De nouvelles techniques permettent de trouver un équilibre entre l’abattage rituel et le bien-être animal
De nouvelles techniques comme l’électronarcose permettent de garantir un abattage décent d’animaux dans le respect de la liberté de religion. On ne peut que regretter qu’un membre de la Cour de justice de l’UE s’y oppose.
- Publié le 27-10-2020 à 09h25
- Mis à jour le 27-10-2020 à 10h21
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Une opinion d'Alberto Alemanno et de Nicolas de Sadeleer, respectivement professeur de droit européen à HEC Paris et professeur de droit européen à l'Université Saint-Louis, chaire Jean Monnet.
Lorsque l’on évoque l’abattage rituel, on utilise facilement une image d’Épinal : celle d’un boucher serrant l’animal dans son giron, rabattant ses oreilles sur ses yeux, et le tranquillisant en égrenant ses prières. Malheureusement, cette image ne correspond guère à la réalité, où les animaux sont abattus de façon quasi industrielle sans étourdissement préalable, que ce soit pour la viande halal ou casher. Le fait de trancher proprement la gorge de l’animal ne supprime pas pour autant sa douleur, dans la mesure où, épris de souffrance, ce dernier restera conscient tant que son sang continuera de se déverser.
Prendre au sérieux le bien-être animal réclame que les animaux soient étourdis avant d’être abattus. C’est précisément pour cette raison que la pratique de l’étourdissement préalable fut rendue obligatoire dès 2009 par le législateur de l’UE. Même si la réglementation de l’UE exempte de cette obligation "les animaux faisant l’objet de méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux", elle habilite les États membres à "assurer une plus grande protection des animaux au moment de leur mise à mort". C’est grâce à cette habilitation que le Danemark, la Suède et la Slovénie sont parvenus à interdire l’abattage sans étourdissement, même si celui-là répond à des rites religieux.
Approche de la Région flamande
Comme le montre l’approche retenue par la Région flamande, il est désormais possible d’aboutir à un compromis entre, d’une part, l’interdiction absolue des abattages prescrits par des rites religieux et, d’autre part, le maintien de cette pratique à titre dérogatoire. La méthode préconisée est celle de l’"étourdissement réversible" (électronarcose), qui consiste à rendre l’animal inconscient lorsque sa gorge est tranchée. Il ressort des études scientifiques que cette méthode est moins traumatisante pour les animaux et facilite la tâche des bouchers ; aussi est-elle acceptée par un nombre croissant de représentants des communautés religieuses concernées. Elle permet, en effet, d’accommoder la préoccupation religieuse selon laquelle l’animal doit rester vivant pour que le sang puisse être pompé d’un cœur qui bat encore tout en diminuant la souffrance.
Toutefois, la méthode de l’"étourdissement réversible" rencontre aujourd’hui un défi juridique de taille. En effet, l’obligation prévue en 2017 par le législateur régional flamand de recourir à cette méthode pour l’abattage selon des rites religieux est, suite à son entrée en vigueur en 2019, actuellement contestée devant la Cour constitutionnelle belge par différentes associations juives et musulmanes. Cette juridiction a interrogé à titre préjudiciel la Cour de justice de l’UE, qui devrait bientôt trancher ce nœud gordien.
Un équilibre, pas une interdiction
Ce n’est pas une interdiction absolue de l’abattage religieux qui est en cause dans cette affaire, mais bien la possibilité qui est réservée aux États membres d’améliorer le bien-être des animaux mis à mort conformément à des préceptes religieux, au moyen d’une méthode telle que l’"étourdissement réversible". La méthode retenue par la Région flamande permet non seulement de rencontrer les desiderata des communautés religieuses qui tiennent à ce que l’animal soit vivant lorsque sa gorge est tranchée, mais elle se révèle également proportionnée dans la recherche d’un équilibre à trouver entre l’objectif régional de promouvoir le bien-être animal, d’une part, et le respect accordé à la liberté religieuse au titre de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, de l’autre.
Avis biaisé de l’avocat général
L’on doit dès lors regretter qu’un membre de la Cour de justice de l’UE, l’avocat général Gerard Hogan, ait proposé à sa juridiction de conclure dans l’affaire précitée que les États membres ne sont pas autorisés par le droit de l’UE à recourir à l’"étourdissement réversible". Dans son avis, l’avocat général Hogan argue que l’"exception religieuse" a été envisagée par les auteurs de la réglementation de l’UE dans le dessein d’accroître la protection de la liberté de religion. Il s’ensuit que, lorsque les États décident d’adopter des mesures de protection plus strictes en faveur des animaux, ils ne peuvent intervenir que dans les limites de cette "exception religieuse".
Ce raisonnement perd de vue que la réglementation en cause assujettit l’adoption de mesures plus sévères à une condition spécifique. Les mesures nationales, voire régionales, ne peuvent empêcher l’importation - en l’espèce, en Belgique - des produits animaux (viande halal ou casher) en provenance des États membres qui n’interdiraient pas l’abattage rituel. Une telle condition n’aurait guère de sens si tous les États étaient tenus de respecter l’"exception religieuse".
Ni islamophobie ni antisémitisme
Aussi, nous contestons l’interprétation défendue par l’avocat général Hogan. Nous estimons en effet que tant la technologie que les meilleures pratiques permettent la réconciliation des intérêts antagonistes, et que la réglementation européenne ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union autorisent le recours à des méthodes plus favorables au bien-être des animaux.
On ne peut reprocher au législateur flamand d’avoir fait preuve d’islamophobie ou d’antisémitisme en adoptant la mesure controversée. L’obligation de recourir à la méthode de l’"étourdissement réversible" fut précédée d’une consultation publique et d’un dialogue avec les communautés religieuses concernées, dans le but de trouver un équilibre entre le bien-être animal et la liberté religieuse. Le recours à cette méthode apparaît d’autant plus justifié que l’offre de viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement dépasse largement la demande. Qui plus est, la réglementation ne prévoit pas l’apposition d’un label sur la viande halal et casher. Ce vide juridique compromet ainsi le droit des consommateurs de connaître l’origine de la viande.
D’un autre temps
On se souviendra aussi que, lorsque ces traditions religieuses virent le jour, le droit de la sécurité alimentaire n’existait pas. Elles se justifiaient par le souci d’éviter la consommation de viandes qui ne provenaient pas d’animaux qui avaient été abattus juste avant leur consommation. Les progrès réalisés en matière de sécurité alimentaire ont rendu de telles pratiques obsolètes. Dès lors, s’interroger en droit sur l’abattage rituel, c’est s’interroger quant aux nouvelles techniques qui permettent de garantir un abattage décent d’animaux dans le respect de la liberté de religion. Il est temps de reconnaître une fin plus acceptable aux animaux destinés à notre alimentation.
Chapô et intertitres sont de la rédaction.