Dans la guerre contre le coronavirus, nous sommes un peu des héros et des collabos

Peut-on comparer la "guerre contre le Covid-19" à un conflit armé ? À certains égards, le confinement actuel n’est pas sans similitudes avec ce que put être l’Occupation.

Contribution externe

Une opinion de Vincent Delcorps, professeur d'histoire (UCLouvain et Ihecs) et rédacteur en chef de la revue En Question.

Peut-on comparer la "guerre contre le Covid-19" à un conflit armé ? À certains égards, le confinement actuel n’est pas sans similitudes avec ce que put être l’Occupation. "Nous sommes en guerre." Ce 16 mars, Emmanuel Macron a utilisé les termes les plus forts. La démarche est d’abord politique : insister sur la gravité de la situation permet de rendre acceptables des mesures d’exception. Mais qu’en est-il d’un point de vue historique ? Y a-t-il des parallélismes entre la situation actuelle et les conflits armés - en particulier les deux guerres mondiales ?

La réponse est affirmative. Car c’est à tort que nous réduirions la réalité d’une guerre à une confrontation armée. Pour nombre de nos aînés, la guerre ne fut pas d’abord l’expérience de combats, mais celle du confinement, de la peur, des privations. De ce point de vue, la crise actuelle permet de nous sentir proches, à certains égards, de ce qu’ils ont vécu.

La guerre, c’est l’irruption d’un ennemi sur un territoire national. Et de fait, nous avons été envahis. Non par un Allemand au casque pointu. Mais par un tout petit microbe. À certains égards, c’est pire : car c’est moins humain qu’un Allemand. Plus mystérieux aussi : un microbe, on ne sait pas à quoi ça ressemble, comment ça vit, comment ça meurt. Et en plus, ça se propage…

Cette irruption a mis fin à notre mode de vie en même temps qu’elle a fait advenir un nouveau règne. Celui de l’angoisse. Sommes-nous vraiment en danger ? Combien de temps cela va-t-il durer ? Règne de la déraison aussi - mais qu’il est difficile de rester rationnel lorsque l’impensable de la veille devient la réalité du lendemain ! Progressivement, il convient de construire son nouveau quotidien. C’est le temps de la débrouille. Chacun bricole. Pour se nourrir, prendre soin des siens, pour gagner quelques sous et éviter d’en perdre trop. Pour tenir bon, physiquement et mentalement.

Les caractères se révèlent alors. Nous retenons des guerres qu’elles ont permis à des figures héroïques de se distinguer - ceux qu’on appelle les résistants - et aux lâches d’apparaître - les collabos. Scruter la réalité nous permet d’observer la complexité du réel. Qui est le résistant d’aujourd’hui ? Sans doute est-ce celui qui se met au service des envahis, et particulièrement des plus fragiles, que ce soit dans un hôpital, aux côtés des sans-abri, voire dans un cabinet ministériel. Et le collabo ? C’est celui qui se met au service de l’envahisseur. Aujourd’hui, c’est l’égoïste qui adopte des attitudes à risques. Ou celui qui sème la désunion. En réalité, la plupart d’entre nous ne sommes ni des héros ni des collabos. Ou plutôt, nous sommes un peu des deux. Nous faisons comme nous pouvons, partagés entre la peur et l’espérance. Sans fierté, nous accumulons des rouleaux de papier WC. Mais en cas d’urgence, sans doute serions-nous prêts à offrir quelques feuillets au voisin…

La guerre, c’est poser des choix incertains. Est-il plus risqué de maintenir le travail ou d’arrêter l’outil ? En 40-45, réunis au sein du Comité Galopin, financiers et industriels furent déjà confrontés à la question. Quitte à favoriser la croissance de l’ennemi, ils choisirent de poursuivre la production. On parla de "politique du moindre mal". Là aussi, ni blanc ni noir. Et aujourd’hui encore, la frontière est ténue entre l’acte de bravoure et le geste d’inconscience.

La guerre, c’est également la suspension des grandes libertés. À présent, nos déplacements se trouvent limités, tout comme l’exercice des cultes ou la possibilité de se réunir. La liberté d’exprimer des opinions, elle, n’est pas menacée. Il n’empêche que l’information est bel et bien enjeu d’État. À l’époque, on parlait de propagande ; aujourd’hui, on redoute les fake news… Heureusement qu’il nous reste l’humour. Médias traditionnels et réseaux sociaux relaient gaiement nos vidéos burlesques. Là aussi, rien de neuf : de tous temps, le rire a permis à l’occupé de remporter une victoire (symbolique) sur celui qu’il ne pouvait abattre.

Tout le monde le sait : c’est la coopération qui a toujours mis fin aux guerres. Au niveau local, la solidarité a permis aux gens de tenir le coup ; au niveau mondial, l’alliance entre puissances a permis de rétablir la paix. Saurons-nous, une fois encore, nous en souvenir ?


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