Nous avons tendance à nous croire libres. Mais le sommes-nous vraiment?
Publié le 03-03-2020 à 09h51 - Mis à jour le 03-03-2020 à 18h37
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Laïque ou croyant, ne pérorons pas trop vite que nous sommes plus libres que le voisin…
Une chronique de Éric de Beukelaer. L ibert é , liberté !" , voilà bien un cri qui fédère les foules. L’être humain aime se déclarer "libre". Il est également enclin à considérer ses adversaires comme "moins libres", car englués dans des certitudes dogmatiques ou des postures contradictoires. Notre perception de la liberté est donc subjective, alors que sa réalité s’impose à tous. Il se contredit, le cynique qui dénonce "la liberté n’existe pas", puisqu’il prétend exprimer son point de vue - librement. La lucidité invite à plutôt reconnaître que toute liberté est partielle, fragile, en croissance, mais non moins consistante.
Rappelons-le : la "liberté" n’est pas à confondre avec l’autonomie. "Je fais ce que je veux, je suis libre !" , hurle l’adolescent. Mais non. L’autonomie donne à l’humain le pouvoir de faire tout ce qui dépend de son libre arbitre. Un choix autonome ne rend, cependant, pas forcément libre. Il peut, au contraire, enchaîner. Ainsi, les dépendances à la drogue, à la boisson, au tabac, mais aussi à l’argent, au pouvoir et au succès. Au nom de leur "liberté", tant d’humains s’enchaînent aux mirages qu’ils poursuivent et qui les dominent. Il s’agit donc de rappeler que la liberté n’est pas un point de départ, mais un horizon à viser. L’humain naît autonome, mais sa liberté est à conquérir. Pour se faire, il doit travailler son intériorité, sa quête spirituelle. Cette grande œuvre de toute une vie est un défi non sans impasses - tant pour le laïque que pour le croyant.
Pour nos contemporains de conviction laïque, la quête de liberté a un goût particulier. Héritiers de Lumières, le laïque désigne la liberté comme ce sanctuaire intérieur, qu’il se doit de défendre contre toute agression : exploitation économique, oppression politique ou asservissement religieux. Je pense ne pas me tromper en indiquant que l’idéal maçonnique est de cet ordre. Comme cette recherche de liberté n’a pas d’autre référence que l’individu qui en a fait son étendard, elle encourt le risque du nombrilisme. Cela crée une imposture de liberté progressiste pour le progressiste, et conservatrice pour le conservateur. Bref, une liberté "miroir" du narcissisme. Pareille impasse engendre des libres penseurs, aussi peu libres que penseurs. Ceux-là se révèlent ennuyeux et verbeux, masquant leur vide intérieur sous un monceau de doctes platitudes.
La liberté du croyant serait-elle mieux assurée ? Nenni. Le croyant se construit en cheminant spirituellement face au Mystère. Ce dernier se révèle par des éclairs d’un "Amour qui surpasse toute intelligence" (Éphésiens 3, 19), pour bien vite se cacher dans le brouillard du cheminement de foi. Il faut une vie entière de contemplation pour joyeusement réaliser que les mains les plus riches sont les mains vides. "Heureux les pauvres de cœur…" (Matthieu 5, 3). La tentation de tant de personnes religieuses est - dès lors - de vouloir mettre la main sur l’Esprit. Basé sur une histoire vraie, le récent film de Sarah Suco, Les Éblouis, décrit ainsi comment une famille se retrouve piégée par la confusion spirituelle qui règne dans une communauté chrétienne. Le manque de bon sens et de prudence dans ce lieu, où chacun n’a que les mots d’amour et de miséricorde à la bouche, fait en sorte que tout sens critique y devient anesthésié. Les dérives sectaires les plus insidieuses sont celles qui sont consenties.
Êtes-vous libres ? Vraiment ? Laïque ou croyant, ne pérorons pas trop vite que nous sommes plus libres que le voisin. Quelle que soit notre conviction de vie, le défi de la liberté se construit, jour après jour, dans l’humilité et la lucidité. Avec patience et volonté, apprenons à transformer notre chenille en papillon. Dans les joies et les peines, les succès et les échecs, écoutons l’appel du tréfonds de notre être à engendrer ce qui nous rend vivants : l’authentique liberté.
Titre de la rédaction. Titre original : Êtes-vous libres ? Vraiment ?