Pourquoi le divorce du Brexit est une véritable déchirure pour ma génération de baby-boomers

Xavier Zeegers

Une chronique de Xavier Zeegers.

Je suis un amoureux de l’Angleterre. Le divorce du Brexit acté ce 1er février est pour moi une réelle déchirure. Un mot jadis inconnu mais devenu banal est l’oxymore, issu du XVIIe siècle, celui de Corneille avec son "obscure clarté", celle des étoiles. Il sert désormais de référence pour signifier l’ambiguïté, ou l’ambivalence de toute chose, et pas seulement en poésie. Ainsi, s’agissant du coup de foudre, les psys le définissent comme une "merveilleuse douleur". Son principal danger serait de nous bercer de l’illusion d’un accord parfait, donc un piège pour ceux qui ne s’en méfient pas et y succombent, parfois dramatiquement. Pourquoi ? Par un besoin de parier sur une harmonie structurelle, durable, un conte de fées imaginaire mais envoûtant qui ferait barrage contre les frustrations de la vie, en fait une garantie aléatoire contre l’usure et le désenchantement, ces trop tristes attritions.

Ce mythe ne se limite pas aux contacts humains, car on peut aussi avoir une passion pour son pays, le nationalisme étant alors une dérive narcissique, ou un a priori forcené pour un autre pays, idéalisé. Je le sais, étant "tombé en amour" - comme disent les Québécois - pour l’Angleterre. Et même, circonstance aggravante, ayant épousé une de ses ressortissantes. "Oui, certes, on peut aussi adorer ce qui est le plus éloigné de nous-mêmes" ajoutent les psys pour qui le "fantasme de l’idéalisation" est un des affects régressifs d’une pathologie nommée "amour", dont ils nous mettent en garde. Merci à eux, mais qu’ils aillent au diable.

J’ai donc passé outre au bénéfice d’un pays qui a su préserver fièrement son territoire depuis 1066 tout en ayant la courtoisie de renoncer en douce à sa vieille langue pour en créer une nouvelle, celle de son bref envahisseur avec le puissant renfort de mon cher français (car l’anglais moderne en est truffé) et résista plus tard au nazisme avec un héroïsme d’airain, en un suprême spectre historique. Et qui inventa de surcroît le football, le train, le métro, l’ordinateur, le radar, les passages cloutés (iconiques depuis Abbey Road) la chasse d’eau (l’hygiène sanitaire la plus salutaire) et aussi l’hygiène politique : la démocratie via l’habeas corpus, cela dès 1679, plus d’un siècle avant la France mais en évitant la Terreur.

Pour ma génération de baby-boomers, ce fut carrément Byzance, avec Radio Caroline, les Beatles et les Stones, le swinging London, la minijupe et la Mini, Ken Loach, les Chariots de feu, le bikini ceinturé d’Ursula Andress avec James Bond, les Monthy Pythons, les Reds de Liverpool et la magie de Wimbledon ; bref la quintessence de l’excitation. Que la Grande-Bretagne nous rejoigne au sein de la future UE semblait évident. Elle le souhaita ardemment. Mais le lion couronné se heurta à un coq féroce et ingrat qui pourtant lui fit bon accueil en 40, lui octroyant dès le 18 juin un prestige éternel. D’où vint donc son ostracisme ? Je penche pour une jalousie secrète. De Gaulle avait la prestance et la stature d’un suzerain britannique qu’il aurait préféré être plutôt que de commander à des veaux. Mais inutile de psychoter. Voyons plutôt sur Internet sa conférence de presse du 27 novembre 1967, où il ironisa perfidement sur "ce pays dont la nature, la structure, la conjoncture diffèrent si profondément des nôtres". Ce jour-là, malgré l’alliance finalement brève du 1er janvier 73 jusqu’au divorce acté ce 1er février, un virus était tapi dans le fruit, malgré la confiance ostentatoire de feu le bourgmestre Michel Demaret, qui en juin 1981 proclama que le mariage - le mien - d’un Brusseleir à sa Grand-Place avec une Londonienne prouvait que l’Europe, fieu, ça marche ! Mais la lune de miel ne dura pas. L’européenne veux-je dire. Car pas de Brexit pour nous : "cela nous coûterait trop cher", dit-elle en souriant. Humour anglais, of course.

Pour conclure je citerai Saint Paul aux Corinthiens, viatique incontournable des mariages : "L’amour trouve sa joie dans ce qui est vrai. Il espère tout, il endure tout, il ne passera jamais." (12,31-13,13). De même, l’Angleterre ne disparaîtra jamais.

==> : xavier.zeegers@skynet.be

Titre web de la rédaction. Titre original : La déchirure.

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