Justine Henin : "J’ai trouvé la paix intérieure"
Justine Henin a tout donné au tennis et l’a quitté en pleine gloire. Aujourd’hui, elle gère son académie de tennis, commente les grands événements sur France Télévision. Elle jette un regard lucide sur “sa vie d’avant”, belle mais dure. Et raconte le chemin, presque spirituel, qui l’a amenée à être ce qu’elle est aujourd’hui, une femme et une maman enfin en paix.
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Publié le 28-07-2019 à 08h16 - Mis à jour le 28-07-2019 à 10h26
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Cet été, chaque samedi, nous vous proposons une série de portraits de huit femmes. Femme sportive, femme artiste, femme de média, femme politique, femme engagée dans la société. Après Sophie Wilmès (ministre), Nathalie Maleux (journaliste), Typh Barrow (auteure-compositrice-interprète), voici…Justine Henin, joueuse de tennis : 43 titres en simple dont 7 en Grand Chelem. Elle a tout donné au tennis et l’a quitté en pleine gloire. Aujourd’hui, elle gère son académie de tennis, commente les grands événements sur France Télévision. Elle jette un regard lucide sur “sa vie d’avant”, belle mais dure. Et raconte le chemin, presque spirituel, qui l’a amenée à être ce qu’elle est aujourd’hui, une femme et une maman enfin en paix.
Il doit avoir 6 ou 7 ans et vient de débouler à la cafétéria, après son cours de tennis. Il s’arrête et lance en nous regardant : “C’est ton mari… ?” Justine Henin sourit : “Non non, ce n’est pas mon mari”. Sans attendre la réponse, le p’tit gars s’installe à une table voisine, déballe son pique-nique et avale ses tartines. Ça creuse, le sport.
Concentrée, Justine Henin poursuit son récit de vie entamé une heure plus tôt. Est-ce un hasard si elle est née un premier juin, au milieu du tournoi de Roland Garros ? Cette année-là, en1982, Mats Wilander gagnait son premier Roland Garros et Martina Navratilova s’imposait chez les dames.
Elle raconte : “J’ai eu beaucoup de chance, j’ai grandi avec mes deux grands frères, David et Thomas, qui ont 7 et 9 ans de plus que moi”. Les deux garçons et leur papa adorent le sport, le foot et le tennis en particulier. Dès qu’ils terminent un match, ils continuent à jouer à la balle avec leur petite sœur. Qui adore ça. À la maison, elle ne quitte pas la table de ping-pong de la salle de jeu. Dans la cuisine, face au mur sans armoire ni étagère, avec une petite raquette, elle tape sur la balle matin, midi et soir. C’est une solitaire. “J’avais un caractère assez fermé, j’étais déjà dans l’introspection. J’étais dans mon monde. Quand je jouais, je regardais la balle jaune aller et venir. Des centaines, des milliers de fois.”
C’est le tennis qui est venu à moi…
Elle grandit à Rochefort. Les enfants se baladent en toute quiétude. Dès qu’elle rentre de l’école, les devoirs finis avec sa maman, professeure de français et d’histoire, elle franchit la rue, le parc, le petit talus et va jouer au club de tennis. L’été, elle y passe deux mois. En juin, la famille au grand complet regarde le tournoi de Roland Garros. À cinq ans, la petite Justine se rêve en championne. “Je m’enfermais dans ma chambre. Je me voyais en finale, à Paris. Je me jetais sur le sol à la fin du match. Puis, je levais les bras au ciel comme si j’avais gagné. Je portais le trophée et répondais aux questions des journalistes. Mentalement, j’étais sur le court. C’était plus qu’un rêve, j’étais absolument convaincue de ce que je voulais. Je n’ai pas choisi le tennis. C’est le tennis qui est venu à moi.”
Jusqu’à 12 ans, elle pratique intensivement le tennis et le football. Un vrai garçon manqué. Puis, elle se consacre au tennis. Elle est vite repérée et soutenue par la fédération francophone de tennis. Elle a un sens remarquable de la balle et un goût pour les matchs. “À la base, la confiance en moi n’était pas quelque chose d’inné. D’autant que je devais affronter des filles plus grandes que moi. Mais j’aimais bien ce challenge. Je sentais en moi le goût du dépassement de soi. C’était aussi, je crois, une manière de me battre contre mon anxiété.” Les progrès sont constants. Elle décroche sa première grande victoire en 1994 en remportant la coupe de Borman, le championnat de Belgique.
Maman me disait : “fais-le à fond”
L’élan se brise net en 1995. Sa maman meurt d’un cancer. Justine Henin n’a que 13 ans. Sa petite sœur en a 8. Ses parents ont tout donné à leurs quatre enfants. En réalité, ils en ont eu cinq : leur premier trésor est décédé accidentellement à l’âge de deux ans et demi. “Cela a conditionné une grande partie de l’histoire de mes parents qui avaient commencé leur vie par ce drame absolu. Ils ont été merveilleux. Ils nous conduisaient partout pour nos activités. Ma maman était moins impliquée que mon papa dans ma carrière. Mais elle me disait : si c’est cela que tu choisis, fais-le à fond. Serais-je devenue la même championne si elle était toujours là ? Je ne sais pas”. C’est à elle qu’elle dédiera ses victoires et notamment une des plus belles sans doute, Roland Garros en 2003 : “J’avais déjà gagné beaucoup de tournois chez les jeunes. C’était splendide. Mais Roland Garros, c’était le rêve d’une vie, de la petite fille de cinq ans, dans sa chambre. Je venais d’avoir 21 ans. Ce fut un moment d’éternité et en même temps, je ne me rendais pas bien compte de ce qui arrivait.”
Elle a dû se battre. Certains étaient sceptiques, pensaient qu’elle ne ferait pas le poids face à de grandes cogneuses, qu’elle serait fragile, mentalement. Mais elle y croit et poursuit son ascension. Ce chemin, elle ne l’a pas parcouru seule. Elle le doit en grande partie à un homme, Carlos Rodriguez : “Il a été LA personne qui a entrepris ce travail de confiance en moi. Il m’a dit : si tu veux être la numéro 1, tu peux y arriver et on va travailler dur pour cela”. Carlos Rodriguez la pousse dans ses derniers retranchements. Justine Henin progresse, collectionne les victoires. “J’avais envie de montrer que j’étais capable d’y arriver. Il fallait que je trouve ma place dans le tennis mondial. Je me remettais en question en permanence parce que je savais que cela pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Il fallait que je me surpasse parce qu’il y avait cette rivalité avec Serena Williams. On travaillait énormément avant les matchs et après. J’ai beaucoup travaillé seule dans ma tête et avec Carlos.”
En pleine gloire, elle arrête
Et cela paye. Elle acquiert un mental d’acier, les victoires s’enchaînent. Les commentaires sont dithyrambiques. Pour John McEnroe, son revers à une main est le meilleur du tennis féminin de tous les temps. Elle arrive au sommet : numéro 1 mondiale. Mais le 14 mai 2008, alors qu’elle occupe la tête du classement depuis 114 semaines, elle annonce qu’elle arrête le tennis. Stupeur générale. Il faut relire les journaux de l’époque. L’incrédulité est générale. L’Équipe titre “Justine a choisi une fin de reine”. Onze ans plus tard, elle explique : “Dans ma vie, j’ai laissé beaucoup de choses pour le tennis. Le deuil de ma maman, des problèmes familiaux, relationnels, ma vie sociale. Cette année-là, ma sœur venait de vivre un drame personnel. Et je n’étais pas là. On avait décidé ensemble que je ne revenais pas en Belgique. J’avais gagné les masters de Madrid, pour elle. Mais, au plus profond de moi, j’avais envie d’être près d’elle pour la soutenir. Il y a eu une fatigue mentale. J’ai pris conscience que j’avais mis beaucoup de choses dans mes tiroirs pour me consacrer à ma carrière. Le tennis avait pris une place énorme, j’avais poussé cela à l’extrême. J’ai aimé cela, j’ai adoré cela, ce parcours, cette exigence totale. Cette tranche de vie m’a donné énormément. Mais il y a un prix : je n’avais pas réellement eu d’adolescence”.
Elle arrête donc et éprouve un formidable sentiment de liberté. De très courte durée. La compétition lui manque. Elle perd ses repères. Et, finalement, décide de revenir. “J’avais envie de vivre une deuxième carrière avec un nouvel équilibre, vivre ma vie en tant que femme en assurant aussi de nouvelles performances.” Et elle repart en effet. Mais c’est un demi-succès. Elle se blesse au coude. Les médecins sont formels : il faut arrêter. Elle accepte le verdict des médecins et de son corps.
À l’étranger 45 semaines par an
Pas facile de revenir au pays. Pendant toute cette période, elle est à l’étranger 45 semaines par an. Elle tourne avec le soleil et ne connaît pratiquement pas les saisons. “Ma force, c’était cette capacité à accepter cette routine qui me sécurisait. Entraînements, matchs, interviews, hôtels, avions. Et on recommençait. Il y avait une forme de déséquilibre, mais j’aimais cela. Au fond, on est souvent seule avec soi-même. Tout ce que je retiens, c’est le perpétuel dépassement de soi.”
Aujourd’hui, totalement investie dans l’académie de tennis qu’elle a créée en 2007, au club qu’elle a repris, à Limelette, non loin de Wavre, elle dit son besoin d’apprendre de nouvelles choses. Pas au niveau tennistique, évidemment, mais au niveau psychologique. “Je voudrais me former en psychologie du sport. Le mental, ça se construit. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est la transmission, le partage. Je m’investis beaucoup dans l’accompagnement des enfants, mais aussi des parents. Leur rôle, aux côtés de jeunes joueurs qui développent des aptitudes sportives particulières, n’est pas toujours évident.” Dans le programme “élite”, le club accueille Sofia Costoulas, numéro 1 européenne chez les moins de 14 ans. Tous les espoirs sont permis. Même si, pour Justine Henin, le tennis, ce n’est pas qu’un sport de haut niveau, c’est aussi, surtout, un bonheur : celui de voir des jeunes jouer ensemble, ou de voir des sportifs plus âgés passer un moment convivial au club et boire un coup, entre amis.
“J’aime ma vie plus stable, plus paisible”
À présent, elle jette un regard lucide sur le passé et sans nostalgie : “Je ne donnerais rien de ma vie d’aujourd’hui pour revivre ma vie d’avant. Aujourd’hui, j’aime ma vie plus stable, plus paisible. Je vis ma vie de femme et de maman très intensément”. Avec son mari, Benoît, et ses deux enfants, Lalie et Victor. “Je suis une maman très présente. Le grand défi, c’est de leur donner la confiance en soi. Moi qui veux être toujours performante en tout, j’ai vite compris, qu’en réalité, en tant que parent, on fait ce qu’on peut. C’est mon plus beau rôle, celui de maman. Mais je veux aussi assumer mes autres rôles, celui d’épouse, celui que j’ai dans la vie professionnelle.”
Elle s’investit aussi avec passion dans les activités de sa Fondation “Justineforkids”, qui vise à donner du bonheur aux enfants atteints d’un cancer ou porteurs d’un handicap. Bientôt, une “maison de répit”, à Namur, accueillera les enfants au sortir de longues hospitalisations.
Bavarde comme une pie, Justine détaille, raconte, fait des allers-retours entre sa vie d’aujourd’hui et “celle d’avant”. On sent toujours l’envie, la volonté, une énergie. “J’ai besoin de continuer à apprendre, à me former. J’ai été gâtée par la vie. Je ne changerais pas grand-chose. La vie, c’est un parcours, on vit des moments compliqués, des moments de grande joie. Avant, j’étais très seule. Aujourd’hui, il y a les autres, ma famille, mes amis. C’est cela qui m’a construite. J’ai pris conscience de la beauté de la vie, malgré les épreuves que j’ai traversées. J’étais une grande angoissée de la mort. À présent, je suis beaucoup plus apaisée. J’ai trouvé la paix intérieure.”