Jean Peeters: "Forcer les sans-abri à dormir à l'intérieur est à côté de la plaque. Ils se débrouillent très bien!"
Publié le 26-02-2018 à 12h41 - Mis à jour le 26-02-2018 à 14h03
Jean Peeters de la platerforme Front SDF est scandalisé par la décision prise à Etterbeek. En dépit du bon sens, dit-il. Et sans rien n'y connaître de la réalité des personnes concernées. Interview.
A Etterbeek depuis vendredi, entre 20h et 7h du matin, toute personne sans abri doit être emmenée au chauffoir communal afin d'y être protégée du grand froid, qu'elle le veuille ou non. Qu'en pensez-vous ?
Il y a plus de dix ans, il y a déjà eu une réaction de tout le secteur en Région bruxelloise contre la proposition de loi d'Yvan Mayeur qui voulait faire exactement la même chose. Le nom donné, c'était « enlever par contrainte ». Il ne fait aucun doute pour nous que c'est une très mauvaise idée. Qui décide s'il fait trop froid ou pas ? Quelqu'un qui vit dans vingt degrés chez lui claque évidemment des dents dès qu'il fait zéro et ne peut comprendre la réalité de la situation sans l'avoir vécue. Les personnes qui refusent d'aller dans un abri ont de très bonnes raisons pour cela. Elles savent la plupart du temps comment se protéger du froid. Elles sont souvent accompagnées d'un chien. L'animal n'est pas accepté dans les refuges et peut les réchauffer. Un ordre de police visant à déplacer les gens par la force est complètement incompréhensible pour les SDF ! D'ailleurs, qui va intervenir sur le terrain : un simple policier qui ne connaît rien au sans-abrisme ? Les travailleurs sociaux (et casser ainsi la relation de confiance qu'ils tentent de tisser) ? C'est bien trop compliqué.
Vincent De Wolf affirme que sa décision est liée à son rôle de protéger tous les habitants de sa commune. C'est vrai, non ?
Mais qui protège-t-il à votre avis ? Il pense qu'il pourrait être poursuivi et qu'un énorme scandale éclaterait si un SDF devait décéder dans la rue à Etterbeek : c'est lui qu'il protège, pas les autres. L'intention peut évidemment sembler bonne... Mais c'est surtout un coup de communication.
Mais il met quand même quelqu'un à l'abri. Le froid n'est donc pas dangereux selon vous ? Ce week-end encore, en France, on annonçait le décès d'un sans-abri à Valence, probablement de froid.
Probablement dites-vous : c'est comme dans le métro Lemonnier il y a des années. Un homme avait été retrouvé mort alors qu'il faisait terriblement froid. Mais qui peut être sûr de la cause ? Personne n'en sait rien ! Vous savez, on meurt de tout dans la rue : de chaud, de faim, de maladie, ...
Je suis dans le « circuit » depuis une vingtaine d'années. J'ai connu combien de fois des -10° sur Bruxelles ? J'étais moi-même alors très étonné de voir des gens près de la gare centrale en-dessous d'un carton, bien emmitouflé. « Ecoute Jean », qu'ils me disaient : « Tu comprends quand même que je préfère rester ici. Si je dois aller au Samu, je ne peux pas le faire avant 23h, je dois aller jusque là, on ne peut pas fumer et je préfère rester tout seul. » En général, ils savent très bien comment se couvrir. Vous savez, si les gens ont peur d'être embarqués, ils vont se cacher. Et ça, c'est un danger supplémentaire alors qu'on essaie par tous les moyens de maintenir le contact.
A part Bruxelles et Etterbeek, des décisions similaires ont-elles déjà été prises ailleurs ?
Pas à ma connaissance non, du moins en Belgique francophone.
Les moyens et dispositifs à disposition des SDF sont-ils suffisants aujourd'hui ?
Le problème principal, c'est le manque de logements. Il faut travailler sur la régulation des loyers et faire pression sur tous les immeubles vides. La question des abris de nuit est secondaire. Et s'en inquiéter seulement par grand froid est à côté de la plaque. Les SDF meurent autant en été qu'en hiver !
Concernant les dispositifs « hiver », on peut dire à Bruxelles par exemple que les choses ont énormément évolué en la matière et qu'il y a suffisamment de lits. La toute grosse difficulté reste la manière dont ceux-ci sont attribués. Quand on téléphone à 21h pour voir s'il y a de la place et qu'on se voit répondre de rappeler à 23h, que pensez-vous qu'on décide ? De se mettre en route ou pas ? Parce qu'il faut y aller à pieds et que ce n'est pas à côté... Bien sûr que non : quand il fait froid comme maintenant, on s'installe le mieux qu'on peut le plus tôt possible et on y reste. On ne va pas en abri. Deuxième problème : une série de personnes en difficultés particulières sont maintenant prioritaires à Bruxelles (les enfants, les femmes, les personnes qui souffrent de problèmes de santé, ...) C'est évidemment très bien mais il y a un défaut. Le prioritaire annoncé ne se présente pas toujours, et donc son lit reste vide...
Sait-on combien de gens sont SDF ?
L'évaluer est l'objectif d'une étude qui a commencé au niveau fédéral avec les universités de Liège et Gand. Mais on est seulement en train de se mettre d'accord sur la manière de fonctionner pour déterminer le nombre, et sur la définition d'un sans domicile. On n'a pas fini...
A ce propos, j'aimerais terminer en insistant sur un phénomène nouveau : les SDF cachés. On parle de personnes qui n'arrivent plus à payer leur loyer et sont abritées chez un proche, par exemple, ou dans un garage, sans être domiciliées à cette adresse. Il faut mettre en évidence la difficulté que constitue toujours aujourd'hui de ne pas avoir d'adresse. En une quinzaine d'années, le front SDF s'est pourtant mobilisé et a permis l'adoption d'une loi qui fournit une adresse de référence (au CPAS) aux personnes qui en ont besoin car sans adresse on n'est rien. La difficulté par rapport à ce public-là, c'est l'information.