"Mais qu'est-ce qu'on fout là?!": la lettre ouverte de deux citoyens "fatigués" soutenant les réfugiés
Une opinion de Mehdi Kassou et Adriana Costa Santos, Coprésidents de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux réfugiés exilés.
Publié le 24-02-2018 à 11h01 - Mis à jour le 24-02-2018 à 12h13
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Une opinion de Mehdi Kassou et Adriana Costa Santos, Coprésidents de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux réfugiés exilés.
Bonjour le monde,
Nous aurions pu adresser cette lettre à Theo Francken ou Charles Michel, mais nous l’adressons à vous, nous, « vnous », bénévoles infatigables, hébergeurs, chauffeurs, support team, citoyens de tout rang, de toute couleur politique, à ceux qui rédigent des témoignages, à ceux qui posent des questions, à ceux qui y répondent, ceux qui informent, à ceux et celles qui organisent, lisent et « likent », ceux qui partagent et soutiennent.
Nous nous demandons tous les jours, en nous réveillant, en nous énervant ou en souriant : « mais qu’est-ce qu’on fout là !? »
En rentrant, nous sommes tous les jours beaucoup trop fatigués pour écrire, réfléchir, nous inquiéter ou débattre.
Depuis plus de deux ans pour les uns, 5 mois et demi pour les autres, nous nous battons au sein de la plateforme citoyenne sans vraiment nous battre. On se rassemble tous les jours autour d’un problème sans le voir comme un tout, on cherche activement des solutions aux problèmes de la veille. On se perd dans les détails, les questions et inquiétudes. Et on oublie, on oublie parce que l’urgence prend le pas sur tout le reste.
En Europe, à Bruxelles, dans la capitale de la paix et de la reconstruction, de la liberté et des droits fondamentaux, basiques et garantis, il y a des êtres humains - des femmes, hommes - pour la plupart des garçons, des adolescents, des gosses, des gamins abandonnés par leur pays et par le « nôtre ». Le nôtre qui devient le leur, souvent pour une période limitée, le temps de disparaître, parfois ou trop souvent vers d’autres horizons qu’ils pensent plus intéressants administrativement, humainement.
Mais en attendant cette « chance », ils sont là, physiquement et ils nous confrontent, moralement. Ils bousculent nos notions d’humanité et nous font agir, forcément, conformément aux valeurs que nous défendons, à la dignité que nous leur souhaitons. Ils ne sont pas responsables de leur dignité perdue ou volée. Les provocateurs de cette misère humaine sont « nos » responsables, ceux qui décident, selon leurs guerres, leurs intérêts, leurs peurs, leurs hypothétiques appels d’air, leurs politiques, nationales ou européennes.
Au même moment, des citoyens les logent, nous vidons le parc Maximilien. Ces mêmes citoyens les déposent çà et là, sur les chemins de leurs boulots d’Européens, grâce à leurs libertés (de circulation, de solidarité), pour plus d’égalité et en toute fraternité. Dans un pays, une Europe dont il semble que les seuls détenteurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ne soient plus que les citoyens.
Nous qui ? Nous « vnous », bénévoles infatigables, hébergeurs, chauffeurs, support team, citoyens de tout rang, de toute couleur politique, à ceux qui rédigent des témoignages, à ceux qui posent des questions, à ceux qui y répondent, ceux qui informent, à ceux et celles qui organisent, lisent et « likent », ceux qui partagent et soutiennent.
Nous, les bénévoles, présents tous les soirs, debout, pieds fermes dans la boue, cœurs serrés, dans un étrange équilibre entre espoir et réalité fragile, écrasante. Nous ne nous sentons ni géniaux ni héros, nous gardons nos sourires, nous avons peur, nous avons froid, nous sommes le stress et le poids de la pression des quelque 500 personnes qui comptent sur notre capacité à être des bons traits d’union entre eux, qui ont besoin, et ceux qui répondent à ces besoins. Ils comptent sur nous pour communiquer, expliquer, sensibiliser, conscientiser, organiser. Et nous comptons sur nous pour nous rappeler de chaque tête et chaque détail, pour faire des choix réfléchis, pour présenter des adultes à des adultes, les uns moins fragiles que les autres, les uns plus conscients que les autres.
Nous sommes dans l’urgence depuis six mois, un an, une vie. Nous avons de la suite dans les idées et toujours l’espoir que des structures seront créées. Mais que faisons-nous réellement pour que naissent ces structures ? `
Toujours trop occupés à organiser la soirée en journée et la journée en soirée. Ensuite, épuisés, corps et âme, par cette réalité écrasante, nous nous écroulons. C’est le bal de l’aide humanitaire d’urgence tous les soirs, 7 jours sur 7 et nous ne l’avons pas choisi.
On est là, on le voit, on le vit, on le subit, on en parle et on se réjouit d’avoir trouvé une solution pour le problème de la veille. On se prépare pour celui de demain, on revoit nos stratégies, notre organisation, notre façon de communiquer, de faire, d’être. Nous voulons bien faire, professionnellement, bénévolement en étant stricts et conscients, nous sommes des humains, nous faisons des bêtises et nous sommes là pour nous soutenir, autant que pour nous critiquer, froidement et de façon constructive.
Et parfois nous oublions les faits, le dégoût, la honte. Nous oublions ce qui nous oblige à devoir sauver des humains en détresse, sans avoir ni le pouvoir, ni les moyens, ni les compétences. Nous oublions pourquoi, en quel nom et à la place de qui nous nous retrouvons aujourd’hui à devoir organiser tout cela.
Faut-il saluer Theo Francken et la politique qu’il mène dans ce gouvernement ou l’Europe entière de nous avoir aidés à rencontrer des nouvelles réalités, à dépasser nos peurs, à ouvrir nos portes et nos cœurs à des inconnus ? Faut-il les remercier de nous avoir permis d’éveiller nos consciences en aidant des gens en détresse ?
Nous n’oublierons pas que nous ne sommes pas supposés être en train de faire tout cela au nom du respect de notre propre dignité. Nous n’oublierons pas que nous ne devrions pas être obligés de le faire pour sauver des vies. Et surtout, nous n’oublierons pas que nous sommes en train de sauver des vies.
Nous n’oublierons pas que ce n’est pas beau d’avoir à héberger les abandonnés de tous dans un Etat de droit.
Non, ce n’est pas l’expérience de ces soirées, repas et des belles histoires partagées qui doit être soulignée dans nos récits.
Non, ce n’est pas beau de devoir se débrouiller pour avoir des lits de fortune, remplir les frigos ou craquer à minuit pour aller sauver des gens du froid et des centres fermés.
La beauté, c’est de faire valoir le devoir moral et humain, celui que notre Etat a choisi de ne pas faire valoir. C’est un devoir pour ceux qui ont les moyens grâce au pouvoir que nous leur avons concédé.
C’est l’absence de mesures qui nous met dans cette position de devoir réfléchir, décider et agir dans l’urgence, malgré toutes les difficultés que nous rencontrons.
Oui, cet élan de solidarité est l’une des plus belles choses qu’il ait été donné de voir. Non, la réalité du terrain n’est pas belle à voir et la réalité politique qui la provoque encore moins.
Des solutions existent : clause de Souveraineté ; centre d’accueil et d’orientation ; voies sûres et légales ; encadrement et orientation des mineurs dans les dispositifs d’accueil ; …
Des solutions existent et seuls les citoyens tentent de les faire appliquer au cœur d’une Belgique qui cherche à opposer Etat de droit et générosité. Des solutions existent mais notre gouvernement n’en veut pas.
Dommage.