Mesdames et messieurs les politiques, ne nous dites plus que l'éducation est une priorité nationale

Le virus nous menace, vos décisions nous insultent, nous épuisent et nous mettent en danger.

Contribution externe
Mesdames et messieurs les politiques, ne nous dites plus que l'éducation est une priorité nationale
©Didier Bauweraerts

Une carte blanche signée par un collectifs d'enseignants de parents et de citoyens (voir ci-dessous).

Je suis enseignante. Et je suis sidérée de voir que la question des écoles est présentée comme un « pour ou contre ». Pour l'ouverture en alerte maximale ! Non, contre ! Je suis sidérée d'entendre experts et politiques insister à l'unisson sur l'importance de « maintenir les écoles ouvertes », voire affirmer qu'il fallait sacrifier l'horeca pour sauver l'enseignement. De la même façon, dans les échanges avec le Cabinet de la ministre de l'Éducation Madame Désir, les parents qui s'inquiètent reçoivent une réponse type qui affirme que « l'éducation constitue une priorité nationale ».

En brandissant l'école ou l'éducation comme un principe abstrait, ces déclarations passent sous silence les conditions concrètes dans lesquelles l'école se fait aujourd'hui. Et ces conditions ne témoignent que d'une chose : l'enseignement n'est pas une priorité. Parce qu'une priorité sans moyens n'en est pas une, c'est, au mieux, une déclaration d'intention, au pire, un mensonge (Mais rassurons-nous, le 30 avril, Sophie Wilmès, alors Premier Ministre, écrivait ceci : des mensonges, il n'y en aura pas. Il ne peut pas y en avoir).

Des moyens dérisoires

Lors de la journée pédagogique qui précédait la rentrée, ma direction se réjouissait que le politique ait mis l'école au centre des priorités. Entassés à plus de 60 dans le plus grand local dont le bâtiment dispose, fenêtres grandes ouvertes, nous avons hésité entre le rire et la gêne. Finalement, l'un de nous a posé la question qui nous traversait toutes et tous: quels sont les moyens qui ont été alloués pour faire de l'école une priorité ? La réponse embarrassée sur les deux masques fournis et le code couleur a mis les choses au clair. Il ne s'agissait pas de « faire » de l'école une priorité, mais de l'affirmer. Parce que « faire » nécessite des moyens.

La taille des groupes-classes ? Inchangée. Une différenciation des horaires pour éviter que nos 500 élèves soient compressés toutes les 2 heures dans les couloirs de l'école ? Impossible. L'état des classes ? Triste, mais c'est comme ça. Un système de ventilation ? Inexistant. Une distribution de masques efficaces pour toutes les actrices et tous les acteurs de l'école, des profs aux élèves en passant par les équipes éducatives, administratives et techniques ? Absolument pas à l'ordre du jour. Une anticipation quant à la saisonnalité du virus et le risque de devoir à nouveau confiner, en fournissant des ordinateurs aux élèves plus fragiles ? Non pas vraiment, un peu, mais plus. Alors quoi ? Alors du savon et du papier dans les classes et la responsabilité de chacun. Autrement dit, des moyens dérisoires, qui semblent révéler la valeur des acteurs de l'école aux yeux de ceux qui affirment en continu que « l'éducation est une priorité nationale » : dérisoire.

Un code jaune avec sourcils froncés

Face à la demande d'ouvrir les fenêtres, l'un de nous demande comment nous allons faire quand les températures chuteront et que les intempéries seront de plus en plus fréquentes. Notre direction rit de cette coïncidence : ils ont justement posé la question à la Ministre ! Et sa réponse ? « On verra à ce moment-là ».

Ce moment-là, nous y sommes. Et donc ? Rien. On ne sait pas. On parle de demander aux élèves de mettre des gros pulls. Ce moment, c'est aussi celui d'une circulation accrue du virus, d'une augmentation du nombre des contaminations mais aussi des hospitalisations et le risque toujours plus rapproché d'une saturation des hôpitaux. Et donc ? Rien. Un changement de code couleur. Vers le code rouge, qui semble correspondre à ce que décrit le Ministre de la Santé lorsqu'il parle d'un « tsunami » plutôt que d'une deuxième vague ? Non, un code orange, mais adapté, c'est-à-dire un code jaune avec sourcils froncés.

La responsabilité de chacun... livré à lui-même

Ce moment d'accélération de la circulation du virus, c'est aussi celui où les hommes politiques se relaient pour annoncer qu'il va falloir prendre des mesures beaucoup plus strictes,... sans jamais s'engager à fournir des moyens plus conséquents. La répartition des responsabilité est patente : l'augmentation des contaminations est présentée uniquement comme un problème de comportements individuels dans la sphère des loisirs. Rien sur le fait que la circulation du virus est aussi une question de situations – les lieux clos, à forte concentration, avec des contacts rapprochés. Rien sur les lieux de travail – ni sur les employeurs qui forcent les personnes contaminées à venir travailler sous peine de ne pas renouveler un CDD, ou les employeurs qui ne fournissent pas à leur personnel les conditions permettant de réduire les risques – des masques aux fenêtres qui puissent s'ouvrir dans certains bureaux, en passant par le gel hydroalcoolique remplacé par un mélange de savon liquide et d'eau. La gestion de la pandémie cesse d'être une question sociale qui appelle des choix politiques, elle devient la responsabilité de chacun, livré à lui-même.

La répartition de la responsabilité en Belgique est présentée de la sorte : surresponsabilisation de chacun, déresponsabilisation politique. En atteste encore la gestion calamiteuse des masques, des tests, le manque d'anticipation total de cette deuxième vague pourtant annoncée depuis des mois, l'écart énorme entre le degré de circulation du virus nécessaire à la réouverture des écoles la moins dangereuse possible et le degré réel de circulation du virus lors de la rentrée scolaire, ou les déclarations ahurissantes sur le fait que, finalement, la source des contaminations importe peu ou, mieux, qu'elles sont majoritairement intrafamiliales (Même si Christie Morreale, contaminée par un de ses enfants qui a ramené le virus de l'espace scolaire à la maison, est l'incarnation de ce qui, officiellement, n'arrive jamais, puisqu'il n'y a pas de virus dans l'espace scolaire...), laissant en suspens ce mystère de l'entrée du virus dans lesdites familles. Ces échecs aux conséquences mortelles ont-ils entraîné des démissions ? Des excuses ? Un sentiment de honte, même vague ? Non. Rien. Ah si, la Ministre de l'enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles s'est excusée d'avoir laisser penser que les enseignantes et les enseignants étaient des tire-au-flan. Voilà.

Des informations éhontément contradictoires

Des efforts réguliers ont pourtant été entrepris depuis septembre, non pas pour donner aux écoles les moyens de faire face à un danger toujours plus important, mais pour relâcher semaine après semaine les protocoles qui visaient à faire baisser les risques : les quarantaine sont raccourcies, les critères qui déterminent les contacts à risque sont revus à la baisse – pour ne concerner plus qu'un échange nez à nez sans masque pendant plus de 15 minutes – et les critères qui permettent de qualifier une classe de cluster sont si minces qu'on finirait vraiment par croire que le virus n'a jamais franchi les murs de l'école. Et quand il est détecté, c'est-à-dire quand une personne tombe malade puisque seules les personnes symptomatiques peuvent maintenant être testées, l'information est éhontément contradictoire. Les courriers envoyés aux parents expliquent que leurs enfants ont côtoyés une personne positive mais que le risque est si bas qu'ils peuvent continuer à venir à l'école comme si rien n'était arrivé... tout en disant au paragraphe suivant qu'il faut que les enfants s'isolent au maximum, intensifient encore plus les mesures d'hygiène, soient attentifs au moindre symptômes et ne soient plus en contact avec des personnes à risques. Des personnes comme les papas qui ont survécu à un AVC ou un infarctus. Ou les mamans en traitement de chimiothérapie qui ne peuvent plus recevoir d'affection de leurs enfants, terrifiés à l'idée de les contaminer. Ou eux-mêmes, comme les enfants qui ont des problèmes de reins, de diabète ou d'asthme, qui ne comprennent pas pourquoi dans les discours, ils et elles n'existent pas, puisqu'on oppose toujours les jeunes et les personnes à risque.

Enfin, ça c'était jusqu'à hier. Aujourd'hui, on ne signalera plus aux membres de l'école si l'un d'eux est positif. Tant pis, on n'a pas le temps, il y a tant de cas, mais pas à l'école qui reste un lieu sûr, si sûr. Aujourd'hui, on ne testera plus les élèves qui auraient été en contact avec des élèves positifs. Mais on garde l'échantillon, hein. Pourquoi ? Pour plus tard ? Pour se dire que l'échantillon a bien été prélevé, c'est juste qu'on n'a pas examiné ce qu'il contenait ?

Ce que les courriers disent donc entre les lignes, c'est ceci : les classes dans lesquelles les élèves passent toute leur journée sont très probablement remplies de personnes asymptomatiques et rien ne sera fait pour changer ça. Qu'est-ce qui sera fait alors ? Ce que les individus feront.

Ce qui sera réquisitionné, ce sont les corps les plus précaires

Et là encore l'inégalité de moyens est brandie comme un moyen d'empêcher des mesures plus importantes – hors de question de fermer les écoles, les plus fragiles seraient encore plus défavorisés par ce choix – sans que des moyens soient alloués. Certaines et certains de mes élèves les plus « fragiles » portent le même masque matin et après-midi parce qu'ils n'ont pas les moyens d'en acheter plusieurs, d'autres portent le même masque jetable depuis des semaines parce que c'est cher, et qu'il y a quatre autres enfants à la maison. Certains portent des masques troués, trop grands ou inadaptés. Ces mêmes élèves qu'on utilisera pour refuser des enseignements hybrides, parce qu'ils ne possèdent pas d'ordinateurs. Mais leur en fournir ? Ah mais un appel d'offre public prend un temps considérable, et puis c'est cher, et puis...

Là aussi le message est clair : ce qui sera réquisitionné, ce sont les corps, les corps les plus précaires, ceux qui prennent les transports en commun, qui font tourner les usines, déchargent les camions, souhaitent une bonne journée en tendant le ticket de caisse. Les corps de ceux et celles qui permettront à ceux et celles qui restent chez eux de pouvoir le faire. Oui, « nous » allons continuer à travailler, mais ces décisions révèlent que ce « nous » est aussi abstrait que la fameuse « école » qu'agitent ceux qui occupent l'espace médiatique. Parce que là encore, ce que ce « nous » théorique masque, ce sont les conditions dans lesquelles chacune et chacun continuera à travailler. Quand on le peut. Quand on a encore un emploi.

Je continuerai à travailler. Je continuerai à faire cours. En gros pulls et en bonnet, face à des élèves qui ont froid, qui ont peur, qui ont des crises d'angoisse, qui s'énervent des contradictions dans les mesures, qui n'ont pas les moyens d'avoir des masques qui ne mettent pas en danger les autres et prient secrètement de ne pas être porteur du virus, qui sont tristes de ne plus pouvoir voir tel ou tel membre de la famille qui est à risque, qui sont à risque eux-mêmes. Cette école qu'on veut absolument maintenir ouverte sans lui donner les moyens de le faire sans être dangereuse et maltraitante pour tous ses acteurs.

Comme tout le monde, j'espère être de ceux et celles qui seront encore vivants en juin, qui n'auront pas de séquelles graves d'une contamination. Mais cet espoir est à l'image des moyens dont nous disposons : minuscule.

Je suis en lutte

Ce qui est énorme par contre, en plus du risque, c'est la responsabilité politique. Celle que vous refusez d'endosser. Mais, comme je vous le disais, je suis enseignante. Mon travail, c'est aussi ça, c'est aussi m'assurer du respect de l'intégrité physique et mentale de mes élèves. Et pour l'instant, vous ne me donnez pas les moyens de remplir mon rôle. Alors, avec mes collègues, avec les parents d'élèves, avec tous ceux et toutes celles pour qui l'école doit réellement être une priorité, nous allons inlassablement nous battre pour obtenir les moyens de faire école, sans maltraitance et sans mise en danger d'autrui.

Je suis enseignant. Je suis enseignante. Je suis parent. Je suis éducateur. Je suis éducatrice. Je suis secrétaire. Je suis technicien de

surface. Je suis technicienne de surface. Je suis gardien. Je suis gardienne. Je suis chauffeur. Je suis chauffeuse de bus, de tram, de métro. Je suis infirmier. Je suis infirmière. Je suis médecin. Je suis aide-soignant. Je suis aide-soignante.

Je suis en lutte.

Signataires

Leila Ajmi, enseignante et maman; Elya Almeleh, étudiante; Fabrice Altes, secrétaire de direction, Centre Scolaire de Ma Campagne (Ixelles); Chantale Anciaux, enseignante; Mathias Baijot, enseignant; Simon Baijot, neuropsychologue et professeur à l'ULB; Julie Baivier, enseignante; Olivier Baussart, éducateur d'internat; Frédérique Binon, enseignante; Nejma Blieck, citoyenne; Pierre Blieck Agronome retraité, grand père Citoyen; Selim Blieck, parent d'élève; Karim Brikci-Nigassa, brancardier et membre de La santé en lutte; Matthieu Chalmagne, enseignant; Khalid Chatar, Formateur; Florence Claes, enseignante; Hichem Dahes, enseignant; Laura Del Valle, enseignante; Dominique De Pape , enseignante; Kristell Desagher, logopède et maman; Stéphanie Descheemaeker, enseignante et maman; Nicolas De Wolf, éducateur; Radhia Djaït, enseignante retraitée, grand-mère; Jean-Michel Dufays, prof HE2B; Guindé Véronique œuvrant dans le social, l'humain et pour l'humain; Vanessa Hautecoeur, enseignante; Elisabeth Heupgen, enseignante retraitée et grand-mère; Denis Huart, infirmier et parent, membre de La santé en lutte; Leila Kabir, enseignante, maman et citoyenne; Hanane Khiel, étudiante; Camille Lambert, enseignante et infirmière, membre de La santé en lutte; Gilles Landry, technicien chimiste; Pauline Laurent, formatrice; Véronique Laurent, enseignante, Anouk Lebrun, enseignante; Leïla Meziane; Esmeralda Menis, enseignante; Magali Michaux, enseignante; Chouaten Mimona, infirmière et membre de La santé en lutte; Anne-Marie Obbiet , militante, parent; Moïra Odaert, infirmière; Emilie Pellin, parent d'élève; Jérôme Peraya, travailleur associatif, membre de La santé en lutte et papa; Serge Pierrard, aide-soignant en psychiatrie, membre de La santé en lutte; Morgane Piraux, enseignante en arts dramatiques, futur parent; Axel Pleeck, enseignant, détaché pédagogique, animateur, formateur; Anne Plétinckx, enseignante, maman et grand-mère; Xavier Ralet, humain; Elisa Rigo, enseignante; Malika Roulants, soignante et maman; Marie-Christine Schmitz, retraitée éducatrice et privée de voir ses petites filles; Nore-Dine Scohy, enseignante et maman; Audrey Simon, Maman et citoyenne active,; Layla Smets, enseignante; Steenhoudt Christophe, enseignant; Jennifer Tabart, enseignante; Valérie Vanbellinghen, puéricultrice; Martin Vander Elst, anthropologue, UCL; Berger Laurent, Enseignant; Kim Vande Pitte, citoyenne; Marie Vialars, infirmière, membre de La santé en lutte; Marc Wathelet, parent d'élèves, docteur en science et spécialiste des coronavirus humains; Caroline Willeme, enseignante, Cindy Zaiti, neuropsychologue; Maja Grum, enseignante; Sophie François, maman, enseignante; Marie Poulaert, enseignante; Anaïs Psaïla, enseignante; Nathalie Grandjean, enseignante et chercheuse (UNamur), et La santé en lutte

Le titre et les intertitres sont de la rédaction

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