Joachim Lafosse à propos des Magritte : Notre cinéma vaut mieux que ce marketing vulgaire et des blagues sans finesse

Sans public, il n’y a pas d’œuvre, et nous ne pouvons plus jamais commencer une fête du cinéma en critiquant les spectateurs, comme ce fut le cas samedi dernier. Je veux donc ici, de tout mon cœur, les féliciter et les remercier.

Contribution externe

Sans public, il n’y a pas d’œuvre, et nous ne pouvons plus jamais commencer une fête du cinéma en critiquant les spectateurs, comme ce fut le cas samedi dernier. Je veux donc ici, de tout mon cœur, les féliciter et les remercier. Une opinion de Joachim Lafosse, cinéaste et scénariste belge, lauréat 2013 des Magritte du meilleur réalisateur et du meilleur film pour “À perdre la raison”.

Très, très cher public, très chère Académie André Delvaux, je profite de la récente fête de notre cinéma francophone pour vous dire toute mon affection.

Ces derniers jours, j’ai vu des journalistes faire leur boulot avec justesse en se demandant ce qui se passait. Je les ai vus s’interroger sur les causes de l’absence des uns et des autres à notre célébration annuelle. J’ai entendu des hommes et des femmes de nos métiers du cinéma s’interroger sur les effets des bonnes intentions apparentes de notre soirée des Magritte.

J’ai lu et entendu des professionnels se demander si les bonnes intentions de l’académie suffisaient pour prendre soin de notre art.

Cette préoccupation, cette vigilance sont absolument réjouissantes.

Sans public, il n’y a pas d’œuvres

Il y a peut-être une chose sur laquelle nous pouvons tous nous entendre, l’artiste est un des deux parents d’une œuvre !

L’œuvre ne se donne pas naissance à elle-même, l’artiste, et surtout les cinéastes, ne peuvent exister dans l’auto-engendrement.

Il y a un autre parent, un autre géniteur d’une œuvre que les cinéastes, ce sont les spectatrices et spectateurs.

Certaines œuvres demandent à leurs parents spectateurs ou spectatrices d’être curieux, courageux. Il me semble qu’il faut toujours respecter le public et qu’il faut le féliciter et le fêter autant que les artistes.

C’est grâce au public et par le public que les œuvres naissent et qu’une émotion, un émerveillement, une lucidité ou une vigilance sur le monde peut apparaître, exister.

J’imagine que chaque cinéaste belge est fier de son œuvre et de la façon dont elle est accueillie par chacun des spectateurs qui vient la mettre au monde avec lui.

J’espère pouvoir dire que la rencontre avec le public est notre bonheur.

À mes yeux, ce qui compte pour un artiste, ce n’est pas d’être le premier ou le dernier, ce qui compte pour un artiste c’est de pouvoir porter un regard particulier et unique, ce qui compte c’est de continuer à inventer et créer. Il me semble que c’est cette somme de particularités qu’il faut fêter.

Ce n’est pas une victoire mais plutôt notre diversité qui doit être célébrée.

Pour une fête qui n’exclut pas

Artistes, nous nous distinguons des champions.

D’autant plus qu’à mes yeux nous formons une trop petite communauté pour célébrer notre cinéma avec un concours qui a pour effet que certains d’entre nous finissent par ne pas être invités à la fête.

Nous récolterions plus à valoriser nos particularités et nos talents, nous gagnerions à inventer et à célébrer notre art magnifique par une fête qui n’exclut pas.

Nous savons déjà tous combien la compétition est suffisamment âpre toute l’année.

Je veux donc, ici, de tout cœur féliciter et remercier encore tous les spectateurs qui donnent naissance chaque jour à notre cinéma.

Et je veux surtout, que nous promettions au public, aux cinéphiles belges et du monde entier de ne plus jamais commencer une fête du cinéma belge en le regardant et en le décrivant comme "un public qui ne va pas voir notre cinéma".

Dans cette fête qu’on vous doit, commencer à parler de vous en vous critiquant, alors que c’est vous qui nous donnez naissance, c’est une insulte gravissime, c’est un mépris de votre désir de cinéma, c’est un mépris de votre curiosité !

C’est le cinéma qu’il faut célébrer, pas la soirée des Magritte.

Ce ne peut être la marque des Magritte que nous servons avec nos œuvres.

Le cinéma belge n’est pas une marque.

Notre art vaut mieux que ce marketing vulgaire et des blagues sans finesse.

Restons originaux, nous avons été longtemps le clown qui disait une vérité à son voisin français, il me semble qu’aujourd’hui un clown français est venu nous dire une vérité, nous sommes en train de perdre notre âme et même les médias français en rient !

Merci à ceux qui portent nos films

Je profite donc encore de cette tribune pour dire toute mon affection aux distributeurs, aux exploitants, aux attachés de presse, aux critiques qui portent nos films avec nous aux quatre coins du monde.

Et je tiens à vous dire que jamais, de ma plus profonde passion de notre métier, je n’imagine qu’on puisse associer mon nom à celui d’un doigt d’honneur à une profession que j’aime de tout cœur.

Sans les producteurs et coproducteurs qui nous accompagnent, les scénaristes, les acteurs, les techniciens, nous ne serions rien.

Je me réjouis donc de vous retrouver l’année prochaine pour fêter cet art qui nous passionne tous !

Viva el cinema !


Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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