Tous les élèves bruxellois trilingues ? (OPINION)
Publié le 02-03-2018 à 09h47 - Mis à jour le 02-03-2018 à 10h38
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Une opinion d'Alex Housen, Anna Sole Mena et Philippe Van Parijs, animateurs du Plan Marnix pour un Bruxelles multilingue.
Le français s’entend partout à Bruxelles et les langues sont une priorité des écoles flamandes. Mais où les jeunes francophones, eux, peuvent-ils espérer devenir bilingues ? Juste dans les écoles flamandes à ce stade…
Œuvrer pour que tous les jeunes Bruxellois maîtrisent le français, le néerlandais et l’anglais au seuil de la vie adulte, c’est là l’un des objectifs du Plan Marnix pour un Bruxelles multilingue. Certaines des déclarations gouvernementales régionales et communautaires de 2014 contenaient la promesse de mesures susceptibles de servir cet objectif. Le moment est venu de faire le point. C’est ce qu’ont accepté de faire avec nous, lors d’un événement public qui s’est tenu au BIP le jeudi 22 février, le ministre-Président de la Région bruxelloise, Rudi Vervoort, le Président de l’Exécutif de la Vlaamse Gemeenschapscommissie, Guy Vanhengel, la ministre de l’Education de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Marie-Martine Schyns, et la députée Brigitte Grouwels, mandatée par la ministre de l’Enseignement de la Communauté flamande.
Le premier constat qui s’impose, et dont tout le monde semble aujourd’hui bien conscient, est qu’on est désormais bien loin de l’époque où les enseignements francophone et néerlandophone de Bruxelles s’adressaient aux enfants de deux tribus unilingues vivant côte à côte dans la capitale du pays. Les écoles des deux Communautés s’adressent désormais essentiellement au même public, une population très hétérogène d’élèves dont les racines ne sont, pour la grande majorité d’entre eux, ni francophones ni néerlandophones.
Et de part et d’autre, il s’agit de relever cet énorme défi dans un contexte de croissance démographique rapide et de pénurie d’enseignants, tout particulièrement d’enseignants de langues. Mais la similitude s’arrête là, en particulier du point de vue de l’apprentissage des langues. Car le fait que le français soit bien plus diffusé à Bruxelles - 88 % des Bruxellois disent le parler bien ou très bien, comparé à 23 % pour le néerlandais - offre à chaque enfant bruxellois beaucoup plus d’occasions de le pratiquer que le néerlandais.
Le français présent hors de l’école
Il en découle que les écoles néerlandophones doivent faire de beaucoup plus gros efforts pour garantir à leurs élèves une exposition et une pratique de la langue d’instruction qui suffisent à leur en donner la pleine maîtrise. Il en découle aussi qu’au-delà des cours de français qui peuvent y être offerts à partir de la première primaire et le sont obligatoirement à partir de la troisième, elles peuvent compter bien davantage sur l’environnement linguistique bruxellois pour faire de leurs élèves de bons bilingues néerlandais-français.
En outre, les élèves des écoles néerlandophones sont en moyenne plus exposés à l’anglais, ne fût-ce qu’en raison de la prévalence du sous-titrage sur le doublage dans les médias flamands. Par suite, l’objectif - affirmé avec force par le ministre Vanhengel - de faire de bons trilingues de tous les élèves terminant le secondaire dans une école néerlandophone de Bruxelles est certes ambitieux, mais pas absurde.
Rares occasions de parler flamand
Du côté de l’enseignement francophone, la situation est très différente. L’environnement ne donne pas beaucoup d’occasions de pratiquer le néerlandais aux 80 % d’élèves bruxellois qui le fréquentent. En raison de l’obligation fédérale, le néerlandais est enseigné à partir de la troisième primaire, mais il ne sera pleinement financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles qu’à partir de 2020 et - au contraire des cours de français dans les écoles flamandes - les cours de néerlandais ne comptent pas pour le certificat d’enseignement primaire.
En outre, la présence de l’anglais est minimale dans de nombreuses sections - y compris, comme le notait une intervenante, dans le technique informatique, où pourtant elle paraît essentielle.
De modestes progrès méritent cependant d’être relevés. Tout en restant proportionnellement beaucoup moins nombreuses qu’en Brabant wallon, les classes en immersion linguistique sont en légère progression dans l’enseignement francophone. Un cadre pour l’échange d’enseignants entre écoles des deux Communautés avec maintien des barèmes a été mis en place, mais il connaît jusqu’ici un très faible succès. Et le plus prometteur sans doute : à l’initiative des autorités bruxelloises, la Haute Ecole Francisco Ferrer et l’Erasmus Hogeschool ont mis en route, malgré de nombreux obstacles, une formation d’instituteurs bilingues menant après quatre ans à une co-diplomation.
Soixante élèves se sont lancés cette année dans l’aventure et devraient fournir la première cohorte d’enseignants équipés pour fonctionner dans les futures écoles bilingues que beaucoup de Bruxellois appellent de leurs vœux. Mais tout cela prendra beaucoup de temps.
Si pas à l’école, où ?
En attendant, comme le relevait Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris, dans son interpellation, les Bruxellois qui ne connaissent pas le néerlandais gonflent les rangs des demandeurs d’emploi, contraints d’apprendre laborieusement sur le tard ce qu’ils auraient pu et dû apprendre beaucoup plus tôt. Que faire dans l’immédiat ?
Faute d’une action énergique de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui comprenne enfin que les besoins linguistiques des Bruxellois diffèrent de ceux des Wallons, n’y aurait-il qu’à encourager les parents bruxellois de toutes classes et de toutes origines à suivre l’exemple d’une part croissante de l’élite francophone bruxelloise : envoyer leurs enfants dans une école néerlandophone ?