L’avortement doit être considéré comme un droit des patientes

Contribution externe

Une opinion Miriam Ben Jattou et plusieurs signataires (voir ci-dessous). Ce texte a été initialement publié dans le cadre du Riposte contradictoire "Faut-il totalement dépénaliser l'avortement?". L'opinion contradictoire est intitulée Congés de maternité: "Les femmes belges sont parmi les moins bien loties d’Europe".

En ce début de législature fédérale, le débat sur la dépénalisation totale de l’IVG est de retour dans l’hémicycle. En effet, la loi du 15 octobre 2018 (1) qui actualisait la loi de 1990, avait consisté en une réforme partielle, faite d’avancées à la marge, laissant les femmes et de nombreuses associations et professionnel.le.s de terrain insatisfait.e.s.

L’ancien Premier Ministre, Charles Michel, vantait cette loi d’être une avancée historique pour les droits des femmes. Celle-ci était en réalité un leurre car, malgré la sortie effective de l’IVG du Code pénal, les femmes qui y recourraient et les médecins qui la pratiqueraient en dehors des conditions prévues resteraient punissables sur le plan pénal. Peut-on dès lors réellement parler d’une dépénalisation totale et d’une telle avancée historique ?

Pour la suppression des sanctions pénales Dans le courant du mois d’octobre 2019, quatre propositions de loi concernant la dépénalisation de l’IVG ont été présentées en Commission Justice de la Chambre. À l’issue d’un travail parlementaire de convergence, un compromis a été trouvé, qui reprend les mesures suivantes :

  • Le délai d’interruption volontaire de grossesse passe de 12 à 18 semaines à partir de la conception ;

  • Le délai de réflexion obligatoire imposé aux femmes qui demandent une IVG passe de 6 jours à 48 heures ;
  • L’obligation faite aux médecins d’informer la patiente sur les possibilités d’adoption est supprimée ;
  • Les sanctions spécifiques en cas de non-respect des conditions légales sont supprimées.
  • Pourquoi ne pas y consentir alors qu’un arsenal juridique est déjà prévu dans le droit commun de la responsabilité civile et pénale et s’applique en tout état de cause aux praticien.ne.s ? En effet, ils et elles sont soumis aux règles de droit comme l’interdiction des coups et blessures volontaires et involontaires ou encore à l’interdiction de procéder à une IVG sans l’accord de la patiente.

    Pourquoi vouloir ajouter des sanctions pénales spécifiques à l’IVG ? Pourquoi contribuer encore et toujours à la stigmatisation des femmes qui y recourent ? Pourquoi inquiéter les médecins sans nécessité, dans la mesure où ceux-ci et celles-ci agissent toujours dans le cadre de leur responsabilité civile, pénale et déontologique préexistante ?

    Il est grand temps de sortir de la dimension moralisatrice qu’implique le maintien de ces sanctions spécifiques. Il est urgent d’adopter une conception de l’IVG qui a trait à la santé publique et aux droits des femmes en général. L’avortement doit être considéré comme un droit des patientes : c’est à dire comme un acte médical et non comme un délit. Les dispositions légales qui l’entourent doivent donc s’apparenter à une loi de santé publique et non un cadre légale moralisateur !

    Pour l’intégration d’un critère psycho-social Une mesure particulière est reprise dans les propositions des partis Ecolo, PTB et Défi (mais actuellement non soutenue par une majorité NdlR): la possibilité de pratiquer une IVG au-delà des 18 semaines légales lorsque cela s’avère justifié sur la base d’un critère psycho-social.

    Dans la pratique, cette clause permettrait de couvrir des circonstances particulières comme les cas de violences conjugales, de viol ou encore de déni de grossesse. Il s’agit d’une avancée importante pour les femmes.

    Cette loi aurait pour conséquence que, jusqu’à 18 semaines, les femmes seraient les seules à décider de la poursuite ou non de la grossesse. À partir de 18 semaines, cette décision serait discutée avec les médecins, sur la base de critères précis. L’ajout de ce critère concernerait une très petite minorité de femmes mais pourrait apporter un soulagement énorme aux quelques concernées.

    Rappelons que selon une étude de l’Université de Hasselt, 75% de la population belge est prête à voir l’IVG dépénalisée et ses conditions assouplies (2).

    Notre travail de lobbying auprès des politiques montre que ces deux points, la suppression des sanctions spécifiques ainsi que l’ajout d’un critère psychosocial, continuent d’être problématiques alors qu’il s’agirait d’avancées considérables pour les femmes.

    Maintenant que le débat a été mené au parlement et dans la société, il est temps d’avancer et de mettre fin aux mesurettes. Une grossesse non désirée et qui ne peut être interrompue est une grossesse forcée, ce qui représente, à tout le moins, une violence à l’égard des femmes.

    Liste des signataires

    Femmes de Droit – Droit des femmes, ASBL

    Miriam Ben Jattou, juriste féministe,

    Deborah Kupperberg, militante féministe,

    Manoë Jacquet, militante féministe,

    Nathalie Collignon, militante féministe,

    Amélie Duprez, militante féministe,

    Paola Hidalgo, militante féministe,

    Anne Piccin, militante et psychomotricienne féministe,

    Sylvie Lausberg, Présidente du Conseil des Femmes francophones de Belgique,

    Bruxelles Laïque,

    Gachepa,

    Katinka in 't Zandt, Présidente du Gachepa,

    La Voix des Femmes,

    Jérôme Duprez, militant pro-féministe,

    Garance,

    Cecília Vieira da Costa, militante feministe.

    1 Loi du 15 octobre 2018. — Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, abrogeant les articles 350 et 351 du Code pénal et modifiant les articles 352 et 383 du même Code et modifiant diverses dispositions législatives.

    2 https://www.laicite.be/75-des-belges-pour-la-sortie-de-l-ivg-du-code-penal/

    Titre de la rédaction. Titre original: IVG Vers une réelle dépénalisation

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