En 2020, rendons aux élèves l'impulsion d'apprendre
Publié le 13-01-2020 à 09h47 - Mis à jour le 13-01-2020 à 10h06
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Une chronique de Cécile Verbeeren, professeure de français en 6e technique de qualification dans une école d'Anderlecht.
Pour vaincre la flemme, ce nouvel opium des élèves, il est du rôle des enseignants de rendre l’impulsion aux jeunes.
Début d’année, bonnes résolutions et tentative de recentrage sur ce qui me semble fondamental dans mon métier : je me pose cette question d’apparence rudimentaire "pourquoi apprendre ?". Giambattista Vico y répond avec une simplicité étonnante dans son discours d’ouverture de l’année universitaire à Naples en 1732 : "pour contribuer au bonheur humain, pour partager".
Curieuse de connaître la réponse de mes élèves à cette même question, je leur ai posée. Tiffany, 6e technique de qualification, se lance : "Apprendre, c’est découvrir, être capable d’évoluer, s’interroger sur ce qu’il y a autour de nous, acquérir des connaissances pour avoir accès à un (meilleur) emploi.". Yasmina renchérit : "Apprendre pour enrichir nos connaissances, pour vivre car si on n’apprend pas, on reste enfermé chez nous." De là, la classe part dans un débat sur la distinction entre exister et vivre. Apprendre pour vivre, donc. Kévin précise : vivre, c’est différent de survivre, le passage de l’un à l’autre se fait grâce aux apprentissages. À Mamadu d’acquiescer, "l’être humain est conçu pour apprendre, c’est son cerveau qui le distingue des autres animaux qui eux, restent dans la survie". Dans cette idée de développement du cerveau, Martina approfondit : "L’apprentissage permet le développement du cerveau et permet d’avoir confiance car on évolue. Ça aide à gérer les problèmes. En apprenant, on commence à se comprendre, ça permet de développer la tolérance envers soi-même et envers les autres." Sabrina ajoute : "Oui, apprendre ça permet d’éviter de faire les mêmes erreurs, ça nous met en confiance, on se sent légitime." Mais très vite, la discussion prend une tournure toute différente lorsque Bassma interrompt la discussion en assénant : "On a la flemme d’apprendre, Madame." Je ne rate pas l’occasion de réagir : "D’où vous vient cette flemme ?" Le raisonnement dialectique qui s’en suit se fait en un éclair et mobilise l’unanimité : la fatigue accumulée par la dépendance aux réseaux sociaux et aux technologies qui installent les élèves dans un état de léthargie, lui-même cause et conséquence d’une mauvaise alimentation et d’un mauvais sommeil. Ils reconnaissent leur addiction à l’instantanéité : l’instantanéité de la Toile, l’instantanéité des fast-food,… l’instantanéité de la vie.
Peu compatible avec l’apprentissage qui, pour revenir à Vico, nous demande de prendre le temps de regarder, humer, sentir, explorer une dimension supérieure et de libérer son esprit des choses vulgaires, étriquées, amidonnées. Autrement dit, sortir des insignifiances quotidiennes et prendre de la hauteur. Pour apprendre, il faut mettre de la volonté et de l’énergie, cela suppose un mouvement, une action. La "flemme", ce nouvel opium qui s’insinue avec fourberie dans nos vies, cadenasse le corps et l’esprit, paralyse notre envie d’apprendre et d’alimenter les relations humaines par les savoirs. Et par là, elle nous isole.
Au XXIe siècle, l’élan héroïque de Vico prend une dimension nouvelle. Celle de sortir de notre marasme, d’oser cultiver un point de vue généreux, compétent, ouvert, qui fait le tour du monde par les savoirs mais toujours et exclusivement avec comme visée, le bonheur humain.
En 2020, l’enseignement et subséquemment les professeurs, artistes de l’apprentissage, jouent un rôle prépondérant et primordial pour donner l’impulsion aux jeunes et opérer cet élan. En cette nouvelle année, c’est ce que je souhaite à tous les acteurs de l’enseignement : devenir des héros de la lutte anti-flemme et de la construction de l’esprit.