#MeToo, c’est too much (CHRONIQUE)

Contribution externe

Une chronique de Xavier Zeegers. 

Mesdames qui luttez pour la dignité, l’intégrité physique et morale, votre combat est honorable. Mais s’y atteler dans une posture matamoresque, "talibanesque", ça craint.

Mesdames qui luttez pour la dignité, l’intégrité physique et morale, votre combat est forcément honorable, comme tant d’autres. S’en prendre à des prédateurs avérés est légitime et même recommandable. N’ayez donc pas peur, mais déjà une question simplette me taraude : pourquoi avoir attendu si longtemps, restant muettes, prenant sur vous une honte qui siérait surtout aux agresseurs ? On ne vous aurait pas crues, douté de vos témoignages ? Alors pourquoi le machisme destructeur n’a-t-il pas été battu en brèche bien plus tôt ? S’il fallait attendre, soit ; mais quoi ?

Que surgisse un prédateur "iconique", premier domino faisant tomber la file pour hurler votre dépit et rameuter les consciences ? Ce serait faire beaucoup d’honneur à ce minable, alors que d’autres, restés prestigieux quoique tout aussi agressifs, furent considérés comme d’aimables cabotins ; ainsi le poète centenaire Fontenelle qui, à 80 ans, harcelait une dame de 40 au point qu’elle hurla. "Criez, criez, cela nous fera honneur à tous les deux", dit-il… déclenchant les rires. Une question d’époque ? Mais alors à quoi servirent vos courageuses prédécesseures ? N’avez-vous rien retenu du combat des suffragettes britanniques, pas été interpellées par le courage de Rosa Parks, pas lu Kate Millett, Betty Friedan, Jane Austen, Virginia Woolf, ni entendu parler d’Olympe de Gouges ou George Sand, pas admiré les parcours de Marie Curie et de Jacqueline de Romilly, suivi les thèses d’Elizabeth Badinter ?

Ma crainte est qu’en dégainant l’artillerie lourde comme si le problème était nouveau, ou en déchiquetant des héros de papier ou de pellicule (James Bond, et ses prothèses pétaradantes, misère !), vous couchiez toute l’Histoire sous votre scalpel ; que du passé vous fassiez table rage pour retrouver votre fierté en négligeant le fait que nous sommes tous responsables de nos choix, et pas seulement celui de l’ange candide contre le mauvais diable, car ce n’est jamais aussi binaire que cela. L’Histoire regorge d’acharnements féroces commis au nom de la Justice par des justiciers spontanés. C’est Robespierre qui plaide pour la fraternité en chargeant les charrettes de pseudos traîtres livrés à la guillotine (les réseaux sociaux en sont la version contemporaine) ou encore le cri d’Arnaud Amaury lancé au siège de Béziers : "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens."

Méfions-nous donc de la pureté qui peut devenir le vitriol de l’âme. Et vous-même, au fait, êtes-vous indemnes par essence des dérives que vous estimez haïssables ? Oserai-je vous signaler que les crapules, les bad boys, et même les pires criminels embastillés reçoivent des courriers attendris ? Landru a lu des témoignages édifiants : "Avec vous jusqu’au fourneau !" Son alter ego en horreur, le docteur Petiot, a ouvert huit mille lettres dont 400 étaient des demandes en mariage. Même Dutroux a ses groupies. Et malgré son langage si peu châtié, Trump n’a pas perdu le vote des républicaines. Que du contraire, pense-t-il peut-être !

Il appert que vous tentez d’éradiquer le monde de tous ses obsédés compulsifs, les dragueurs bonimenteurs ; ceux qui ont des tics nerveux sous la ceinture ou de la fleur bleue plein la braguette. Vaste programme ! Mais s’y atteler dans une posture matamoresque, "talibanesque", ça craint ! "La sagesse n’est que la vérité et la lucidité appliquées à l’observation de soi et à la pratique d’une éthique personnelle de vie", écrit Lenoir dans la "Puissance de la joie". Vous la trouverez mieux avec lui ou chez Montaigne dans son "Discours sur la servitude volontaire" que dans la presse dite féminine focalisée sur les régimes et recettes, les maillots de l’été, des princes charmeurs à harponner via la crème machin et l’épilatoire bidule ; bref de transformer votre corps en arme de séduction massive. Je préférerais que vous soyez imprégnées d’une lucidité tranchante, permanente, vigilante, fût-elle cruelle, plutôt que tourmentées par votre plastique. Plus combatives que combattantes, car le plus vicieux, ce sont les guerres de tranchées qui font des victimes des deux côtés. Or la paix reste possible au vu des nombreuses fraternisations avec l’ennemi…

(*) xavier.zeegers@skynet.be

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