Une opinion de Frédéric Dobruszkes (ULB, vice-président de la Commission régionale de la mobilité), Michel Hubert (USL-B et ULB, responsable académique de l’Observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale), Christian Kesteloot (KU Leuven) et Pierre Laconte (secrétaire général honoraire de l’Union internationale des transports publics - UITP).
Ces derniers jours, le processus politico-administratif relatif au projet de métro Nord a connu une accélération, accompagnée des habituelles passes d’armes entre trois groupes. Primo, les pro-métros, qui pensent que seule une ligne de métro peut répondre aux défis de demain. Dans le camp adverse, les anti-métros qui estiment que des trams améliorés seraient moins coûteux et feraient l’affaire. Entre les deux, certains appellent à une politique de mobilité globale et intégrée.
Si l’on regarde froidement les éléments du dossier, tels qu’ils émanent des nombreux documents déjà produits (rapport d’étude d’incidences, avis des Commissions régionales de mobilité et de développement, débats parlementaires, etc.), que constate-t-on ?
Rappelons d’abord que le projet se compose de trois éléments emboités, mais pas nécessairement débattus simultanément : remplacement de la station Lemonnier, actuellement hors normes « métro », par une nouvelle station « Toots Thielemans » sous l’avenue de Stalingrad ; conversion de la ligne de pré-métro Nord-Midi-Albert en métro ; prolongement du métro de la gare du Nord à Schaerbeek et Evere. Le troisième élément impose le deuxième qui impose le premier.
Le processus de décision publique et de supposée concertation est biaisé depuis le début. Le Gouvernement bruxellois, la STIB et Beliris se sont entendus pour réaliser le métro Nord, laissant l’administration bruxelloise (Bruxelles Mobilité) et les communes au balcon. Beliris a alors lancé un appel d’offre pour un marché intégré, allant de l’étude d’opportunité (faut-il réaliser le métro Nord ?) aux études techniques détaillées en cas de décision favorable. Imagine-t-on un consultant privé conclure, au terme de la première phase d’étude, que le métro n’est pas vraiment nécessaire, au risque de se priver des juteuses études qui s’en suivent ? Qui entrerait dans un restaurant étoilé pour n’y déguster que les mises en bouche ? L’ensemble de ces projets implique un coût très élevé et par définition incertain, comme pour tout grand projet. Les projets publics, et en particulier de transport par rail, sont bien connus pour leurs dépassements budgétaires et leur ratio coûts/bénéfices souvent moins bons que prévus. Ici, depuis le début des débats, le coût a déjà été revu à la hausse, et est actuellement estimé à 1,8 milliard d’euros. Beliris, donc l’État fédéral, prendrait en charge 850 millions. Le solde est à charge de la Région bruxelloise, institution sous-financée et qui a déjà fort à faire avec l’entretien de ses tunnels routiers. L’impact budgétaire pour la Région est significatif, alors même que les besoins sont énormes, y compris pour d’autres politiques. Les coûts sont d’autant plus incertains que les travaux seront complexes car réalisés dans la nappe phréatique et dans une couche géologique peu propice et jamais creusée à Bruxelles sur une telle longueur. Dans d’autres villes, par exemple à Paris, des creusements de lignes de métro à grande profondeur ont endommagé des immeubles et conduit à des incidents graves, tel que l’inondation du chantier par la nappe phréatique. Pour ce prix, on est en droit de s’interroger sur les bénéfices et inconvénients attendus. Les études officielles prévoient que le métro Nord ne réduirait le trafic automobile que de 0,6 %. Sans même parler des conséquences du chantier, le gain environnemental (qualité de l’air et donc santé publique) et la réduction de la congestion dus au projet de métro seront donc infinitésimaux. Face à cette réalité, le discours officiel s’est alors déplacé vers un problème de capacité de la ligne de tram 55 et du pré-métro Nord-Midi-Albert. Certes, ces lignes connaissent des problèmes à certaines heures. Mais les alternatives au métro n’ont jamais été sérieusement étudiées, sinon de manière partiale. Le métro Nord, s’il devait se réaliser, impliquera pour de nombreux usagers des pertes de temps et de confort, à cause de la multiplication des correspondances, de la réduction du nombre d’arrêts et de la grande profondeur des stations. Beliris et la STIB ont assuré maintes fois que cela n’était pas grave et que le projet a été conçu de manière optimale. Une analyse détaillée de la conception des stations par la Commission régionale de mobilité a prouvé tout le contraire, au point que Beliris a fini par décider de revoir sa copie en ce qui concerne les ascenseurs. Petit pas, mais qui montre que tout n’est pas aussi parfait qu’annoncé.En conclusion, nous pensons que le dossier est mal ficelé, la prise de décision biaisée et le débat mal éclairé. Il est donc urgent de remettre à plat le dossier du métro Nord selon trois critères fondamentaux :
Une étude d’opportunité neutre et indépendante devrait être réalisée par deux groupes d’experts différents, dont les résultats seront comparés. Cette approche réduit le risque d’études orientées.
Leur mission doit se limiter à l’étude d’opportunité et ces experts et leurs employeurs seraient d’office écartés des éventuelles études ultérieures. Dans ce cadre, une véritable balance des coûts, des bénéfices et des inconvénients doit être réalisée, sur base d’hypothèses réalistes et d’alternatives plus diversifiées et en tenant compte de l’ensemble des défis auxquels la Région bruxelloise est confrontée.Sans une telle remise à plat, le risque est grand qu’un jour, la Cour des Comptes publie un rapport acerbe, semblable à celui relatif au RER(1). On y lirait simplement « métro Nord » au lieu de « RER »…
(1) Voir Cour des Comptes, Réseau express régional (RER), Mise en oeuvre et financement, rapport du 25 janvier 2017.