Après la prison, toujours la prison ?
Publié le 10-01-2019 à 09h54 - Mis à jour le 10-01-2019 à 15h33
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On ne peut pas regretter la sortie de prison de Jean-Louis Denis, condamné pour des faits liés au terrorisme. Il a purgé sa peine et doit retrouver la liberté, ainsi le veut notre droit pénal. Le risque zéro n’existera jamais. Une opinion de Marie Messiaen, juge, administratrice de l'Association syndicale des magistrats.
La tribune de Jan De Troyer, intitulée "Retour sur un Noël à Londerzeel - vu de Flandre" évoque la sortie de prison de Jean-Louis Denis, condamné pour des faits liés au terrorisme. L’intéressé ayant purgé l’intégralité de sa peine, a retrouvé - à première vue tout à fait logiquement - sa liberté. Enfin… manifestement cette logique n’est pas celle du chroniqueur qui regrette que le Parlement n’ait pas adopté une loi autorisant la mise à disposition de la justice des terroristes libérés. La chronique se termine sur cette terrible interrogation : "Si l’un des islamistes libérés passe de nouveau aux actes, quelle excuse nos dirigeants pourront-ils avancer ?"
La finalité de la prison
La chronique appelle, selon moi, plusieurs réactions, touchant à l’essence même de la vie en société et de la nature du droit pénal.
Tout d’abord, elle repose la question de la finalité de la prison. Depuis toujours, trois finalités possibles ont été envisagées pour la peine d’enfermement : sanctionner le coupable, réparer le mal commis ou protéger la société, ce qui passe notamment par un processus de réinsertion des délinquants. Il me semble aujourd’hui indéniable que la seule finalité admissible - et réaliste - consiste en une sanction juste, individualisée et proportionnée, des infractions commises. Dans cette optique, une fois la sanction devenue définitive (parce que les voies de recours sont épuisées) et la peine purgée, le coupable retrouve sa liberté.
Les autres finalités de la prison, si elles peuvent être considérées souhaitables par certains, sont vouées à l’échec. Ainsi, si l’on envisage la peine comme une manière de venger les victimes, on doit accepter que la durée de la sanction soit illimitée, si on doit la mesurer à l’aune de la mort des victimes ou de la peine de leurs proches.
Reste enfin l’ambition d’une peine de prison qui assure la protection de la société - et c’est cette vision à laquelle semble adhérer Jan De Troyer dans sa chronique. Croire que l’enfermement des délinquants entre quatre murs, sans une politique de réinsertion volontariste, permettra de protéger la société, constitue une vision réductrice et irréaliste, par le nombre de détentions qu’elle pourrait engendrer. Si la peine n’est plus la conséquence des actes commis mais une manière d’anticiper les méfaits susceptibles d’être commis, on comprend tout de suite l’immensité sans limites du pouvoir qui serait reconnu au juge (ou aux autorités pénitentiaires) et les dérives intolérables qui en découleraient nécessairement. En outre, il est désormais incontestable que la prison est une école du crime, qu’elle engendre la radicalisation, la frustration et le ressentiment envers la société. Pendant combien de temps faudrait-il garder Jean-Louis Denis - et tous ses semblables - à l’ombre ? Nos prisons seraient-elles seulement assez grandes et l’État ne courrait-il pas à sa ruine, sachant que la prison coûte au contribuable belge plus de 3 472 € par détenu et par mois (selon les derniers chiffres de la Cour des comptes) ?
L’absence de remords, de la morale
On lit, en filigrane, dans la chronique, que ce qui choque véritablement Jan De Troyer, c’est l’absence de remords et de repentir manifestés par Jean-Louis Denis à sa sortie de prison. Ceci renvoie à la question - très judéo-chrétienne - du pardon. Si l’individu ne demande pas pardon, comment la société pourrait-elle lui pardonner et lui accorder sa confiance ? Aussi choquant soit le refus de reconnaître la gravité des actes passés, il faut toutefois admettre que la question relève de la morale et qu’elle se situe dès lors hors du champ du droit pénal. Et on comprend rapidement qu’elle doit y rester, sous peine de transformer notre société en une dangereuse dictature, où les intentions et les pensées elles-mêmes deviendraient punissables.
Enfin, le chroniqueur ne peut en aucun cas être suivi dans son raisonnement lorsqu’il reproche aux personnes condamnées de préférer aller "à fond de peine" plutôt que de bénéficier d’une libération anticipée, fût-ce sous conditions. Il s’agit d’une critique qui témoigne d’une profonde méconnaissance de la problématique, si ce n’est d’une certaine mauvaise foi… Les libérations anticipées ont été conçues initialement comme une faveur pour les détenus (il s’agit aujourd’hui d’un droit - conditionnel- des détenus), leur permettant de reprendre plus rapidement leur liberté, tout en demeurant sous la surveillance du ministre de la Justice ou des autorités judiciaires jusqu’au terme de leur peine et du délai d’épreuve consécutif. Depuis de nombreuses années - sous l’effet de la loi et de la jurisprudence des tribunaux d’application des peines - les possibilités d’obtenir des libérations anticipées se sont fortement réduites et de nombreux détenus choisissent effectivement de purger l’intégralité de leur peine, découragés par la lourdeur de la procédure ou afin de ne plus devoir rendre de compte à la justice. Au terme de leur peine, les détenus sont effectivement "lâchés dans la nature", ayant payé leur dette envers la société. On comprend difficilement que ce choix des détenus de renoncer à leur libération anticipée soit remis en cause, puisqu’il a pour conséquence directe de "garder à l’ombre" les intéressés pendant plusieurs mois ou années supplémentaires. N’est-il pas paradoxal de leur reprocher de choisir cette option, d’autant plus que les décisions de libération anticipée sont généralement taxées de laxistes par l’opinion publique ?
Ne pas limiter nos droits et libertés
Bien sûr que notre société doit tout mettre en œuvre, y compris par des mesures coercitives, pour lutter contre le terrorisme. On relève à cet égard les déclarations des autorités communales et de la Sûreté de l’État quant à la surveillance rapprochée dont fait l’objet Jean-Louis Denis depuis sa sortie de prison. Malheureusement, aussi insupportable que soit ce constat, le risque zéro n’existera jamais. Empêcher les personnes condamnées de recouvrer la liberté après avoir purgé la peine à laquelle ils ont été condamnés, ne permettra pas de diminuer le risque d’attentats terroristes, cela conduira juste à limiter, pour chacun d’entre nous, les droits et libertés si chèrement acquis par les générations qui nous ont précédés.