"Associer sport et alcool reste inacceptable" (FRANC-TIREUR)
Publié le 22-02-2018 à 09h26 - Mis à jour le 22-02-2018 à 10h09
:focal(441x228:451x218)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/IS6YQ7EIMRAVHD6F4O7OTVGVGU.jpg)
Quelle campagne marketing vient de s’offrir une des plus célèbres de nos bières ! Personne n’a pu manquer le nouveau look de ses produits, annoncé hier à grand renfort de presse.
De quoi relancer la polémique sur l’association entre sport et alcool véhiculée depuis belle lurette par l’industrie et la publicité.
Un sponsoring loin d’être anodin pour qui se préoccupe de la santé des gens et qui participe selon Martin De Duve, fondateur de l’ASBL Univers Santé, à la banalisation et à la dédramatisation de la consommation démesurée d’alcool. Et de dénoncer des autorités belges excessivement permissives en la matière.
Martin de Duve
Martin De Duve est titulaire d’un master en Santé publique-Education pour la santé et infirmier. Il dirige l’ASBL Univers Santé.
Univers Santé regroupe une douzaine d’associations. Elle a été créée par l’UCL en 2000, suite à une vaste enquête mettant en lumière les problèmes de santé des étudiants. Elle développe toujours aujourd’hui des actions de promotion de la santé en milieu jeune et étudiant en abordant divers sujets comme l’alimentation, les assuétudes, la vie affective et sexuelle, la santé mentale, le stress, le blocus, la santé sociale.
Entre autres actions , l’équipe propose des pistes de solutions, à l’échelle individuelle ou collective. Elle dénonce aussi "les pratiques des lobbys de l’alcool, ivres de profits et indifférents aux catastrophes qu’ils provoquent". Son slogan : "Soyons des consom’acteurs critiques et responsables. Faisons la fête, mais faisons-la bien !"
Dans le cadre d’une vaste campagne marketing destinée à soutenir les Diables Rouges lors de la prochaine Coupe du Monde en Russie, Jupiler s’appellera bientôt "Belgium" pour cinq mois. Qu’en pensez-vous ?
Associer sport et alcool est totalement aberrant et inacceptable mais d’une efficacité redoutable. Pourquoi ai-je envie d’une bière en regardant un match de foot et pas un match de tennis ? C’est évidemment lié aux sponsors qui nous enseignent depuis toujours que bière et foot vont ensemble. Même notre championnat porte le nom de la marque !
Et ce n’est pas en remplaçant son nom par "Belgium" (qui, entre parenthèses, nous appartient un peu à tous, non ?) que la pratique devient plus acceptable. Ce que ça change, par contre, c’est qu’on parle encore plus d’eux. La manœuvre est extrêmement efficace.
Les codes graphiques sont bien ancrés. Quand vous voyez une vaguelette blanche sur un fond rouge, vous savez qu’on parle de Coca-Cola. Avec le fond rouge et blanc et le taureau noir, c’est pareil pour Jupiler, que la marque soit inscrite ou pas. Le logo est une identité très forte, surtout pour un produit aussi visible que celui-ci. C’est juste un excellent coup de communication et il est temps de se poser la question de savoir où il faut poser le curseur de l’éthique !
Où en est la consommation d’alcool en Belgique ?
Environ 86 % de la population belge consomme de l’alcool dont neuf sur dix le font de façon non problématique. Cela signifie que près d’un million de Belges ont un problème avec l’alcool. Celui-ci coûte entre 4,2 et 6 milliards d’euros par an à la société dans notre pays, en rapportant 1,5 milliard. S’il ne fallait user que de l’argument financier, l’alcool rapporte moins qu’il ne coûte.
Et j’insiste encore : c’est le mésusage de l’alcool qui coûte, pas l’ensemble de la consommation. Seulement la surconsommation.
Et le sponsoring encourage cette exagération ?
Il n’y a aucun doute là-dessus. Nombre d’études scientifiques l’ont déjà prouvé à maintes reprises. Il faut arrêter d’écouter les sirènes des alcooliers qui nous disent qu’ils ne font rien d’autre que se positionner par rapport à leurs concurrents. C’est vraiment nous prendre pour des imbéciles ! La publicité modifie nos comportements de consommation à la hausse. Tout est fait pour rendre la consommation d’alcool normale et inoffensive. Tant qu’on nous rabâche les oreilles en disant que l’alcool fait partie de la fête, qu’il nous rend séduisants et plus beaux, on continuera forcément à le penser.
D’autre part, ces produits visent les stades car ils ont besoin de s’acheter une image éthique, responsable et saine. C’est pourquoi l’associer à des pratiques sportives est porteur. Il faut savoir également que, pour soutenir des événements de cette ampleur, il faut les reins solides financièrement. Il faut être une grande entreprise nationale ou multinationale. Certains acteurs sont déjà privilégiés par rapport à d’autres. D’autant que les marges publicitaires allouées à la publicité sont plus importantes chez ces produits-là que chez les autres.
Le secteur "alcool" ne recule vraiment devant rien en termes de pratiques marketing et commerciales parfois douteuses… Certaines poussent à la surconsommation. Je pense à certaines campagnes qui visent des femmes ou des jeunes spécifiquement, on sait que ces publicités poussent à des pratiques de consommation abusive ! Rappelez-vous de cette autre campagne qui, il y a deux ans, proposait trois bacs plus un gratuit pour les scouts. Pour les scouts ! Mais où va-t-on ? Où sont les limites morales et éthiques des alcooliers ? Apparemment, il n’y en a pas.
Et personne ne fait rien pour tenter de réglementer les choses ?
On ne cesse de répéter que les dérapages sont légion et que la ministre de la Santé, Maggie De Block, reste sans rien faire. Depuis dix ans, le "plan alcool" n’a pas avancé d’un iota. On peut même dire que c’est l’Open VLD qui bloque dès qu’il s’agit de prendre des mesures un peu cohérentes sur ce dossier. C’est comme s’ils craignaient de se rendre impopulaires en touchant à la politique "alcool".
Soyons bien clairs : encore une fois, il ne s’agit pas de bannir le produit mais bien d’avoir une politique cohérente en matière de drogues, alcool compris. Un Etat ne peut pas faire la promotion d’un produit psychotrope qui a un tel impact de santé publique. Il doit mettre des règles en place pour contrer la surconsommation ou, à tout le moins, ne pas l’encourager. Il a clairement une responsabilité en la matière ! Il semble tout à fait logique de ne pas faire de pub pour du valium ou du tabac. Ce devrait l’être aussi pour l’alcool.
Seulement il y a chez nous un énorme ancrage culturel de l’alcool. Il est présent partout. C’est typiquement belge. Prenez l’avertissement sanitaire. En France, les produits indiquent "l’abus d’alcool nuit à la santé". Partout, on prévient le consommateur. Et chez nous ? "Notre savoir se déguste avec sagesse" ! C’est un slogan publicitaire, ça. Pas une mise en garde ! C’est l’industrie qui a imposé le message. Elle qui maîtrise excessivement bien les ficelles du lobbying.
Au nom des douze associations qui composent notre ASBL Univers Santé (dont l’objectif est de développer des actions de promotion de la santé en milieu jeune et étudiant), nous portons toute une série de revendications. Mais les initiatives et suggestions d’actions dans ce domaine restent lettres mortes.
Comme par exemple ?
Comme l’interdiction de toute publicité pour l’alcool. Nous souhaitons notamment aussi l’adoption d’une loi claire pour tous, facilitant ainsi le travail préventif et éducatif des acteurs de terrain. Une loi doit être compréhensible et appliquée pour qu’elle soit efficace. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Par exemple, le législateur veut garder une distinction entre certains types de boissons alcoolisées selon les âges (16-18 ans). Mieux vaudrait selon nous se baser sur le taux d’alcool (l’information figure sur les produits et est donc accessible à tous). Nous proposons donc d’interdire tout alcool en dessous de seize ans, d’autoriser les boissons de moins de 16° aux jeunes de seize à dix-huit ans, âge auquel aucun alcool n’est plus interdit.
Pourquoi n’allez-vous pas au bout de votre raisonnement en interdisant simplement tout alcool en dessous de 18 ans ?
Ce serait évidemment plus simple mais utopique. On sait que la plupart des mineurs consomment et que l’âge moyen de la première consommation est 13 ans.
Les règles qui existent sont trop compliquées et ne sont pas respectées. C’est bien ce que vous nous dites ?
Mais oui, tel est le système dans lequel nous sommes en Belgique. Il n’y a aucune protection des consommateurs. Notre pays se préoccupe très peu de ces questions-là et c’est ainsi depuis très très longtemps.
Entretien : Monique Baus
D’autres réactions à la campagne "Belgium"
"AB InBev détourne une marque pour attirer des clients en imposant un nationalisme artificiel…" Tomas Roggeman (N-VA) sur Twitter.
"Il y a deux nationalismes. Celui, artificiel, de la N-VA qui gère une Belgique qu’elle vomit en préservant la liberté aux sociétés d’évasion fiscale. Et celui d’InBev qui assure des emplois à Jupille et sponsorise son équipe de foot." Jean-Pierre Lemaitre, internaute sur lalibre.be
"Pourquoi se scandaliser quand on sait que notre championnat de football est connu dans toute l’Europe sous le nom de la marque ? Surréalisme quand tu nous tiens…" Camille Becquet, internaute sur lalibre.be
"Si ça peut, un moment, rapporter des devises chez nous, ce serait bien pour une fois." José Igot, internaute sur lalibre.be
"Nous sommes tous les otages d’un produit qui peut faire tourner la tête et vivement déconseillé pour les conducteurs. A quand un vrai débat sur la publicité publique pour les produits alcoolisés ?" Jean-Claude Cremer, internaute sur lalibre.be
"Cette marque a toujours su se démarquer avec des pubs bien particulières et les gens ont toujours suivi. Mais appeler une bière Belgium, ça devrait être interdit !" Jy Ve, internaute sur lalibre.be