Greta Thunberg, docteure honoris causa ? Une fausse bonne idée

Contribution externe
Greta Thunberg, docteure honoris causa ? Une fausse bonne idée
©AFP

Une opinion de Bruno Colmant, docteur en économie appliquée, membre de l'Académie royale.

N’y a-t-il pas, dans cette remise, une confusion sur ce qu’est un doctorat et sur ce que sont ses finalités ?

L’écrivain français Georges Bernanos disait qu’à chaque génération, la jeunesse du monde pose à ses vieillards une question à laquelle ils n’ont pas de réponse. C’est l’enjeu des manifestations jeunes et citoyennes exigeant de dépasser l’immobilisme politique pour répondre aux messages relayés par la communauté scientifique en faveur de la transition énergétique et des modifications de comportements. Certains disqualifient cette jeunesse mobilisée au motif de certaines contradictions qui peuvent animer son action. Mais qu’importe : l’enjeu est planétaire et chaque citoyen se doit de faire progresser l’humanité avec l’exigence de la recherche de l’intérêt général et de l’apaisement des futures générations.

Greta Thunberg, cette adolescente suédoise, s’est imposée comme la figure d’un raz-de-marée universel. Elle interpelle sans relâche les dirigeants politiques. En Belgique aussi, de jeunes filles ont amplifié cette prise de conscience et leur combat est admirable. J’ai rencontré à plusieurs reprises Anuna De Wever et Adélaïde Charlier et j’en ai tiré la certitude d’une force de conviction qui inspire le respect et l’adhésion.

L’Université de Mons vient d’annoncer son souhait d’octroyer les insignes de docteure honoris causa à Greta Thunberg, et je m’interroge sur le bien-fondé de cette démarche. Un doctorat honoris causa exprime essentiellement la reconnaissance d’une action accomplie. Or, ici, le combat ne fait que commencer. Si Greta Thunberg relaie le message incontestable de milliers de chercheurs interpellés par la dégradation planétaire, ce qu’elle revendique, c’est l’action politique décisive plutôt que la confirmation du bien-fondé de son combat. De surcroît, je me demande si les insignes de doctorat sont réellement ce que cette génération exige puisqu’elle demande une rupture de pensée plutôt que le prolongement de traditions.

On argumentera que Greta Thunberg recevrait ses insignes au même titre que l’économiste et expert en matière de problématique climatique Nicholas Stern et que l’écologiste Nicolas Hulot, et que c’est donc un mouvement et un courant de pensée plutôt qu’une personnalité qui sont promus. C’est dans ce cadre que je suis troublé : ne confondons-nous pas une expression médiatique, certes éminemment respectable, avec les réalités académiques des chercheurs qui, dans l’humilité de leurs travaux doctoraux, ont contribué à alerter l’opinion publique au sujet du réchauffement climatique ? Un doctorat est une longue et pénible démarche de contribution à l’élévation des savoirs. Il exige des années de travail. Ce travail ne lui donne pas de légitimité absolue mais l’indice de la contribution au vaste mouvement de l’amélioration des connaissances. C’est pour cette raison que j’ai toujours ressenti un certain embarras à utiliser la même terminologie pour récompenser un travail scientifique, d’une action reconnue mais exogène à l’université. À mon intuition, ce n’est pas dans l’utilisation de son prestige, mais dans la promotion de sa mission de recherche interne, que l’université doit se situer. La difficulté est d’ailleurs pour l’université de déterminer quels sont les critères d’octroi des doctorats honoris causa.

Ma conviction est que le véritable but, et l’ascèse de l’université, consistent à affirmer la nécessité de la recherche scientifique et de l’amplification des connaissances partagées. Son combat est de rappeler que le flux médiatique et l’expérience personnelle ne sont pas des substituts à la somme des savoirs. Son aboutissement est de projeter l’interpellation sociétale par sa propre recherche et la diffusion de l’humanisme, plutôt que par l’appropriation médiatique.

En l’espèce, je crois qu’il eût été plus sage d’accompagner Greta Thunberg par des budgets de recherche et par des chaires universitaires plutôt que par une expression symbolique qui ne lui sera que de peu d’aide dans sa démarche, et dont elle ne se prévaudra probablement pas à l’aune de son combat de rupture.

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