Une législation vieillie nous entraîne vers des choix nuisibles
Publié le 02-01-2019 à 12h03 - Mis à jour le 02-01-2019 à 17h07
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Une opinion d'André Peters, sociologue de la monnaie, certifié en finances publiques, cadre dans le secteur financier, conseiller de l'aide sociale et auteur.
Il paraît urgent de recréer un consensus autour de la durabilité économique, sociale et environnementale. C’est pourquoi il me semble prioritaire de revoir toutes les législations vieillies à l’aune de quatre critères.
La trêve des confiseurs sur fond de crise politique et de discours royal nous offre un moment propice à la réflexion sur la relation entre les politiques et la société alors que nous sommes confrontés aux revendications de pouvoir d’achat des "gilets jaunes" et à celles de lutte contre les changements climatiques par les gilets verts.
Revendications contradictoires ou opposées ? La contradiction n’est qu’apparente puisque, à aucun moment, les "gilets jaunes" ont dit que le changement climatique n’a pas d’importance, ni les marcheurs du climat de proclamer que les "gilets jaunes" exagéraient. Chacun regardant la réalité depuis sa propre fenêtre est conscient que la réalité de l’un n’est pas celle de l’autre. Et, en effet, je crois que les revendications des uns et des autres révèlent surtout les contradictions internes de notre société.
Prisonniers du carcan de nos lois
En effet, il m’apparaît de plus en plus que, obnubilés par les indicateurs macroéconomiques, nous n’avons pas encore réfléchi collectivement à ce que pourrait être notre société si elle poursuivait un objectif de durabilité économique, sociale et écologique. A fortiori, nous ne nous sommes pas encore organisés en ce sens. Jusqu’à présent, nous avons tenté de prolonger le modèle économique issu de la Seconde Guerre mondiale et de la mondialisation. Nous sommes restés prisonniers du carcan de nos lois et règles, héritées d’un temps ancien, qui nous entraînent, souvent inconsciemment d’ailleurs, à perdurer dans des choix qui sont nuisibles sur les plans social, écologique et économique. Pourtant, il suffirait parfois de quelques aménagements législatifs à la marge pour changer totalement nos perspectives. Prenons quelques exemples.
La législation sur la TVA
La TVA est une taxe qui est absolument indifférente à la composition en matières premières non renouvelables, renouvelables, recyclées ou au nombre d’heures de travail. Le taux de la taxe s’applique uniformément à toutes les composantes du prix de vente. Pourtant, une société soucieuse de durabilité désirerait favoriser l’utilisation de ressources renouvelables, de matières recyclées et de main-d’œuvre plutôt que d’être indifférente à l’utilisation des ressources non renouvelables telles que les énergies fossiles ou les minerais extraits du sous-sol. Cette société voudrait que l’on modifie le régime de taxation en appliquant, d’une part, une taxe unique dissuasive sur l’utilisation des ressources non renouvelables (1) et un taux de TVA réduit, d’autre part. Ce petit changement législatif accorderait un avantage compétitif aux produits issus du recyclage ou basés sur des ressources renouvelables. Il serait profitable à la cohésion sociale en favorisant l’emploi, à l’empreinte écologique et à l’économie… Comme quoi, une législation vieillie nous entraîne vers des choix nuisibles.
La création monétaire
Actuellement, la monnaie est créée par le processus d’octroi de crédits, crédits des banques centrales aux banques commerciales et surtout crédits des banques commerciales qui prêtent plus que les dépôts qu’elles reçoivent, créant ainsi de la monnaie. La somme de tous ces crédits forme la masse monétaire. Or tout crédit se fait contre paiement d’intérêts. Pourtant, le montant des intérêts dû par les emprunteurs n’est pas créé au moment de l’octroi du crédit (2). Pour payer les intérêts dus, il faut donc que les emprunteurs "gagnent" de l’argent et, au niveau global, cet argent gagné ne peut qu’être retiré de la masse monétaire disponible. Il vient donc en déduction de la masse monétaire disponible pour les autres emprunteurs… qui auront d’autant plus de difficultés à rembourser leur dette que les premiers ont remboursé la leur. En quelque sorte, chaque fois que quelqu’un rembourse les intérêts de sa dette, il empêche quelqu’un d’autre de rembourser sa propre dette. La réussite de l’un bloque la réussite de l’autre !
À ce jour, la seule solution que l’on ait trouvé à ce problème est d’augmenter sans cesse la masse monétaire et donc d’augmenter sans cesse les crédits créant ainsi toujours plus de problèmes de solvabilité résolus à intervalles épisodiques, lors de crises financières, par les banques centrales qui injectent de la monnaie neuve.
Une société soucieuse de durabilité et de cohésion sociale développerait une réflexion sur le rôle social des intérêts. Elle se pencherait sur leur moralité quand ils sont appliqués au financement d’investissements publics affectés au bien commun. Une législation vieillie nous entraîne vers des choix nuisibles.
Le renouveau législatif
En Europe et en Belgique sonne l’heure des élections, il paraît urgent de recréer un consensus autour de la durabilité économique, sociale et environnementale.
C’est pourquoi, il me paraît prioritaire de revoir toutes les législations vieillies à l’aune de quatre critères : la cohésion sociale, la durabilité écologique, la pérennité des institutions et la pérennité des entreprises. Toutes les législations qui entravent la réalisation de ces critères doivent être modifiées. Nul doute que nos futurs représentants politiques, s’ils sont animés par l’intérêt général et le bien commun, auront à cœur de dégager un nouveau consensus social issu d’une réécriture consensuelle de ces textes. Nul doute qu’ils auront à cœur d’implémenter ces réformes progressivement en tenant compte des possibilités d’adaptation de la population. Ce serait là un beau programme de travail. Nous aurions là une simple et sérieuse méthode de travail pour sortir simultanément des crises belge, européenne, sociale, financière, budgétaire et écologique. Est-ce si compliqué ?
Oserions-nous imaginer que l’Europe prenne une disposition légale de respect universel de ses propres normes ? Toute personne physique ou morale ne pourrait faire exécuter directement ou indirectement, n’importe où sur la planète, toute opération qui ne respecterait pas les normes européennes minimales. Voilà une proposition originale qui diminuerait la concurrence sauvage, les diverses formes de dumping et les montages fiscaux. Cette suprême norme européenne élèverait, de fait, les standards dans tous les autres pays de la planète et, par ricochet, inciterait les entreprises à relocaliser des activités, à cesser la fraude fiscale. Elle favoriserait l’emploi ici et là-bas, diminuerait la pollution due aux flux internationaux de marchandises et stabiliserait la finance. J’ai fait un rêve… Que 2019 soit l’année du renouveau législatif pour le bien commun.
(1) : En réalité, il s’agirait d’une taxe sur la valeur des ressources soustraite du patrimoine.
(2) : Les banques ne créent et ne prêtent que le principal et non les intérêts.