Quid des victimes de Jean-Louis Denis ? Des familles endeuillées
- Publié le 11-12-2018 à 09h56
- Mis à jour le 23-12-2018 à 15h00
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Une opinion de Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient, relations euro-arabes/terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales.
Ce prédicateur, ex-détenu, est maintenant libre. Ses convictions n’ont pas changé. Il parade devant les médias tandis que des parents n’ont que leurs yeux pour pleurer l’absence de leur enfant, mort d’avoir été endoctriné.
Jean-Louis Denis est libre depuis le 8 décembre 2018. Condamné en 2013 pour avoir participé à une filière terroriste à dix ans de prison, il ne fut après appel finalement condamné qu’à cinq ans (1) qu’il fit en fond de peine. Incarcéré pendant cette période dans l’unité de haute sécurité de la prison d’Ittre, censée gérer les détenus les plus radicalisés (la Deradex), il ne fut pourtant l’objet d’aucun suivi. Ce que certains considéreraient comme une entreprise de désengagement par l’enfermement et le traitement, se révèle bien sûr, comme il l’a affirmé lui-même à sa sortie, un accélérateur : "La Deradex, c’est un endroit de torture psychologique et tout ça pour essayer de détruire les gens et enlever leurs convictions. Cela ne fait que les renforcer dans leurs convictions. Donc c’est un processus totalement différent de ce que vous voulez faire (2)." Si la prison était un outil de déradicalisation, cela se saurait. Or, elle est bien plus : elle a déclenché de nouvelles vocations auprès de jeunes délinquants sans histoire et radicalisé davantage ceux qui ne l’étaient qu’autre chose. Qu’a-t-on trouvé d’autre comme alternative ? Rien.
Rien n’égale le zèle d’un converti
L’histoire serait banale et classique si ledit personnage ne s’était pas mis en avant à sa sortie à grands renforts de médias qui n’attendaient que cela, pour tenir une conférence de presse indécente et obscène. L’histoire serait banale et classique si ledit personnage n’avait pas été libéré le jour même de l’anniversaire de la mort de l’un des jeunes qu’il a, avec son compère Khalid Zerkani, comme au moins une dizaine dont on a la preuve, et sûrement d’autres dizaines pour lesquels il est difficile d’obtenir des éléments, envoyé vers une mort certaine en 2013. Ancien ouvrier agricole, Denis s’était converti à l’islam et radicalisé avec Sharia4Belgium. Les convertis dans les recruteurs, ce sont souvent les plus terribles. Comme beaucoup de cas de convertis auxquels nous avons été confrontés depuis l’avènement de Daech, force est de constater que ce sont les plus déterminés à aller jusqu’au bout : un endoctrinement idéologique extrême comme un furieux besoin de prouver au monde que l’on est "vraiment" devenu un "vrai" musulman. La frontière entre islam et islamisme disparaît alors. Ces cas sont souvent désespérés. Cela dit, point n’est besoin d’espérer pour entreprendre.
Le 8 décembre dernier, cela a fait 5 ans que Sabri Refla est mort. C’était un jeune idéaliste que rien n’aurait prédestiné à un tel sort. Sensible à la souffrance du monde et aux victimes de Bachar al-Assad, il dira plus tard à sa mère qu’il se devait de leur venir en aide car "si je ne le fais pas, qui le fera ?" En trois mois en 2013, Sabri s’est radicalisé au pas de guerre en fréquentant notamment la fameuse mosquée de Schaerbeek et en côtoyant un certain… Jean-Louis Denis. Le 13 août 2013, il prendra un avion pour la Turquie. Destination finale : la Syrie. Et la mort. Le 8 décembre 2013 donc, ses parents reçurent un message de félicitations de Daech : leur fils venait de mourir "pour la cause".
Ils volent l’avenir - et la vie - d’enfants
En attendant, Jean-Louis Denis est libre. Libre de quoi ? De se vanter qu’une prison sans programme de déradicalisation ne sert à rien alors qu’il apparaît comme indécrottable de toute façon ? De se vanter que ses convictions n’ont sûrement pas changé, que l’islam reste supérieur à tout, et qu’il n’est pas compatible avec la démocratie ? De s’occuper de sa pauvre mère malade et seulement ça pour récupérer une once d’humanité ? Aujourd’hui, Saliha Ben Ali, la maman de Sabri et directrice de l’organisation Save Belgium, agit en prévention primaire auprès des jeunes et des écoles en Europe, pour éviter que dans le futur d’autres Zerkani et Denis volent l’avenir de leurs propres enfants et propres chairs pour en faire de la chair à canon. Elle se bat pour qu’enfin l’opinion et les médias comprennent qu’il existe dans l’extrémisme violent et des victimes directes malheureuses d’attentats, et des victimes indirectes à savoir ces familles à qui on a enlevé un enfant en leur promettant la lune, la vie, le paradis, la belle vie et tutti quanti. Saliha Ben Ali, qui vient de publier Maman entends-tu le vent ? Daech m’a volé mon fils (3) lâche ce cri de colère et s’enterre encore plus dans le silence lorsqu’elle voit cet homme parader devant les médias sans amertume ni regrets et qui pourrait recommencer demain. En attendant, Jean-Louis Denis est libre et des dizaines de mamans et de papas n’ont que leurs yeux pour pleurer l’absence trop présente d’un enfant, mort au nom d’une idéologie égoïste et mortifère, preuve que le ver est dans le fruit. Les hommes qui la glorifient sont un danger pour nos démocraties. Espérons que Jean-Louis Denis sera surveillé de loin ou plutôt de près, pendant que d’autres plus "velléitaires" accepteront un suivi pour la bonne cause.
(1) Car considéré comme simple recruteur et non chef de la filière.
(2) Propos recueillis par RTL Belgique.
(3) Éditions de l’Archipel, Paris, 2018.