Les pouvoirs publics doivent aider les victimes de l’illectronisme
Publié le 09-10-2019 à 09h28 - Mis à jour le 09-10-2019 à 13h34
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Le numérique ne doit pas être un mécanisme d’exclusion. Face à la dépendance technologique grandissante, nos gouvernements doivent venir en aide aux illettrés numériques, démunis face à un ordinateur. Une opinion de Pierre Boucher et Francis Cochez, respectivement président et vice-président des Senior MR.
À l’heure de la dématérialisation tous azimuts, la digitalisation de la société entraîne une révolution conduisant à de nouveaux systèmes (e-commerce, banques et achats en ligne, fournisseurs d’énergie, abonnements divers, gaming, eHealth, etc.) qui apportent un gain véritable pour la collectivité. Il s’agit d’une nécessité qui n’est pas contestable.
Toutefois, face à cette révolution numérique, un nombre important de nos concitoyens, estimé à plus d’un million de personnes, manquent d’aptitudes technologiques. Ils rencontrent des obstacles au quotidien les laissant sur le "banc". La Fondation Roi Baudouin a d’ailleurs mis en lumière cette nouvelle forme d’exclusion en promouvant le film Je viens d’une autre planète. Ce phénomène impacte plus de 25 % des seniors de plus de 60 ans et plus de 40 % des seniors de plus de 80 ans, mais également - dans une moindre mesure - une partie de jeunes pourtant familiarisés avec les consoles de jeux ou les réseaux sociaux mais désemparés dès que l’utilisation devient moins ludique, sans parler de la population précarisée. N’oublions pas que notre pays compte encore près de 10 % d’illettrés !
Une réalité qui touche un Belge sur dix
L’inhabileté numérique, plus communément appelée "illectronisme", désigne le manque ou l’absence totale de connaissance des clés nécessaires à l’utilisation ou à la création des ressources électroniques. Cette difficulté se rencontre dans les démarches administratives, l’accès à l’information, la recherche d’emploi, de logement, la rédaction d’un CV, la prise de rendez-vous médicaux, les transports, etc.
Les automates et canaux de vente numériques sont disponibles 24h/24 sept jours sur sept. La grande majorité des produits et services, comme pour la SNCB par exemple, s’y trouvent et même les abonnements peuvent être prolongés via ceux-ci.
Selon les chiffres les plus récents, un Belge sur dix n’a jamais utilisé un ordinateur, ou n’a jamais consulté Internet (1).
Or, dans le déploiement de cette stratégie digitale, les plus âgés parmi les séniors sont les premiers concernés par les difficultés d’utilisation. Ils se retrouvent la plupart du temps laissés pour compte. Il faut par conséquent que les gouvernements mettent rapidement sur pied une stratégie destinée à lutter contre cette forme d’exclusion.
Une situation discriminante
Les exemples se multiplient. Prenons le cas d’un individu de plus de 60 ans qui ne sait pas ou n’utilise que très peu ces automates. Sans aide ou guichet accessible, il empruntera, par exemple, un train et souhaitera payer directement l’accompagnateur. Il ne s’agit pas pour lui d’une question de temps ou d’un oubli mais de son incapacité à utiliser des automates ou autre système numérique. Dans son cas, agissant pourtant de bonne foi, le prix du trajet payé dans le train sera nettement plus élevé que l’achat d’un billet classique (surcoût lié à une pénalité lors de l’achat dans le train). Cette situation est anormale et conduit à des discriminations.
Dans cet exemple précis, si notre société se doit de prendre le pas de l’évolution numérique, cela peut-il se faire au détriment d’une partie de la population ? Ne devrait-on pas permettre des dérogations, comme la possibilité pour certains de prendre directement son billet dans le train, sans pénalité ? Cela se justifie pleinement.
Si l’on peut accepter la diminution, voire la disparition, des guichets (et cela s’applique à d’autres domaines : acheter un billet de transport en commun (bus, tram, métro ou train), inscrire ses enfants à l’école, prendre rendez-vous dans une administration ou une clinique, etc.), il n’en demeure pas moins que pour une partie de la population, le contact direct reste actuellement le seul moyen d’accéder aux services.
À quand une prise en considération de tous afin de bénéficier de ces évolutions sans perdre une part de la collectivité en chemin ? Est-ce ce type de société où la dépendance technologique sera accrue que nous souhaitons ? La question reste posée mais la réponse doit encore être trouvée. Il semble que l’intelligence artificielle, et notamment la reconnaissance vocale, constitue une piste crédible à moyen terme mais entre-temps il subsiste un vide qu’il faut combler au nom de l’équité et de la justice sociale.
On doit certes accepter et même encourager l’émergence d’une société "plus numérique", mais il faut parallèlement apporter rapidement à de nombreux citoyens des solutions face à ce problème dont les racines sont autant technologiques que sociales.
Il faut adopter une démarche positive et concrète. Nous exhortons les divers gouvernements et, dès lors, l’action publique, à mettre en place un mécanisme d’accompagnement individuel qui bénéficierait à toute personne - souffrant d’illectronisme ou fragilisée ou habitant les zones blanches ou ne disposant pas des possibilités et des facultés de suivre le train de la digitalisation - afin que le numérique ne devienne pas un mécanisme d’exclusion.
Dans une société solidaire, personne ne doit rester sur le bord du chemin, chacun doit pouvoir avancer selon ses aptitudes.
(1) : Enquête TIC ménages et individus (2015-2017), SPF Économie - DG Statistique - Statistics Belgium