Voici pourquoi les pays membres de l'UE doivent donner des documents de séjour aux sans-papiers
Publié le 02-04-2020 à 09h53 - Mis à jour le 02-04-2020 à 12h12
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Une opinion de Jan De Volder, historien à la KULeuven et responsable de la Communauté de Sant'Egidio.
Le Portugal a décidé dimanche d’accorder à ces personnes sur son territoire un permis de séjour temporaire. La Belgique et les autres pays de l’Union européenne devraient suivre. Voici les raisons. Les périodes exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles. Nous le voyons tous les jours, et à juste titre. Ou l’on intervient ou c’est la noyade.
Dans une société qui cherche le bien-être pour tous, la plus grande attention doit être accordée aux groupes les plus vulnérables de la population : les personnes âgées, les malades, les résidents d’établissements et d’institutions de toutes sortes… C’est surtout pour eux que nous faisons tous cet effort collectif sans précédent.
Il y a un groupe très vulnérable dont on ne parle jamais. Par définition, ils n’apparaissent pas dans les statistiques : les personnes qui se trouvent sur le territoire sans permis de séjour valable.
Le Portugal a décidé dimanche d’accorder à ces personnes sur son territoire un permis de séjour temporaire. Je plaide pour que d’autres pays de l’Union européenne en fassent de même et, en premier lieu, la Belgique.
Quelle serait la raison d’une telle mesure exceptionnelle ?
Tout d’abord, dans une optique de santé publique, il n’est pas sain qu’il y ait des gens dont l’état de santé ne soit pas pris en compte : sans assurance maladie, sans soins de santé, sans domicile connu, souvent privés des informations de base… Ils courent un danger, et représentent eux aussi un danger potentiel pour les autres. En ces temps où il est important de stopper une pandémie, ne pas impliquer tout le monde n’aurait aucun sens.
Deuxièmement, c’est une mesure de bonne gouvernance : ces personnes n’ont aucun moyen de s’en sortir pour le moment. Les personnes arrêtées aujourd’hui seront principalement libérées avec un ordre de quitter le territoire. Le destinataire et l’émetteur d’un tel ordre savent que la mise en œuvre de celui-ci est totalement impossible en pratique. Les expulsions forcées - une pratique très coûteuse et inefficace d’ailleurs - sont actuellement au point mort. Rassembler les gens dans des centres fermés, à un moment où il est important de garder la distance, n’est pas non plus une bonne idée.
Troisièmement, ce moment est extrêmement favorable, car nos frontières n’ont jamais été aussi surveillées qu’aujourd’hui. Une objection possible aux régularisations collectives est l’effet d’appel d’air. Ce ne sera pas possible actuellement puisque les frontières européennes sont fermées, tout comme les frontières belges. C’est le moment idéal pour prendre une telle décision. Nous pourrions alors au moins déterminer le nombre de sans-papiers, qui ils sont, où ils vivent, quelle est leur histoire, ce qu’ils font et peuvent faire, dans quelle mesure ils sont intégrés ou non, dans quelle mesure ils peuvent être disponibles sur le marché du travail…
Remettre le compteur à zéro, de temps en temps, est une politique judicieuse. Il y a eu une grande opération de régularisation en 1999 et, une autre, en 2009. En 2019, c’était politiquement impensable. Mais aujourd’hui ? Une fois par décennie, la régularisation offre de nouvelles opportunités aux personnes concernées, mais aussi aux autorités publiques pour apprendre à gérer mieux et plus sagement les flux migratoires dans leur complexité. Les circonstances exceptionnelles créées par la pandémie créent inopinément l’occasion favorable de prendre cette mesure : rapidement, efficacement, sans trop de controverses.
Enfin, il s’agit d’une mesure humanitaire : elle donne de nouvelles opportunités à des personnes qui sont, souvent, dans un état de désespoir absolu, alors qu’elles ont un grand potentiel. J’ai toujours été étonné du peu d’études, académiques et journalistiques, sur le parcours des personnes qui ont bénéficié d’une régularisation de l’accès au territoire au cours des dernières décennies, souvent après de longues années d’illégalité. L’expérience de Sant’Egidio, qui porte sur un groupe important de personnes, dans toutes les régions du pays, est que la régularisation a permis à bon nombre d’entre elles de prendre leur vie en main et de redémarrer. Dans de nombreux cas, ils ont saisi à deux mains les opportunités qui leur ont été offertes. Ils ont construit leur vie et sont également prêts à donner beaucoup en retour à notre société.
Pensez-y au moment où vous risquez - je ne vous le souhaite pas - de vous retrouver dans un lit d’hôpital dans les prochains jours ou les prochaines semaines. Il est tout à fait possible que les mains de ceux qui prendront soin de vous appartiennent à quelqu’un qui a vécu dans le passé illégalement en Belgique.
Nous avons maintenant un gouvernement doté de pouvoirs spéciaux, avec une large majorité parlementaire. La ministre de l’Asile et de la Migration est plus qu’occupée actuellement en tant que ministre de la Santé. Mais, Madame la Première ministre, Sophie Wilmès, avez-vous le courage politique dont le Premier ministre Herman Van Rompuy a fait preuve à l’époque ?