Non, vos diamants ne sont toujours pas éthiques
Publié le 04-03-2020 à 07h23 - Mis à jour le 04-03-2020 à 09h15
Une opinion d'Agathe Smyth Responsable plaidoyer pour Justice et Paix et Hans Merket, chercheur pour IPIS (International Peace Information Service).
Comme chaque année, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté hier une résolution renouvelant le mandat du Processus Kimberley (PK) pour la 17e fois. Pourtant, ce système de certification de diamants créé en 2003 a plus d’une fois montré ses limites et son incapacité à se réformer afin d’endiguer réellement les "diamants de conflits". Le dernier cycle de révision et de réforme, qui s’est clôturé en novembre 2019 à New Dehli sans la moindre avancée, remet d’ailleurs en cause l’utilité même d’un tel processus.
"Avez-vous du sang sur le doigt lorsque vous portez une bague sertie d’un diamant ?" Contrairement à ce qu’atteste le Ministère des Affaires Etrangères belge dans un communiqué publié le jour de la Saint Valentin, ceci est toujours probable de nos jours. Bien qu’il est vrai que le Processus Kimberley reste aujourd’hui une "formule unique", on ne peut aucunement parler de succès.
Au contraire, le commerce du diamant continue de susciter des violences à travers le monde. De nombreux rapports font ainsi toujours état de graves violations des droits humains, y compris de meurtres, torture, traitements inhumains et abus sexuels, commis par des groupes rebelles mais aussi la police, les services militaires ou encore des sociétés de sécurité privées. D'autres abus persistants vont du travail des enfants à la dégradation de l'environnement et aux crimes économiques tels que la corruption, le blanchiment d'argent ou le financement d’organisations criminelles et terroristes.
Bien que ces graves problèmes soient connus et soulevés par la société civile depuis des années, le PK ne s’applique toujours pas à ces situations puisqu’il ne concerne que les "diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements légitimes". Cette définition, beaucoup trop restreinte, ne prend toujours pas en compte certaines réalités actuelles. Votre diamant n’aura donc a priori pas servi à destituer un gouvernement africain, mais il est peut-être le fruit du travail d’enfants ou d’exactions.
Rectifications
Si le gouvernement belge a voulu rassurer les consommateurs le jour de la Saint Valentin, date clé pour la vente de diamants, nous avons en revanche jugé nécessaire de rectifier certains faits sur le commerce de diamants.
Contrairement à ce qu’on peut lire sur le site internet du PK, 99,8 % de la production internationale de diamants de conflits n’a pas été enrayée. La société civile dénonce régulièrement ce chiffre trompeur et dépassé qui cherche à blanchir l’image des "diamants de sang". Non seulement ce chiffre se base sur la définition très restreinte des diamants de conflits, mais aussi sur une estimation des diamants non soumis à l'embargo du PK en 2006, complètement obsolète aujourd’hui. Elle ne prend pas non plus en compte le commerce illicite et les diamants qui quittent illégalement les pays faute de contrôles efficaces, alors qu’ils représentent une part importante du marché diamantaire (pour plus d’informations, voir Justice et Paix, Diamants de sang, quelle responsabilité pour la Belgique?, juin 2019).
A dire vrai, prétendre à toute statistique sur les diamants dits "sans conflit" est quasiment impossible compte tenu de la relativité d'un tel chiffre, souvent bien éloigné des réalités de terrain.
Il nous semble indispensable de clarifier ces faits. Non seulement parce que les consommateurs méritent de connaitre la vérité sur les diamants qu’ils achètent, mais aussi dans l’espoir que les membres du PK arrêtent de se complaire dans leurs éloges qui masquent la dangereuse inefficacité même du Processus. Cela est malheureusement devenu une douloureuse évidence lors de la dernière plénière en novembre 2019, où le cycle de révision s’est clôturé après trois ans de négociations sans parvenir au moindre consensus sur les réformes, pourtant nécessaires.
Les graves lacunes de la chaîne d'approvisionnement en diamants doivent être sérieusement corrigées, et non balayées sous le tapis, surtout par la Belgique, « pays du diamant par excellence ». Et ce, même si cela signifie d’abandonner ce système obsolète pour créer de nouvelles solutions..