Marc De Vos: "Il faut arrêter de dénoncer l’inégalité"
Publié le 04-02-2018 à 15h25 - Mis à jour le 04-06-2018 à 14h16
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Marc De Vos est né à Gand en 1970. Il est licencié et docteur en droit (UGent), licencié en droit social (ULB) et Master of Laws (Harvard University).
Dans son dernier ouvrage , "Les vertus de l'inégalité", il défend l’idée que l’inégalité est une chance pour le monde moderne, aux antipodes des idées défendues par Thomas Piketty ou le Prix Nobel Joseph Stiglitz.
Car l’inégalité n’est pas forcément négative, "contrairement à ce que laisse penser le discours ambiant exclusivement obsédé par les inégalités économiques", dit-il. "On nous a manipulés pendant trop longtemps." Une bonne inégalité est provoquée par l’effort, le mérite ou encore l’ouverture à d’autres possibilités. Telle est la thèse centrale argumentée dans son livre.
"On voit la dominance de nouveaux entrepreneurs"
"Les vertus de l’inégalité" : voilà un titre choc, à l’heure où le discours ambiant vise plutôt à la combattre, ce que vous dénoncez en parlant même d’obsession. Pourquoi ?
Je ne suis pas d’accord avec le négativisme qui entoure les statistiques de l’inégalité. Cet a priori me surprend même. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, notre modèle de société a été bâti sur deux piliers. D’une part, la création de prospérité dans un contexte d’économie à base de propriété individuelle (ce qui se traduit par la constitution de capital et le fonctionnement d’un marché régulé par l’Etat). Et d’autre part, un Etat-providence créé avec les retours de cette prospérité et qui offre des services publics aux gens.
Quand le marché fonctionne comme il doit fonctionner (loyal, avec concurrence), l’inégalité ne peut pas être négative : elle est juste le reflet de la prospérité. Autrement dit, il y a de l’enrichissement pour tout le monde, mais pour certains plus que pour d’autres. A côté de cette inégalité positive, il y a une inégalité négative. Je ne le nie pas. C’est celle qui repose sur de la fraude ou des abus.
Même raisonnement pour la politique sociale. Si elle est performante, on réussit à offrir une égalité des chances qui permet à chacun de se développer selon ses priorités. Ce qui en sort, c’est une diversité sociale : autrement dit, une bonne inégalité.
Il faut arrêter de dénoncer l’inégalité d’un bloc. Le problème aujourd’hui, quand on parle d’inégalité, c’est qu’on se braque sur les seules questions d’appauvrissement et le débat est tronqué car la bonne inégalité n’est jamais évoquée. On ne peut pas parler de la même façon d’un super-homme d’affaires et d’un oligarque véreux, si ? Or les statistiques ne font pas la distinction.
A ce propos, vous allez jusqu’à dire que les statistiques sont faussées. En quoi ?
"X % des gens possèdent X % de l’ensemble des revenus", "Tel PDG touche X fois ce que touche tel ouvrier" : ces affirmations sont réductionnistes pour plusieurs raisons. On compare des choses qui ne devraient pas l’être. D’abord, on oublie de dire qu’on prend les chiffres bruts, avant la taxation et la politique sociale qui redistribue les taxes. Ensuite, la famille est l’unité de mesure des statistiques. Quand on compare aujourd’hui avec les années ‘70, on oublie de prendre en compte le fait que la famille a fondamentalement changé. Familles monoparentales, personnes isolées, vieillissement de la population : tout cela influence bien sûr la distribution des revenus. L’inégalité économique est donc d’abord une inégalité sociologique et démographique. Le marché du travail a changé lui aussi, incluant les femmes et les travailleurs immigrés. L’inégalité constatée repose sur ces changements que je qualifierais dès lors plutôt de positifs car inclusifs. Dans la mesure où l’inégalité économique reflète une ouverture, un progrès social, elle n’est pas négative. Dès lors, il faut arrêter de se lamenter sur l’écart qui grandit entre les plus pauvres et les plus riches et s’intéresser à ce qui a le plus d’importance : l’ascenseur social. Y a-t-il oui ou non une mobilité de la base vers le haut ? Voilà qui est bien plus crucial que les différences de richesse.
La question du mérite revient un peu partout dans votre ouvrage. Pourquoi la récompense de l’effort est-elle aussi importante ?
Le visage de l’inégalité contemporaine n’est pas le capital financier mais le capital humain, le talent des personnes. Tout au sommet, on voit la dominance de nouveaux entrepreneurs. Ni d’héritiers de fortunes de familles mais bien de personnes qui créent leurs entreprises. Les capitalistes d’aujourd’hui sont de super-travailleurs. Jamais, dans l’histoire du capitalisme, le lien entre talent et effort dans l’économie n’a été aussi étroit. Si vous avez un certain nombre de caractéristiques personnelles, que vous êtes relativement doué, que vous êtes bien formé avec un diplôme suffisant, vous pouvez dire que vous n’avez jamais eu autant de chances de vous développer économiquement.
Par contre, si vous êtes mal formés, sans doute cela n’a-t-il jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui…
C’est vrai oui, exactement. Et dire que certains réussissent au mérite ne signifie évidemment pas que ceux qui ne réussissent pas en sont les seuls responsables. Et l’enseignement démocratisé a un rôle fondamental à jouer.
Précisément, vous parlez du mérite. Que pensez-vous des changements à l’étude dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence ?
Tout en sachant que beaucoup de choses sont déjà jouées bien avant l’arrivée à l’école (en fonction du contexte biologique et du contexte familial), je prône l’égalité des chances, pas celle des résultats. Comment combiner l’excellence et la démocratisation ? C’est le défi perpétuel… La démocratisation de l’enseignement telle qu’on l’a connue a surtout opéré dans un contexte où la société était sociologiquement très homogène. Le niveau moyen de l’éducation a bien évolué. Mais les conditions ont changé.
Je crois que le tronc commun est un danger, sauf si on réussit à introduire des différenciations à l’intérieur pour tenir compte de la grande diversité de développement entre les enfants. Il faut essayer de stimuler l’excellence pour tout le monde car si on ne le fait pas, si on nivelle par le bas, on verra que les parents les plus motivés investiront eux-mêmes dans l’enseignement de leurs enfants (personnellement ou en achetant des services), ce qui organisera de l’inégalité avec ceux que l’enseignement officiel ne permettra pas d’aller au bout de leurs possibilités.
Tout comme vous plébiscitez le lien entre mérite, efforts et fortune, vous réhabilitez aussi le droit des gens à profiter de la fortune héritée de famille. Parce que ce droit est critiqué ?
La paix dans laquelle nous vivons depuis plus de septante ans dans le monde occidental, pour la première fois depuis les Romains, a pour conséquence naturelle l’accumulation de capital. Je trouve que c’est aussi un progrès. La stabilité de la société dépend fortement de la continuité au-delà des générations au sein des familles. Quand des gens ont construit quelque chose, il est tout à fait normal que les enfants en profitent également. C’est logique. A la fois il faut se demander, pour ceux qui n’ont pas la chance d’être nés dans une famille "bien fournie", s’ils auront des chances similaires en termes de choix et de potentiel économique. D’où, à nouveau, le rôle de la politique sociale. En tout cas, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le succès des uns empêche celui des autres !
Une dernière question sur le principe : on parle ici de différences de niveau, de comparaisons. Mais basiquement, faut-il forcément occuper la meilleure place pour être heureux ?
C’est une remarque fondamentale. Je constate en effet, et je le regrette vivement, que tout le discours d’aujourd’hui autour de l’inégalité est un discours de l’argent. Uniquement financier. C’est pourquoi j’insiste pour souligner qu’il y a bien d’autres paramètres. La qualité de la vie, la sécurité, la qualité de l’environnement, le temps disponible. Ce sont d’autres critères pour juger de la qualité de la société et, lorsqu’on les rassemble, la conclusion qui s’impose est que l’inégalité non monétaire est souvent moindre que l’inégalité monétaire. Mieux : les
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Dans son dernier ouvrage, Marc De Vos défend l’idée que l’inégalité est une chance pour le monde moderne, aux antipodes des idées défendues par Thomas Piketty ou le Prix Nobel Joseph Stiglitz.
Car l’inégalité n’est pas forcément négative, "contrairement à ce que laisse penser le discours ambiant exclusivement obsédé par les inégalités économiques", dit-il. "On nous a manipulés pendant trop longtemps."
Une bonne inégalité est provoquée par l’effort, le mérite ou encore l’ouverture à d’autres possibilités. Telle est la thèse centrale argumentée dans son livre.