Crise de l’aviation : il n’est pas trop tard mais il est temps que l’Europe intervienne

L’Europe doit saisir la formidable opportunité que constitue le marasme dans lequel se trouve le secteur aérien. Au lieu que les Etats européens attribuent des aides dans l’urgence et chacun dans leur coin, ils auraient tout intérêt à se coordonner pour donner un rôle fort et innovant à l’Union européenne (UE) dans la reconstruction de l’aviation. L’UE devrait créer une société faîtière qui prendrait des participations significatives dans les compagnies aériennes en échange des aides massives (€30 milliards) apportées au secteur.

Contribution externe
Crise de l’aviation : il n’est pas trop tard mais il est temps que l’Europe intervienne
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Une opinion de Daniel Van Cutsem, réviseur d’entreprises honoraire (danvancutsem@gmail.com).

L’Europe doit saisir la formidable opportunité que constitue le marasme dans lequel se trouve le secteur aérien. Au lieu que les Etats européens attribuent des aides dans l’urgence et chacun dans leur coin, ils auraient tout intérêt à se coordonner pour donner un rôle fort et innovant à l’Union européenne (UE) dans la reconstruction de l’aviation. L’UE devrait créer une société faîtière qui prendrait des participations significatives dans les compagnies aériennes en échange des aides massives (€30 milliards) apportées au secteur.

Confier cette tâche à l’UE permettra, en effet, de mieux résister à la pression des compagnies aériennes qui sont souvent des poids lourds dans leur pays d’origine et de gros pourvoyeurs d’emplois. L’UE est mieux placée que les Etats pour imposer à un secteur international par essence les régulations indispensables, notamment dans le domaine climatique. Seule l’Europe peut arbitrer entre les compagnies nationales dans l’intérêt général du citoyen européen et imposer la consolidation tellement nécessaire d’un secteur en surcapacité.

Air France-KLM et Lufthansa : deux approches différentes

Hélas, alors que les avantages d’une action européenne concertée sont évidents, on constate que les pays négocient individuellement avec "leur" compagnie et tentent de protéger chacun leurs propres intérêts nationaux.

L’Etat français a accordé une aide financière de €7 milliards à Air France-KLM sous la forme de prêts bancaires (garantis par l’Etat à 90%) pour €4 milliards et de prêts directs par l’Etat pour €3 milliards. Au moment d’accorder ce soutien, Bruno Le Maire, Ministre français de l’Economie, insistait sur le fait que "nous voulons à tout prix préserver cette compagnie aérienne qui est un fleuron industriel français".

En échange de son aide, l'Etat français demande à Air France-KLM de respecter des critères environnementaux. La compagnie devra, par exemple, présenter un plan de réduction de ses émissions de CO2. Même si Bruno Le Maire affirme qu’il ne s’agit pas "d’un chèque en blanc", cela y ressemble car les conditions sont pour le moins floues. En même temps, l’Etat néerlandais négocie, lui aussi, des crédits ou des garanties de crédit de €2 à 4 milliards avec Air France-KLM.

En accordant des aides assorties de conditions trop laxistes, les Etats français et néerlandais (actuellement actionnaires d’Air France-KLM à concurrence de 14% chacun) se privent d’un levier essentiel que constituerait un renforcement de leur participation dans la compagnie. En donnant des aides de ce type, les Etats français et néerlandais soutiennent bien entendu la compagnie mais aident aussi les actionnaires historiques en évitant la dilution de leur participation. Le comble, c’est que les aides de ces deux Etats européens bénéficient aussi à des actionnaires chinois et américains puisque China Eastern Airlines et Delta Airlines possèdent chacune près de 9% d’Air France-KLM.

Lufthansa : une autre voie

L’Etat allemand a choisi une autre voie dans sa négociation avec Lufthansa. Un accord de principe a été annoncé cette semaine sur une aide de €9 milliards en échange d’une prise de participation de 20% avec une possibilité de monter à 25% en cas d’OPA hostile sur Lufthansa, via la mise en place d’emprunts convertibles.

L’approche allemande est préférable à la française pour les raisons déjà évoquées. On peut se demander, cependant, si une aide de €9 milliards ne vaut pas beaucoup plus que 20% ou 25% de Lufthansa, compte tenu de ce qu’il s’agit d’une entreprise à l’arrêt et réalisant des pertes colossales qui l’ont conduite au bord de la faillite. Par ailleurs, les perspectives du secteur aérien comprennent inévitablement un rétrécissement des activités, compte tenu notamment des objectifs climatiques. L’Etat allemand pourrait (avec le soutien de l’UE) au moins exiger le contrôle conjoint (50%) de Lufthansa en échange de son aide. Mais l’opposition de Carsten Spohr, CEO de Lufthansa, est évidemment énorme. Il joue son rôle et défend ses actionnaires historiques pour qu’ils subissent le moins de dilution possible.

L’Etat belge a adopté une approche similaire en exigeant une participation dans SN Airholding (la société mère de Brussels Airlines, elle-même filiale à 100% de Lufthansa) en échange d’une aide de €290 millions.

La solution ?

La libéralisation totale de l’aviation européenne dans les années 1990 était sans doute une erreur. Mais renationaliser le secteur aujourd’hui comme le veulent certains n’est pas la voie à suivre non plus. Un partenariat public-privé qui allie la force de l’Europe au savoir-faire du privé serait la meilleure solution.

Pour réussir ce partenariat, les Etats doivent agir de concert (à l’initiative de l’UE) et exiger comme conditio sine qua non d’entrer dans le capital des compagnies ou d’y renforcer leur position s’ils y sont déjà. De la sorte, ils atteignent trois objectifs. Primo, ils ne font pas de cadeaux aux actionnaires historiques. Secundo, ils peuvent peser dans la stratégie et la gestion futures des compagnies. Et tertio, c’est la seule voie à suivre si l’Europe veut avoir une chance d’imposer le respect des objectifs climatiques à une des industries les plus polluantes de la planète. Comme pas mal d’aides d’Etats sont toujours en discussion, il n’est pas trop tard pour prendre cette direction, mais il est temps !

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