Il faut que les responsables politiques et culturels continuent à promouvoir les salles de cinéma (OPINION)

Les salles de cinéma ne sont pas dépassées. Elles représentent un rituel, un partage et donnent à rêver. Il faut que les responsables politiques et culturels continuent à les promouvoir.

Contribution externe

Une opinion de François de Bernard, philosophe et président du GERM, le groupe d'études et de recherches sur les mondialisations. 

Les salles de cinéma ne sont pas dépassées. Elles représentent un rituel, un partage et donnent à rêver. Il faut que les responsables politiques et culturels continuent à les promouvoir.

Il fut un temps guère éloigné où les salles de cinéma semblaient condamnées. Où on les crut dépassées, quels que soient les efforts de modernisation des exploitants. Où l’on imagina que le home cinéma, ce "cinéma à la maison", les ordinateurs, tablettes et smartphones pourraient effectivement remplacer les salles, grâce aux nouvelles et stimulantes sensations qu’elles procurent à leurs utilisateurs, adjointes à une simplicité d’utilisation et de mobilité sans équivalent.

Et pourtant ! Avec quelques années de recul, l’on ne peut que démentir cette plate illusion managériale. Car, même à horizon lointain, et en recourant tant aux ressources de la fiction qu’à celles de la "science", l’on ne parvient pas à discerner ce qui pourrait bien se substituer à l’expérience de la salle de cinéma. Et aucun argument quantitatif ne saurait dissuader de rendre sa juste place à cette exception, d’autant plus qu’elle se porte plutôt bien sur le plan économique. Car aussi ancienne soit la pratique culturelle (on visionne des films en salles depuis 122 ans), non seulement elle n’apparaît en rien démodée ou obsolète (27 nouveaux écrans s’ouvrent chaque jour en Chine), mais encore elle reste aussi fascinante et mystérieuse qu’inouïe : une expérimentation sans cesse transformée et prolongée par la qualité du son, de l’image et des fauteuils; les lieux de débat et de convivialité connexes ou encore, les partenariats avec les filières éducatives.

Les trois caractéristiques

Cependant, qu’est-ce qui fait donc que ce mystère ne peut se voir substitué par aucun autre, dira-t-on ? Je distinguerai trois caractéristiques qui en facilitent la saisie et compréhension.

La première, c’est que l’expérience de la salle de cinéma constitue un beau et fort rituel, dont la codification comme la séduction durable transgressent les frontières temporelles, nationales, linguistiques, politiques, sociales et culturelles.

La deuxième est que la salle de cinéma par elle-même offre un cadre incomparable à la rencontre bien sûr audiovisuelle, mais aussi émotionnelle, et pour ainsi dire organique avec un film, quel qu’il soit. Or, ce cadre a la singularité d’être un cadre de "partage exclusif".

La troisième caractéristique, c’est que la salle de cinéma offre au spectateur-acteur une aventure onirique. En effet, si elle donne à voir autrement, si toujours elle donne à penser, elle possède aussi une spécificité qui y est attachée de manière inaltérable. C’est qu’elle donne à rêver !

Le rituel, l’exclusivité, le partage, le rêve : voilà autant d’idiosyncrasies de la salle de cinéma qui justifient l’engagement des responsables politiques et éducatifs à la promouvoir et soutenir. Les enjeux à la clé sont en effet majeurs sur les plans de l’éducation et de la transmission en direction des jeunes générations : formation critique des esprits; développement de l’imaginaire et de la création; ouverture à l’Autre sous toutes ses figures, à la diversité et au dialogue interculturel !

L’obscurité qui va bien au cinéma

J’ajouterai à ces remarques une autre qui peut sembler d’évidence, mais autorise à se transporter encore ailleurs, dans une dimension différente. C’est que la salle de cinéma est noire - ou devrait toujours l’être, malgré les normes de sécurité contemporaines…

Or, cette noirceur de la salle, qui convient par osmose auxdits "films noirs" et met en valeur l’unicité de tous les autres, c’est un patrimoine commun à préserver en un monde où lumière aveuglante et bruit sans limite triomphent dans tous les espaces publics et privés.

En effet, ce n’est plus seulement au procédé cinématographique du "fondu au noir" que nous avons affaire sur l’écran. Mais, bien au-delà, et par différence d’avec les autres "supports" qui prolifèrent (les prothèses numériques de tout ordre), immergés au cœur de la salle qui nous accueille pour le meilleur des partages : c’est nous-mêmes qui devenons fondus au noir de la magie du cinéma.


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