Le design du IIIe Reich, un outil de séduction et de manipulation

Xavier Zeegers
Le design du IIIe Reich, un outil de séduction et de manipulation
©D.R.

La terreur peut être déguisée sous un beau déguisement. En témoigne le vif succès de l’exposition sur le design du IIIe Reich au Musée Den Bosch aux Pays-Bas. Une chronique de Xavier Zeegers. L’exposition sur le design du IIIe Reich au Musée Den Bosch, aux Pays-Bas, connaît un grand succès. Dès lors les démocrates appellent à la vigilance, craignant "une glorification du nazisme". Chose répréhensible s’il s’agissait d’une apologie hypocrite, en douce. Mais les organisateurs s’en défendent, évoquant une action propédeutique consistant à exposer les artefacts d’une période horrible pour nous inciter à réfléchir. Y compris sur nous-mêmes et il y a de quoi : si Hitler avait pu déposer ses droits d’auteur sur les images d’une guerre dont il fut responsable, il aurait été milliardaire car les images de Stukas plongeant vers leurs cibles, les Katioucha crachant le feu comme on hoquette et les immeubles s’effondrant comme les tours du WTC en 2001 sont très rentables, car il y a d’évidence une esthétique du malheur. Le morbide attire autant, voire plus, que la bonté, comme le prouvent les audimats des trop nombreuses séries policières télévisées. La fascination du mal ne se résume donc pas au seul nazisme et nous sommes tous un peu voyeurs. Cela se voit sur les routes où les collisions provoquent deux files : celle bloquée par le crash et celle d’en face ralentie par les gourmands de drames.

Cette exposition détournera-t-elle les pyromanes potentiels avides d’incendies apocalyptiques ? On en doute car ils disposent déjà d’un poison efficace : l’utilisation pernicieuse des réseaux sociaux en un cocktail de haine et de sadisme déchaînés au quotidien, où le harcèlement, les agressions et même appels au meurtre sont banalisés et impunis. Les débris des malheurs passés étaient dans le même registre, celui du dérapage collectif de foules grégaires, dont Wilhelm Reich dans sa Psychologie de masse du fascisme a décrypté l’essence.

À l’entrée de l’expo se trouve la mythique Coccinelle conçue par Ferdinand Porsche. Une triple réussite : commerciale, esthétique et politique. Car l’objet parfait, c’est l’œuf, qui comme elle agrège le rond et l’ovale, et donne envie de la caresser comme un enfant son doudou. Symbole de pouvoir et d’égalité aussi : chacun, s’il est sage, aura son auto, et donc sa liberté dans l’égalité. Quelle imposture ! Mais voilà, "l’image c’est le message" disait McLuhan. Et nos objets sont plus que des objets, ils parlent de nous et pour nous. Osons le dire : les créatifs nazis, tels le styliste Hugo Boss, conçurent des costumes fascisants et… fascinants. Ces faquins savaient que l’uniforme habille l’esprit autant que le corps ; d’où les tenues des SA et SS, faites pour tétaniser, sidérer. Les bottes en cuir, les manteaux tombant parfaitement, les casquettes bien profilées, les décorations épurées, cela était fichtrement efficace. Et Leni Riefenstahl était une cinéaste de génie, cf. les J.O. de Berlin qu’elle immortalisa. Les rassemblements nocturnes et flamboyants, les foules alignées au millimètre près (Staline adorait cela aussi) tout était parfaitement planifié. Raison de plus pour se méfier.

Ainsi de la publicité contemporaine, qui nous prend pour ce que nous sommes : des machines désirantes. Et entend assouvir nos désirs, quitte à en créer sans cesse. Jean De Vries, conseiller historique de l’expo, dit qu’elle contient un message alarmant : que la terreur peut être déguisée sous un beau déguisement. Et comment ! Quand le ramage ne correspond pas au plumage, il peut créer des ravages. C’est ce que découvrent les femmes victimes des menteurs pervers. Hitler, qui n’avait rien du David de Michel-Ange, ne manqua jamais d’admiratrices… Toute conquête est une tentative de séduction à double face, janusienne. Il y a la pub festive : Du beau, du bon, Dubonnet. Et la sinistre propagande : ein Volk, ein Reich, ein Führer. Le bon choix dépend de notre vigilance. Léo Marjane, égérie du régime de Vichy (puis repentie), décédée à 104 ans, chantait ceci : J’ai vendu mon âme au diable Mon pouvoir est formidable Mais le diable est sans secours Bonnes gens contre l’amour

(1) xavier.zeegers@skynet.be

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