André Flahaut et le racisme de salon
Publié le 09-02-2018 à 14h57 - Mis à jour le 10-02-2018 à 10h59
Une opinion d'Hugo Poliart, écrivain, chroniqueur et blogueur.
Vous n'aurez pas pu y échapper cette semaine : André Flahaut a ouvert un débat sur l'apprentissage de la langue arabe à l'école en Fédération Wallonie-Bruxelles. Précisons d'emblée qu'il n'y a rien à dire sur l'idée en tant que telle. L'option existe déjà dans de nombreux établissements mais n'a pas rencontré beaucoup de succès. Et l'apprentissage d'une langue du monde ne peut jamais être une mauvaise idée en soi. Par ailleurs, on ne pourrait vraiment se prononcer sur cette idée que si elle était clairement détaillée dans ses modalités pratiques (horaires, budget, système d'option, programme complet, étendue, etc.). Mais Monsieur Flahaut n'est pas idiot : à aucun moment, malgré les nombreuses interviews et débats auxquels il a été invité, il n'a pu donner la moindre précision à ce sujet. Il prétend juste vouloir "promouvoir" cette option. On peut dire que c'est réussi, sa communication aura été au moins utile pour cela. Pour le reste, on parle du vide total. Et le vide, ça se remplit.
Les médias vont donc résumer la chose à leur manière, afin qu'elle soit compréhensible pour internautes et téléspectateurs et, surtout, qu'elle puisse faire "débat". On va donc reformuler comme suit : "Cours d'arabe à l'école : pour ou contre ?" ; "Enseigner l'arabe pour améliorer le vivre ensemble" (sic) ; "Apprendre l'arabe à l'école serait-il une barrière contre les préjugés ?" (re-sic) ; "Faut-il ajouter l'arabe aux langues enseignées dans les écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles ?" ; ou encore "Le pavé a été lancé par André Flahaut (PS). Il a fait rugir la twitosphère. Donner des cours d'arabe à nos enfants?" (sic, sic).
La suite, on la connaît. Des milliers de commentaires sur les réseaux sociaux, pour la plupart négatifs, allant de "on a déjà du mal à apprendre le français et le néerlandais" aux pires propos racistes ou fantasmes d'invasion culturelle du monde arabe dans notre petit pays.
Il n'aurait pas pu en être autrement. Comme le dit Moustique, André Flahaut a jeté un pavé dans la mare. Et quand on jette un pavé dans la mare, ça éclabousse. Face à la première vague de réactions, le ministre a immédiatement sorti une carte blanche, intitulée "Enseignement de la langue arabe : ouvrir un débat constructif est possible", dans laquelle il écrit notamment que "les agitateurs et les démagogues ont tiré occasion de ma proposition pour exciter les craintes à grands coups de caricatures et de remarques à l'emporte-pièce". Flahaut s'y présente un peu comme seul contre tous. Lui, le gentil, ouvert aux autres cultures, soucieux de favoriser le vivre ensemble, etc. contre les méchants, les agitateurs, les haineux, etc. Il va même jusqu'à comparer les Belges issus de l'immigration à des Chinois venus s'installer récemment dans le Brabant wallon en dénonçant la peur : "Si j'avais proposé des cours de chinois, on m'aurait applaudi".
A la fin du débat de l'émission "A votre avis" (RTBF), il a d'ailleurs confirmé cette vision manichéenne qu'il a de la société belge : "Le dessin de Kroll qui résume le mieux le débat, c'est cette petite dame qui a peur de l'arabe". Il faut dire qu'André Flahaut a des opinions a priori "gentilles" : "L'ouverture aux autres, un pas vers le vivre ensemble, une question de respect", tout l'attirail lexical du parfait bisounours, diront les mauvaises langues. Mais il avance aussi une autre raison de promouvoir cet apprentissage à l'école : "prévenir la radicalisation" (sic).
En réalité, il y a plusieurs questions dérangeantes auxquelles André Flahaut ne répond pas. Considère-t-il qu'il y a un problème de vivre ensemble en Belgique avec une communauté en particulier ? Si oui, qu'il nous explique. Quel est le lien entre la radicalisation et la langue arabe ? Ce n'est pas très clair. Mais depuis plusieurs jours, M. Flahaut rétro-pédale sans fin ("On m'a mal compris, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire"). Il réalise probablement que sa sortie est profondément raciste, sans le savoir. Un racisme gentil, bienveillant, un racisme de salon, un racisme des beaux quartiers : celui qui continue de voir, de trop loin sans doute, la jeunesse de ce pays divisée en deux : les "Belges francophones" et les Belges d'origine "arabe" ou, comme il le disait lui-même à la radio : "les Marocains ou autre" qui auraient des problèmes de vivre ensemble et de radicalisation.
Comme le résumait le commentaire de Yassim, 20 ans, de Bruxelles, sur Facebook, sa sortie "ne fait que stigmatiser encore un peu la communauté d'origine marocaine de Belgique, l'énorme majorité sont de nationalité belge et donc doivent être traités comme n'importe quels autres Belges !" Non, Monsieur Flahaut, la jeunesse belge n'est pas aussi divisée que vous l'imaginez. Elle peut s'informer sur les différentes offres de cours de langues elle-même. Elle peut choisir si elle a envie d'apprendre le chinois, l'arabe ou l'espagnol, en fonction d'un projet personnel, quelles que soient ses origines. La jeunesse belge voudrait bien qu'on se préoccupe moins d'où elle vient et qu'on parle un peu plus d'où elle veut aller. Mais rassurez-vous, elle n'a pas besoin d'un ministre de l'Enseignement supplémentaire pour réussir dans la vie.