Où sont passés les "poumons verts" de Bruxelles ?

Contribution externe
Où sont passés les "poumons verts" de Bruxelles ?
©DEMOULIN BERNARD

Une opinion de Robin Hublet, jeune cycliste bruxellois de 26 ans, diplômé en économie et passionné par la mobilité et l'urbanisme dans Bruxelles.

La vie post-Covid-19 se met tout doucement en place et, au cœur de la réflexion de notre vie d’après, se trouve notre monde urbain. Partout dans le monde, celui-ci est repensé ; les espaces publics réaménagés et les moyens de se déplacer changés pour s’adapter au déconfinement progressif annoncé. En Allemagne, des surfaces autrefois réservées aux voitures sont remplacées par des pistes cyclables et des trottoirs sont élargis tandis qu’en Lombardie les autorités publiques transforment 35 kilomètres de voirie en zone exclusive pour les piétons et cyclistes. En Belgique, c’est Bruxelles qui prend les devants cette semaine avec l’instauration d’une "zone de rencontre" à l’intérieur de la petite ceinture à partir de mai. Tous ces changements dans nos villes répondent aux conseils sanitaires de nombreux scientifiques comme le montre l’appel lancé le 6 avril dernier par l’Alliance européenne de la Santé Publique qui déclarait que "quiconque fait du vélo ou marche au lieu d'utiliser les transports en commun évite le risque d'infection ou d'infecter les autres dans les bus, les trains ou les métros".

Il apparait dès lors que cette crise offre un véritable "momentum" pour repenser la vie urbaine de demain. Pour mieux y parvenir, il est toutefois, je pense, nécessaire de s’attarder un instant sur la ville d’hier. Trois aspects reçoivent ici mon attention : l’aménagement des "poumons verts" à l’intérieur de Bruxelles, l’espace urbain dédié aux voitures et passants dans la ville et, enfin, la mobilité intra-urbaine.

L'exemple du Bois de la Cambre

Attardons nous donc d’abord sur les nombreux parcs et lieux "verts" que compte Bruxelles. En 2018, Bruxelles comptait ainsi 23% de zones vertes, décrochant la 27e place du palmarès parmi les cinquante villes de l’OCDE prises en compte. Le Bois de la Cambre est assurément le lieu qui contribue le plus à cette place dans le classement. Or, du lundi au vendredi, ce parc est ouvert aux voitures qui y roulent en masse, le plus souvent dans le but d’entrer et sortir de la ville. C’est pourquoi, lorsque la ministre bruxelloise de la Mobilité, Elke Van den Brandt, prend la décision de fermer le Bois de la Cambre aux voitures jusqu’à la fin des vacances d’été, on peut se demander comment l’idée nous est un jour venue d’y faire circuler des voitures ? L’actuel aménagement du tour du Bois de la Cambre (celui qui reste fermé à la circulation samedi et dimanche) consiste en 2.5 kilomètres d’asphalte composés de deux bandes de circulation, bordés de deux allées de parking automobile, une piste cyclable marquée au sol, et un trottoir de chaque côté. Ce sont ces trottoirs d’à peine deux mètres de largeur longeant la circulation qui poussent ici à l’interrogation : comment a-t-on pu accepter que les joggeurs et passants n’aient d’autre solution que d’aller se promener dans un lieu, dit "poumon vert" de la ville, qui rendait leur quête d’oxygène vaine face aux particules fines et pots d’échappement environnants ? La conséquence, simple, est que ce parc a trop souvent été délaissé par les habitants bruxellois du lundi au vendredi alors qu’il est bondé dès que celui-ci est fermé aux voitures le weekend.

Bruxelles est un parking urbain

Au-delà des espaces verts, la place de la voiture dans la ville pose également question. Là encore, il m’est difficile de concevoir comment on a pu transformer la ville au cours du vingtième siècle en véritable parking urbain. Rappelons ici qu’aujourd’hui, 75% de l'espace public est occupé par des véhicules, dont 80% sont des véhicules à l'arrêt. Il suffit de regarder des photos de l’Avenue de Tervuren et de l’Avenue Louise à la fin du dix-neuvième siècle pour se rendre compte que ces avenues, initialement pensées par le Roi Léopold II, n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles offraient auparavant. L’Avenue Louise, à l’époque véritable "Champs-Elysées" bruxellois, est aujourd’hui délaissée à cause de ses trottoirs exigus qui ne permettent pas aux passants de déambuler et de flâner comme bon leur semblerait. Pourtant, la surface dédiée au stationnement de voitures sur son allée centrale permettrait de développer une zone verte agréable et propice aux « balades dominicales ». Parking pour voitures justement qui, faut-il le rappeler, occupe aujourd’hui encore toute la superficie de magnifiques places en plein cœur de Bruxelles telles que la Place du Sablon ou encore la magnifique Place des Musées. Je m’attarde aussi ici sur l’exemple du Bois de la Cambre où les deux bandes prévues pour le stationnement ne sont presque jamais utilisées durant la semaine : ne vaudrait-il pas mieux alors consacrer ces voiries à autre chose en élargissant, par exemple, les trottoirs ou en rajoutant une piste cyclable ? Tout en réalisant qu’il est crucial d’avoir suffisamment de places de parking pour les commerces et résidents, Bruxelles pourrait réfléchir à d’autres solutions qui ne seraient pas en opposition avec les lieux de promenade et de passage. Il faut davantage de projets ambitieux pour les cyclistes

Enfin, au niveau de la mobilité intra-urbaine, on remarquera les récentes améliorations d’envergure dans la ville, notamment grâce au projet de piste cyclable sur tout le long de la petite ceinture. Cependant, nombreux sont les exemples qui rappellent la nécessité d’aller plus vite et avec davantage d’ambition. Comment, en effet, concevoir aujourd’hui qu’aucune piste cyclable ne soit aménagée sur la Place des Palais, large de septante mètres, et réservée uniquement pour les voitures et bus sur toute sa largeur ? Les bacs à fleurs récemment posés le long des étangs d’Ixelles démontrent pourtant que de nouveaux espaces pour les passants, touristes et cyclistes peuvent être rapidement aménagés. Mentionnons ici aussi la Place Royale qui n’arbore pas non plus de piste cyclable tandis que ses trottoirs sont trop étroits pour pouvoir laisser se croiser les foules de touristes estivaux venant prendre en photo la statue de Godefroid de Bouillon ou, de loin, le Palais de Justice. Revenons aussi à l’exemple du Bois de la Cambre où les cyclistes doivent se contenter d’une piste cyclable à sens unique d’un mètre de largeur, sans même que celle-ci ne soit surélevée, comme le sont les pistes cyclables classiques de type "Néerlandais". On pourrait encore mentionner les cas de la Rue de la Loi et de la Rue Belliard, deux véritables autoroutes urbaines, ou le Boulevard Reyers, récemment rénové, qui n’offre aux cyclistes que quelques pointillés sur le sol en guise de protection.

Ce sont là des questions que tout un chacun pourrait se poser en circulant dans les rues de Bruxelles et qui méritent aujourd’hui toute notre attention. Le plan Good Move et l’accord du gouvernement de la Région Bruxelloise vont certainement dans le bon sens. Pour de réelles avancées, il faudra que tous les acteurs publics travaillent ensemble, y compris les dix-neuf communes de la capitale. Notre si belle capitale belge et européenne mérite mieux. On le voit avec cette crise, des mesures drastiques peuvent avoir des effets immédiats sur le comportement des citoyens. Il est dès lors urgent de faire avancer les choses pour que, demain, le citoyen bruxellois puisse redécouvrir sa ville et ses « poumons verts » si nécessaires à sa santé et son bien-être.

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