L’histoire de l’esclave soudanaise Bakhita est un hymne à la vie
Publié le 26-06-2018 à 09h49 - Mis à jour le 26-06-2018 à 17h24
Impressionnant de voir ce que les humains sont capables de faire subir à leurs semblables. Pourtant, l’histoire de l’esclave soudanaise Bakhita est un hymne à la vie. À la lueur d’une luciole. Une chronique de Charles Delhez.Du XVIe au XIXe siècle, le trafic d’esclaves a permis à l’Europe d’améliorer son confort de vie. Le commerce du sucre, par exemple, lui doit beaucoup. Les compagnies de traite négrière vendaient des actions dans les bourses d’Amsterdam, de Londres et de Paris. Cela rapportait du 6 % par an. C’est sur fond de ce triste rappel historique que l’on peut lire "Bakhita", le roman de Véronique Olmi, aux Editions Albin Michel (Prix du roman Fnac 2017).
Dès que j’ai ouvert ce livre, je n’ai plus pu lâcher les baskets de cette esclave soudanaise ! Façon de parler, car cette Dajou de la fin du XIXe siècle, a longtemps marché pieds nus, enchaînée aux autres esclaves, mais sans lâcher la main de Bina, une fillette dont elle a fait connaissance dans cette triste procession. Ce qui caractérise Bakhita : la volonté de vivre. "Elle veut vivre. Cette pensée est à elle. Personne ne peut la lui prendre." Elle se sait protégée. Mystérieusement. Et quand on croit à la vie, on peut sauver celle des autres !
Bakhita n’est pas son vrai nom, car elle l’a oublié. Elle a été enlevée à sept ans dans son village du Darfour et a connu toutes les horreurs de l’esclavage. A l’adolescence, elle fut rachetée par le consul d’Italie, à Khartoum. Elle se retrouvera à Venise et y sera affranchie. Elle deviendra religieuse canossienne et mourra à Schio, le 8 février 1947. De son vivant, une journaliste a écrit sa vie sous le titre "Une histoire merveilleuse", ce qui l’a rendue célèbre dans toute l’Italie. Au fil des pages de ce roman, on s’attache de plus en plus à cette esclave à la peau si noire qu’on l’appelle Moretta, en italien : la Noire, et puis Madre Moretta. Plus jeune, elle était aussi appelée Djamila, car elle était très belle.
L’esclavage est une déshumanisation totale. Impressionnant de voir ce que les humains sont capables de faire subir à leurs semblables ! Ce roman est pourtant un hymne à la vie. Il y a, en Bakhita, une force, un ange gardien qui veille sur elle. Lors du long trajet vers le marché d’esclaves de Khartoum, elle tentera de s’enfuir avec Bina. Une nuit, elle fera l’expérience intérieure d’une main qui se pose à l’intérieur d’elle et qui ne la lâchera plus jamais. Cette expérience de Dieu, elle ne sait pas encore la nommer et elle peinera toujours à la nommer, car même sa langue maternelle, l’esclavage la lui a prise. Elle ne s’exprime en effet que dans un mélange d’arabe, de turc, d’italien vénitien, et de quelques mots de l’enfance. L’expérience de Dieu est l’expérience de la vie, cette vie qui n’est pas toujours belle, mais que l’on peut toujours aimer.
Bakhita, plus noire que noire, c’est une qualité intense de présence. Elle est plus présente que le noir n’est noir. Et d’une grande bonté pour les enfants, pour les pauvres, les abandonnés. Ces pages sont aussi l’histoire de ses tendresses qui finissent toujours par ne plus être que souvenirs : Kishmet, sa sœur, enlevée avant elle; Bina, sa compagne de chaînes et d’entraves; Mimmina, le nourrisson qu’elle a sauvé de la mort et éduqué; Elvira, une des élèves de l’école. Mais aussi tous ces enfants qui, après avoir eu peur de la couleur de sa peau, s’attachent à elle : "Pourquoi vous êtes gentille comme ça, petite sœur si noire ?" Et surtout sa maman. "On ne perd pas sa mère. Jamais. C’est un amour. C’est un amour aussi fort que la beauté du monde. C’est la beauté du monde."
Plus profonde sans doute que les autres, il y a la rencontre de Jésus, l’esclave crucifié, comme elle dit, et de son Père, Dieu, qu’elle appelle el Paron, le Patron. C’est à lui qu’elle confie ses bourreaux. "Dieu pardonne pour elle. Elle est sa fille et Il fait cela pour elle."
C’est une histoire vraie, mais romancée. Le pape Jean-Paul II a proclamée Bakhita patronne du Soudan et l’a canonisée en l’an 2000. Mais j’en reste là. J’ai l’impression que moi aussi, je ne trouve pas les mots pour décrire ce que j’ai pu vivre en lisant ces pages. Les vacances approchent. Prenez Bakhita par la main !