Accord UE-Mercosur : de l’huile sur les feux d’Amazonie et du sang sur les mains des autorités européennes

À l’heure où la question du commerce international est enfin associée à ses impacts sur l’écologie et les droits humains, osons refuser cet accord dévastateur.

Contribution externe
Accord UE-Mercosur : de l’huile sur les feux d’Amazonie et du sang sur les mains des autorités européennes
©Serge Dehaes

Une opinion d'Hélène Capocci et de Sébastien Snoeck, respectivement chargée de plaidoyer chez Entraide et Fraternité et expert politique chez Greenpeace Belgique.

La fin de l’été devient un sinistre rendez-vous annuel des écologistes et des défenseurs des peuples autochtones au Brésil, qui voient leur lieu de vie partir en fumée en raison des feux qui déciment l’Amazonie. Alors que l’an passé l’attention médiatique criait haro sur les records dévastateurs des incendies, l’édition 2020 enregistre des résultats pires encore. Rien qu’en août, près de 30 000 foyers d’incendie ont été détectés en Amazonie brésilienne, un record depuis 2010. Une réalité qui serait freinée par l’accord UE-Mercosur ? Bien au contraire.

Le traité de libre-échange prévoit une libéralisation partielle, voire totale, de produits à hauts impacts environnementaux comme la viande, le soja ou la canne à sucre nécessaire à la production d’éthanol. La réduction ou suppression des droits de douane a pour but d’augmenter les échanges entre les parties, et donc la production des biens échangés. Cela aura immanquablement un effet considérable sur la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre. Une nouvelle étude publiée par des organisations européennes dont Greenpeace et Entraide&Fraternité dévoile que, pour le soja uniquement, ce sont 13 millions d’hectares qui sont cultivés dans le Mercosur à destination de l’Union européenne. Or, seuls 13 % de cette surface proviennent de filières ne contribuant pas à la déforestation.

La ruée meurtrière vers les ressources

Par ailleurs, cette ruée vers les ressources productives induit également des conflits sociaux pour le contrôle des terres et de l’eau notamment. La Commission pastorale de la terre au Brésil relève que les conflits fonciers ont doublé en dix ans, alors que ceux concernant l’eau ont quadruplé. La présidence de Jair Bolsonaro, qui préfère manifestement l’exploitation commerciale des ressources naturelles à leur préservation, a accéléré cette tendance. Entre 1985 et 2019, 1 973 personnes ont perdu la vie au Brésil dans ces conflits en milieu rural. Cela revient à plus d’un décès par semaine, pour 70 % desquels aucune suite judiciaire n’a été donnée.

Dans une lettre signée cet été par 152 évêques brésiliens, les autorités ecclésiales, inquiètes face à la gestion de la crise sanitaire par Bolsonaro et à l’hécatombe économique qui vient, appellent à une réaction solidaire internationale. Sont dénoncées une incapacité et une incompétence des autorités fédérales qui gardent les yeux rivés sur "une économie qui tue, centrée sur les grands groupes qui concentrent les revenus", sans prêter attention à l’aggravation des conditions de vie des plus pauvres (comme les autochtones ou les habitants des périphéries urbaines).

L’UE complice ?

L’Union européenne, chantre des droits humains et de la protection de l’environnement, peut-elle raisonnablement soutenir un tel accord ?

Celui-ci ne contient nullement les garde-fous nécessaires pour éviter les pires conséquences des crises affectant le Brésil. Alors que l’UE révise actuellement sa politique commerciale afin que celle-ci corresponde davantage aux exigences de relance économique post-Covid, mais aussi aux attentes des citoyens en termes d’ambition climatique, d’impacts sur la qualité des produits et le développement durable, il est fondamental de pointer du doigt les graves manquements de cet accord. Il doit comporter un chapitre sur le développement durable contraignant assorti d’un mécanisme de sanction, la ratification par les parties des normes fondamentales de l’Organisation internationale du travail et des engagements climatiques internationaux, un système de traçabilité fiable et de contrôle des marchandises importées qui assure le respect les normes sanitaires et phytosanitaires européennes ( voir la position de la coalition belge Stop UE-Mercosur réunissant le CNCD-11.11.11, CSC-ACV, ABVV-FGTB, CGSLB-ACLVB, Oxfam, Entraide&Fraternité, Greenpeace, Boeren Forum, Flemish Milk Board, MIG, FUGEA, 11.11.11, MAP, Broederlijk Delen, Wervel).

En attendant la présentation des résultats d’une étude tant attendue sur les impacts de l’accord commercial sur l’économie belge, nos autorités doutent de plus en plus du bien-fondé de l’accord dans sa globalité. Tantôt pour protéger l’agriculture familiale, tantôt pour réclamer davantage de garanties sur le respect des droits humains, sociaux ou des engagements environnementaux et climatiques, des positions fortes se font entendre en Wallonie, à Bruxelles ou au Parlement fédéral.

Mais la Belgique n’est pas le seul pays où le contenu de l’accord fait des remous : Hollande, Irlande, Luxembourg, Autriche mais aussi la France et récemment l’Allemagne, dont la chancelière, Angela Merkel, a exprimé "de sérieux doutes" sur le futur de l’accord, ont manifesté leur rejet de l’accord ou exigé des actes du président Bolsonaro pour la protection de l’Amazonie comme condition pour envisager une signature. La situation actuelle est loin de répondre à ces demandes.

À l’heure où la question du commerce international est enfin associée à ses impacts sur l’écologie et les droits humains, osons reconnaître un mauvais accord quand il est sur la table et le refuser, même s’il y traîne depuis plus de vingt ans…

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