Aux consultations populaires, citoyens !
La crise de confiance des Belges envers les politiques est surtout la conséquence de la mutation de la démocratie parlementaire en particratie. Désormais, place aux citoyens.
Publié le 12-11-2020 à 08h56 - Mis à jour le 12-11-2020 à 09h22
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Une opinion de Maxime de Cordes, citoyen belge, diplômé en droit et sciences politiques.
Une enquête de politologues de cinq universités belges (Anvers, KU Leuven, VUB, UCLouvain et ULB) menée auprès de 4 000 Belges au lendemain des élections du 26 mai 2019 révélait que 60 % des personnes interrogées estiment que les responsables politiques ignorent ce qui se joue dans la société, tandis que 44 % d’entre elles considèrent qu’aucun parti ou personnalité ne parvient à veiller correctement à leurs intérêts. Dix-sept mois plus tard, à l’issue d’âpres négociations sur une coalition puis un accord de gouvernement ratifié par sept partis de tous bords, gages d’instabilité et de timides avancées, je doute que ces statistiques se soient améliorées.
Une crise de la démocratie des partis
Comment expliquer une telle crise de confiance, de légitimité et de représentativité envers nos instances gouvernantes ? Ce phénomène découle évidemment de sources diverses et variées, comme les affaires politico-financières, la complexité - parfois l’incohérence - institutionnelle, les dérives du scrutin proportionnel, la faible représentativité des personnes sans diplôme de l’enseignement supérieur ou la parité pas toujours effective au Parlement. À mon sens, il est surtout la conséquence de la mutation de la démocratie parlementaire en démocratie des partis, ou particratie. Le parti politique s’est introduit dans la relation entre les citoyens et les élus et a bridé le pouvoir de ces derniers. Ce faisant, le parti politique a vidé de toute substance le droit de vote de l’électeur. Ce droit élémentaire et fondateur de la démocratie qui donnait jadis au citoyen un rôle prépondérant sur la scène politique et le maintenait dans une relation de confiance avec son représentant, n’a plus la même saveur. Aujourd’hui, le rôle de l’électeur belge ne consiste plus qu’à établir le poids des partis en vue de leurs futures négociations.
Au sommet de la pyramide des partis, leurs présidents sont seuls à décider à toutes les étapes de la vie politique, tant au niveau législatif qu’au niveau exécutif. Au niveau législatif, ils maîtrisent les thématiques des programmes politiques et choisissent les candidats en tête des listes électorales. Ce qui influence largement la composition du Parlement. Les élus sont ainsi davantage les représentants du parti, dont la ligne dicte les votes au Parlement, que ceux du peuple. Au niveau exécutif, les présidents de parti négocient entre eux la formation de coalitions gouvernementales, l’accord de gouvernement fixant les lignes directrices à long terme ainsi que les contours de la réforme de l’État. Ils se répartissent les portefeuilles ministériels et nomment les ministres. Enfin, pendant toute la durée du gouvernement, ils dictent la ligne du parti à suivre dans les négociations interministérielles lors de l’élaboration des avant-projets de loi qui seront soumis plus tard au vote des parlementaires. La boucle est bouclée.
Le pouvoir des militants
Ainsi, le droit de vote qui a le pouvoir le plus significatif d’orienter la gestion de la société dans le sens promis par le candidat, appartient en définitive aux seuls militants lors de l’élection du président de leur parti. Cependant, jouir de cette dernière prérogative force une certaine loyauté partisane quand nombre d’électeurs de nos jours changent d’intention de vote d’une élection à l’autre, voire même au cours d’une même campagne électorale. Et cela implique aussi de facto d’afficher sa couleur politique que la pudeur préfère souvent ne pas dévoiler. En tout état de cause, le nombre d’adhérents à un parti politique belge en 2012 représentait à peine 5 % de la population en âge de voter. C’est dire si la légitimité des présidents de parti, élus non au suffrage universel mais par une poignée de militants, laisse perplexe au regard de leur omnipotence.
Parmi les 95 % restant, un nombre croissant d’électeurs, pour contester ouvertement cette classe politique, à leurs yeux, illégitime, se tourne soit vers les partis extrêmes ou antisystèmes, comme en témoigne la montée du Vlaams Belang lors des élections de 2019, soit vers le vote blanc ou nul. Or, ces comportements électoraux sont tous deux les symptômes d’un essoufflement de la démocratie représentative.
À l’écoute des citoyens
Comment un temps nouveau pour la démocratie peut-il naître de cette crise de la particratie ? Les propositions avancées par certains politologues pour améliorer le système actuel, telles que la suppression de l’effet dévolutif de la case de tête ou l’introduction d’une circonscription électorale fédérale, sont, à mon sens, nécessaires mais pas suffisantes. Il faut rendre le pouvoir aux Belges. Faute de se sentir représentés, ils participeraient directement à la prise de décision politique sans exercer un quelconque mandat électif. Des acteurs de la Civic Tech comme Fluicity et CitizenLab se font les pionniers d’une nouvelle forme de démocratie, plus participative, en mobilisant l’intelligence collective des citoyens sur la scène publique.
D’un côté, ces organisations intermédiaires permettent à une part importante et diversifiée de la population de s’engager, directement et plus régulièrement que lors d’élections, dans le processus de décision politique. De l’autre, elles promeuvent les politiques publiques mises en œuvre par les autorités. Par quels moyens ? Grâce aux budgets participatifs, consultations populaires, appels à idées, panels citoyens et sondages qu’elles proposent.
Former à ces nouvelles pratiques
Si plusieurs instances gouvernantes sont déjà convaincues par ces dispositifs participatifs, l’enjeu consiste aujourd’hui à former davantage tant les citoyens que les élus à ces nouvelles pratiques afin d’accélérer le mouvement. Les uns pour qu’ils expriment massivement leur volonté, les autres pour qu’ils la prennent en compte systématiquement dans leurs décisions. À cet égard, il impose à la Belgique d’être à l’écoute de cette évolution et d’investir les ressources humaines et financières que cette transformation participative requiert.
Comme un signe de bon augure, le ministre fédéral David Clarinval a fraîchement été investi d’une compétence dédiée spécifiquement au renouveau démocratique. Il est en effet chargé, avec sa collègue Annelies Verlinden, de "diriger une vaste réflexion sur la façon de renforcer la confiance des citoyens dans la politique, avec pour objectif une démocratie modernisée, simplifiée et ouverte à de nouvelles formes de participation". Je lui souhaite, pour mener à bien sa mission, de reconnaître la vertu de la crise et de bien tendre l’oreille.