L'épidémie ne sera pas une parenthèse, alors expérimentons une autre manière d’enseigner

Tant que nous ferons semblant de croire que tout pourra reprendre comme avant assez rapidement, nous resterons dans la gestion à la petite semaine. Alors soyons imaginatifs pour cesser d’improviser.

Contribution externe
L'épidémie ne sera pas une parenthèse, alors expérimentons une autre manière d’enseigner
©D.R.

Une opinion de Laurent de Briey, professeur de philosophie à l’UNamur, pilote du processus "Il fera beau demain – Mouvement positif" et ancien chef de cabinet de la précédente ministre de l’Education, Marie-Martine Schyns.

Le 16 novembre, les cours reprendront en présentiel jusqu’à la deuxième secondaire. Il devrait en être de même début janvier pour les dernières années. C’est du moins ce qu’a annoncé la ministre Caroline Désir me donnant le sentiment que le manque d’imagination nous conduit à un déni de la réalité.

Que ferons-nous le 1er janvier ? Renvoyer tous les élèves à l’école, certes avec un masque, comme en septembre ? Alors que, si tout va bien, les hôpitaux commenceront seulement à respirer à nouveau ? Alors que la période de la grippe ne fera que débuter ? Alors que les absences d’élèves et d’enseignants vont se multiplier ? Combien d’heures ne seront tout de même pas données sans qu’il y ait d’alternatives mises en place ?

Et qu’allons-nous faire le 16 novembre ? Alterner entre du présentiel quand c’est possible et du distanciel non préparé ? Alors que nous pouvons seulement espérer avoir passé le pic des hospitalisations et que nous serons au pic des décès ? Alors que, selon une étude du Lancet, l’ouverture des écoles serait l’un des facteurs de propagation les plus importants ? Est-il opportun de demander aux enseignants de bricoler pour essayer d’enseigner normalement dans des conditions anormales ?

Je le répète, nous manquons d’imagination et ce manque d’imagination conduit à un déni de la réalité. Comme nous ne parvenons pas à imaginer comment nous pourrions changer nos comportements, nous nions les évidences. Mais la réalité est têtue. Et la réalité, c’est qu’il a fallu plus de six semaines pour reprendre le contrôle de la première vague malgré un confinement plus strict, malgré une réaction plus rapide, malgré le printemps qui s’installait. La réalité, c’est que les épidémiologistes, les modèles mathématiques et les autorités sanitaires sont unanimes : nous aurons besoin de plusieurs mois pour reprendre le contrôle de l’épidémie.

Tant que nous ferons semblant de croire que tout pourra reprendre comme avant assez rapidement, nous resterons dans la gestion à la petite semaine et nous aurons un temps de retard sur l’épidémie. Nous serons condamnés à improviser. Oser regarder la réalité en face, prendre acte que la situation actuelle va durer, est indispensable pour nous forcer à anticiper et à être, enfin, imaginatif.

Privilégier l’autonomie de l’élève

De ce point de vue, l’enseignement est un cas… d’école. Plutôt que de rêver à un retour au présentiel dès janvier - Caroline Désir aurait souhaité le 1er décembre selon la presse… -, partons du principe que l’alternance entre le présentiel et le distanciel durera au moins jusqu’au mois d’avril. Quitte à reprendre plus tôt si cela s’avère possible, quitte à permettre à des élèves en difficulté de venir plus souvent à l’école, quitte à faire une exception pour les cours pratiques dans le qualifiant et pour le spécialisé. Mais partons de ce principe et laissons au monde scolaire le temps de préparer des dispositifs pédagogiques spécifiques. Dans l’urgence, les écoles risquent en effet de se contenter de donner cours aux élèves présents en classe en demandant aux élèves absents de suivre par vidéoconférence ou d’alterner entre une semaine où toute la classe est à l’école et l’autre où elle est à la maison. L’enseignement hybride ne sera alors qu’un ersatz de l’enseignement classique, alors qu’innover permettrait de tirer profit des avantages de cet enseignement - dont la personnalisation accrue des apprentissages qui est la condition de réussite du futur tronc commun.

L’enseignement hybride par demi-classe - en alternant idéalement un jour sur deux pour réduire le risque de décrochage - pourrait notamment rencontrer une très ancienne demande des enseignants : donner cours à des groupes d’élèves plus petits, dans un climat plus serein et en pouvant mieux s’adapter à chacun d’entre eux. Il peut aussi permettre aux élèves de travailler chez eux à leur rythme. Mais il est impossible pour les enseignants de s’occuper à la fois des élèves en classes et des élèves à la maison. La clé de la réussite, c’est que les élèves puissent travailler de manière autonome lorsqu’ils ne sont pas en classe. Cela demande qu’ils disposent de matériel d’apprentissage de qualité, de tâches à réaliser claires, d’un plan de travail précis. Le professeur peut utiliser le temps en classe pour encadrer le travail fait à la maison ou pour clarifier les points qui ont posé des difficultés. Le travail à la maison peut aussi servir de préparation pour les apprentissages en classe.

Privilégier des dispositifs pédagogiques permettant à l’étudiant de travailler en autonomie à la maison réduit fortement la dépendance au numérique. Celui-ci peut faciliter l’organisation du travail, mais rien n’empêche de donner les consignes et le matériel pédagogique en papier lors des moments à l’école. Une connexion de basse qualité suffit pour télécharger des documents. Voir une capsule vidéo de quelques minutes ne demande pas d’avoir accès à un ordinateur toute la journée. Un élève sans la moindre connexion peut être autorisé à venir à l’école tous les jours.

Les possibilités sont nombreuses, mais cela ne s’improvise pas. On ne part pas de rien cependant. Cet enseignement hybride, certains enseignants s’y préparent depuis le mois de mai, d’autres recourent déjà à des dispositifs similaires. Cadastrer et partager ces initiatives serait un bon début. Les conseillers pédagogiques des réseaux, notamment, pourraient être mobilisés pour créer durant les prochaines semaines des dispositifs spécifiques et les mettre à la disposition des enseignants.

Tout cela aurait pu - aurait dû ! - déjà être fait si, à la sortie de la première vague, un signal clair avait été donné que la rentrée, dans les grandes classes, se ferait en alternant distanciel et présentiel. Cela a été envisagé, mais le début du déconfinement a donné l’illusion que la crise sanitaire n’était qu’une parenthèse. Ce fut une erreur. Ne refaisons pas la même erreur aujourd’hui. Cessons de courir derrière l’épidémie. Privilégions le distanciel dans le secondaire tant que le contexte sanitaire l’exige, laissons aux acteurs de l’enseignement le temps de s’organiser sereinement et donnons-nous les moyens d’expérimenter cet hiver une autre manière d’enseigner.

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