"Game of Thrones", une satire climatique ?

Contribution externe
"Game of Thrones", une satire climatique ?
©HBO et Belga

Une opinion d'Elisa Binci, membre de la Conférence Olivaint s’exprimant à titre personnel.

"It’s not about living in harmony, it’s about living. The same thing is coming for all of us" (S7 Ep7)

Le 19 mai dernier, la chaîne américaine HBO diffusa le dernier épisode de la célèbre série "Game of Thrones". Avec plus de 19 millions de spectateurs, 23 millions de "j’aime" sur Facebook et 39 millions de followers sur Twitter, Game of Thrones est sans aucun doute une des séries les plus populaires de notre siècle. Ce succès, elle le doit incontestablement à un choix scénaristique osé, une mise en scène époustouflante et surtout à l’expression d’une satire politique extrêmement bien ficelée.

Faisons un bond dans le temps et revenons au 17 avril 2011, date de diffusion du premier épisode de la série. Dès les premières minutes, nous assistons à la décapitation d’un membre de la Garde de Nuit qui, sous prétexte d’avoir aperçu un marcheur blanc, décida de déserter son poste. Il apparaît alors évident qu’on ne peut laisser la vie sauve à un homme qui trahirait sa patrie pour de simples hallucinations. En effet, c’est bien connu, les marcheurs blancs n’existent pas ! Ce scepticisme fait encore aujourd’hui partie de la problématique climatique et ce, peut-être à juste titre. Peut-on réellement demander à un individu de croire en quelque chose qu’il ne voit pas ? Après tout, à l’instar de Saint-Thomas, nous croyons ce que nous voyons ou, du moins, ce que nous voulons bien voir.

La danger pour se bouger ?

On ne peut nier que les conséquences du réchauffement climatique restent abstraites dans nos esprits. S’il nous est aisé de comprendre la problématique à travers les divers rapports ou documentaires scientifiques – citons par exemple la série "Our planet" sur Netflix – il nous est pourtant extrêmement difficile d’aborder la menace comme si nous y étions face. En réalité, les conséquences du réchauffement climatique se déroulent à des milliers kilomètres de chez nous. On ne peut dès lors blâmer le citoyen de ne pas percevoir l’urgence et la gravité du problème. Cet état de fait est, par ailleurs, fort bien illustré dans Game of Thrones. En effet, ce n’est que lorsque Jon Snow décida de prendre l’initiative de capturer un marcheur blanc et de l’exposer sur la place publique que les citoyens prirent réellement conscience de l’ampleur de la situation. Se trouver à quelques mètres du danger, sentir sa gorge se nouer et la peur nous envahir semble donc être une condition nécessaire et suffisante pour réaliser l’importance de l’enjeu climatique. Faudra-t-il alors attendre un bouleversement sérieux de notre écosystème, une crise alimentaire ou encore une extinction massive de la race humaine pour arriver à une telle conscientisation ? Ce que nous pouvons d’ores et déjà affirmer, c’est que la canicule de cet été n’a laissé personne indifférent, pas même les amateurs de bronzette dans les pays les plus exotiques.

Notre système économique et politique actuel semblerait à ce jour incompatible avec une dynamique écologique. Il est effectivement difficile d’imaginer qu’un mouvement de solidarité collective puisse naître dans un monde capitaliste et individualiste où règnent en maître des hommes mûs par une soif de richesse et de pouvoir. Or, l’univers de Game of Thrones est loin d’être différent du nôtre. En réalité, cette série n’est autre qu’une satire mettant en scène, à travers la fiction, les pires vices de l’humanité. Et pourtant, même dans cette atmosphère où la cohésion sociale paraît inexistante, bon nombre de citoyens de Westeros décideront de s’unir dans la lutte contre les marcheurs blancs. Qui aurait cru qu’un Lanister puisse combattre aux côtés d’un Stark ? Dans cette même optique, peut-être apercevrons-nous un jour Jair Bolsonaro aux côtés d’Anuna De Wever militer pour la replantation d’arbres en Amazonie. Cette pensée est certes utopique mais n’est-il pas important de conserver un brin de folie et d’espoir dans un monde où tout semble déjà joué d’avance ?

Ces efforts seront-ils vains ?

Toutefois, alors même qu’ils se trouvent face à une vérité alarmante, certains citoyens de Westeros décideront de ne pas prendre part au combat. En effet, pour ces derniers, il semble impensable de se lancer corps et âmes dans une bataille où, même si la victoire s’avère indispensable, les sacrifices pour y parvenir sont bien trop lourds de conséquences. Souvenons-nous d’Euron Greyjoy qui, pour sauvegarder son armée et ses biens, décidera de se retirer dans sa forteresse jusqu’à ce que la lutte prenne fin. Aujourd’hui encore, la notion de sacrifice est omniprésente dans notre politique climatique. Il nous faut sacrifier notre voiture pour le vélo, sacrifier notre bain pour une douche ou encore sacrifier notre portefeuille pour l’achat de produits plus écolos. Il devient alors compliqué de rallier le citoyen à cette juste cause quand il n’en tire aucun bénéfice direct. Dans le même ordre d’idées, si la fiscalité écologique poursuit actuellement un but honorable et légitime, elle semble difficilement acceptable pour le contribuable qui peine déjà à finir ses fins de mois. Celui-ci ne préférera-t-il pas mourir d’une catastrophe naturelle due au climat dans un futur éloigné plutôt que de mourir de faim dans un futur proche ? La communauté serait sans doute beaucoup plus réceptive à cette politique climatique si celle-ci ne rimait pas constamment avec restriction. A cet égard, il semble essentiel de rappeler qu’un des objectifs premiers de l’écologie est l’amélioration du quotidien de l’humanité. Pourtant, ce n’est pas toujours ce qui transparaît explicitement au travers des mesures climatiques adoptées. Serait-ce là une des conséquences du manque de soutien des citoyens envers les partis arborant la couleur verte ?

Tout comme on ne pourrait dissocier le nom de Jon Snow de la lutte contre les marcheurs blancs, on ne saurait évoquer la problématique du réchauffement climatique sans citer celui de la célèbre Greta Thunberg. Toutefois, et ce malgré le fait que tant l’un que l’autre défendent une juste cause, chacun d’eux reste perçu différement par l’opinion publique. Jon est vu comme un héros, celui qui osa prendre les armes pour combattre les marcheurs blancs et ce, au péril de sa vie. Il a été couronné roi du Nord par son peuple et beaucoup de ses sujets et de ses fans auraient été ravis de le voir monter sur le trône de fer. A l’inverse, les avis sur Greta sont beaucoup plus mitigés. Si certains voient en elle un symbole d’espoir et de résistance, d’autres la considèrent simplement comme une enfant manipulée dont le seul rôle consiste à critiquer la politique climatique actuelle. D’où vient cette discordance ? Jon Snow est un homme fort, vaillant, qui sait manier l’épée à la perfection et qui n’a pas hésité à rejoindre son peuple sur le champ de bataille. Greta, quant à elle, n’est qu’une jeune adolescente de 16 ans, sans éducation et sans réel pouvoir sur les enjeux auxquels nous devons faire face. Si l’un est sans nul doute le seul à pouvoir mener ses troupes vers la victoire, l’autre ne manquerait-elle pas de crédibilité ?

Au Royaume de Westeros, la menace était l’hiver, ces marcheurs blancs se déployant avec pour objectif de détruire la race humaine. Sur la planète bleue, au-delà des croyances, des convictions de chacun et au-delà des polémiques, ne nous faudrait-il pas accepter que "summer is coming" ?

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