légalement par leurs éditeurs.
La révolution numérique a transformé la création, la distribution et la consommation d’informations. La salle de rédaction est aujourd’hui un centre de haute technologie, regroupant des techniciens et des informaticiens, qui travaillent avec les équipes de rédaction pour produire du contenu en continu, sur tous les formats possibles, et tous les supports. Grâce à Internet, le contenu des éditeurs est grandement prisé, et nous avons plus de lecteurs que jamais.
Mais deux problèmes principaux se posent :
1) La protection de la propriété intellectuelle en ligne n’est pas garantie. D’autres acteurs sur Internet peuvent copier les articles, photos ou vidéos, les diffuser, les commercialiser ou les vendre sans rien payer à l’éditeur. Cela concerne à la fois les courts extraits et les articles entiers.
2) Il y a un écart massif entre la popularité du contenu d’un journal et la capacité d’une entreprise de presse à monétiser, donc à être payée pour la création de ce contenu, et cet écart se creuse de plus en plus. Dans le même temps, les revenus tirés de la publicité sur papier sont en baisse, tandis que Google et Facebook dominent le marché, soit 72 % des revenus publicitaires numériques dans le monde (Chine exclue).
Il existe une solution. La Commission européenne a proposé un droit voisin pour les éditeurs de presse dans le cadre de sa réforme sur le droit d’auteur (les secteurs de la musique, du film et de l’audiovisuel bénéficient déjà de ce droit). Cette solution qui fait partie de cette proposition sur le droit d’auteur, devrait être adoptée d’une manière ou d’une autre avant la fin de 2017.
La protection de la propriété intellectuelle donnera aux éditeurs la capacité juridique de négocier des licences et des partenariats pour lutter contre les violations dues à l’exploitation systématique de leur contenu. Les éditeurs pourront alors nouer avec les agrégateurs des relations qui seront positives pour chaque partie : notre ambition est de trouver un moyen de rendre l’écosystème numérique bénéfique pour tous.
Rien, dans la proposition, ne va changer la manière dont les lecteurs sont encouragés par les éditeurs à partager des articles et des liens avec leurs proches, quoi qu’en disent les opposants à cette proposition.
Face à ces enjeux majeurs pour la presse, pour le pluralisme des médias et le journalisme professionnel, ce droit voisin pour les éditeurs de presse sera une avancée déterminante pour garantir une presse indépendante et durable.
Le Parlement européen et le Conseil de l’Union Européenne ont la grande responsabilité d’assurer des conditions appropriées pour qu’une presse libre et indépendante puisse exister et le droit des éditeurs de presse en fait partie.