Sommes-nous en train de connaître la fin de l’amour ?

Contribution externe
Sommes-nous en train de connaître la fin de l’amour ?
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Une chronique d'Armand Lequeux.

Entonnerons-nous pour l’amour un requiem empli de nostalgie puisque c’était tellement mieux avant ? Ou oserons-nous ouvrir de nouveaux chantiers  Serait-il vérifié l’adage selon lequel le malheur ne sait pas seul venir ? Car si le coronavirus nous assaille, et d’accord ce n’est pas rien, il est plus grave encore : l’amour ne se porte pas bien. Il serait selon d’aucuns en soins palliatifs ! C’est à cette même conclusion, en effet, qu’arrivent par des voies différentes deux essais récemment publiés. Le premier est signé par Thérèse Hargot, philosophe et sexologue. Son titre adopte le mode interrogatif avec une pointe d’espérance Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ?, mais le sous-titre est sans appel "En 2030, les couples cesseront de faire l’amour". Le virus de la société de performance, d’efficacité et de consommation aurait envahi la relation amoureuse et, dopé par des modifications technologiques incontrôlées, il aurait transformé la sexualité contemporaine en produit à consommer sans lien et de façon pulsionnelle. L’auteure incrimine aussi bien l’égalité des genres, le féminisme et la crise de la masculinité que la pornographie, sans oublier la toxicité sociétale que représentent à ses yeux la procréation médicalement assistée et la pilule contraceptive.

Le second est signé par Eva Illouz, sociologue et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris. Il porte le titre évocateur de La Fin de l’amour. Enquête sur un désarroi contemporain et son diagnostic est sévère : le pronostic vital de l’amour en Occident est sérieusement engagé. Le thème de la contamination de la relation amoureuse par le virus de la société de consommation y est également évoqué, mais avec ici un accent particulier sur la prégnance de la logique du marché. Tout s’achète et tout se vend, ce n’est pas bien nouveau, mais ce qui a changé c’est que nous sommes passés d’une économie de la rareté à une économie de l’abondance. Il y a peu, les partenaires potentiels n’étaient pas si nombreux à la disposition des gens ordinaires. Bienheureux celles et ceux qui trouvaient chaussure à leur pied et ils étaient priés, si j’ose dire, d’user leurs godillots jusqu’au bout. On rêvait que c’était écrit dans les étoiles, on anticipait que ça allait durer et à force de croire que l’on devait s’aimer, certains sans doute y arrivaient vraiment.

Dans le monde actuel, celui de Tinder et des sites de rencontres, l’offre est aussi abondante que la fugacité des liens. Intolérants à l’incertitude et à l’interdépendance, trop soucieux de n’être grugés en aucune circonstance, nos contemporains seraient a priori méfiants comme les chalands qui tâtent cent melons pour en trouver un bon. Anticipant d’emblée que l’amour ne durera pas, ils ne peuvent que constater qu’il est mort-né et que Madame Illouz a raison d’annoncer ses funérailles.

Alors, entonnerons-nous pour l’amour un requiem empli de nostalgie puisque c’était tellement mieux avant ? Ou oserons-nous ouvrir de nouveaux chantiers ? Celui de la joyeuse folie qui conduit à décider d’être prisonnier volontaire de l’être aimé et, par-là, paradoxalement libre. Celui de l’audace qui parie sur l’éternité et accepte paisiblement la possibilité de perdre puisque, en fin de compte, c’est notre seule certitude. Un jour, en effet, la vie nous la perdrons. Celui du partage qui nous permet d’être reconnus comme uniques et irremplaçables dans les yeux de celle ou celui que nous avons décidé de reconnaître comme unique et irremplaçable. La folie joyeuse, l’audace et le partage seraient-ils de puissants remèdes à la contagion du désespoir ? Ne donnent-ils pas sens, envers et contre tout, à ce monde qui n’en a point par lui-même ? Avouons-le, nous avons si faim d’amour. Bon appétit.

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