Le 3 décembre, toutes les personnes en situation de handicap et leurs familles ont été au centre des débats. Et demain ?
Toutes les associations, petites et/ou grandes, ont communiqué en masse, ont fait passer des messages, ont crié leur détresse, leurs revendications… Et elles ont eu raison de le faire ! Ça sert aussi à ça le secteur associatif. J’ai même envie de dire que cela sert surtout à ça. Mais la question qui me vient toujours à l’esprit, à la fin de ces journées, c’est "Et demain ?"
Publié le 04-12-2020 à 11h19
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Une opinion de Laurence Gourgues-Roelandt, co-Présidente de l'asbl Happycurien et maman d'un enfant en situation de handicap.
Aujourd’hui, nous sommes au lendemain du 3 décembre, journée mondiale des Personnes Handicapées.
Donc, toutes les personnes en situation de handicap (et oui, je préfère cette formulation-là), mais aussi leurs familles, ont été au centre de tous les débats,ont été mis en "lumière".
Les médias, les personnalités politiques, quelques personnalités connues... on fait des commentaires, ont écrit de beaux articles, ont publié de belles photos….
Et c’est très bien !
Loin de moi, l’envie de cracher dans la soupe, de ne pas vouloir applaudir, de féliciter, de hurler bien fort "Encore… encore… encore…"
Toutes les associations, petites et/ou grandes, ont communiqué en masse, ont fait passer des messages, ont crié leur détresse, leurs revendications…
Et elles ont eu raison de le faire !
Ça sert aussi à ça le secteur associatif.
J’ai même envie de dire que cela sert surtout à ça.
Mais la question qui me vient toujours à l’esprit, à la fin de ces journées, c’est "Et demain ?"
Le ballon se dégonfle vite
Pour moi, en tant que maman d’un grand garçon de 10 ans, porteur de Trisomie 21, cette journée du 3 décembre est toujours un peu particulière, tout comme le 21 mars, où nous tentons, vaille que vaille, d’attirer l’attention sur la Trisomie 21.
Je dis bien "tentons", car reconnaissons-le, cela fait BOUM, le jour même, mais dès le lendemain, le ballon se dégonfle de manière assez brutale.
Et nous retournons à nos vies.
Lorsque mon fils est né, j’ai très vite voulu ruer dans les brancards, faire changer les choses, faire entendre ma voix, même si je ne suis jamais très à l’aise dans cet exercice, défendre les droits de mon fils, ceux de ses copains, des familles qui souffrent très souvent en silence et dans l’indifférence quasi générale.
Assez rapidement, je me suis aperçue, que dans les faits, les familles sont bien seules dans leurs combats, que certes, des promesses politiques sont toujours sur la table, que des multitudes de groupes de travail sont créés, qu’on cogite ferme…
Et après ?
Sur le terrain ?
Des parents, encore et toujours à la manœuvre, prennent leur bâton de pèlerin, vont frapper aux portes, qui s’entrouvrent parfois, un peu, beaucoup…
Des amis, des proches se joignent parfois à eux… et ça fait du bien au cœur et à l’âme.
Et après ?
Sur le terrain ?
La problématique bien spécifique de la Trisomie 21, de la déficience intellectuelle dans sa globalité est très souvent le "handicap" dont on parle peu en réalité.
Les différences
La déficience intellectuelle fait peur !
Osons le dire !
Car voyez-vous : "Ces gens-là, ne pensent pas comme nous, ne réfléchissent pas comme nous…"
Et c’est vrai !
Tout est différent dans le monde de la Trisomie 21, de la déficience intellectuelle… Les manières de réfléchir, les codes, la gestion des émotions, les méthodes d’apprentissage… même les petits bobos du quotidien, anodins, prennent parfois de curieuses formes et laissent les médecins perplexes.
Très souvent, les personnes qui n’ont jamais côtoyé une personne en situation de handicap, vous disent qu’ils n’ont pas de soucis avec le handicap, qu’ils sont prêts à vivre en parfaite harmonie avec "les handicapés".
Allez chouette !
Pourquoi cela fait-il si peur à la majorité de la population ?
Peut-être parce que leurs cerveaux fonctionnent "comme celui de tout le monde". Tandis qu’une personne porteuse d’une Trisomie 21, d’une déficience intellectuelle : ben non !
Ça c’est très différent… et donc ça fait peur !
Et ça fait peur dès la naissance !
Dès les premiers jours !
Ça pose souci à la crèche, à l’école, dans les loisirs, aux médecins, dans le monde du travail…
Car il faut être formés, informés, du sérail, faire partie de la bande, sinon on n’y comprend rien…
A l’école, vous imaginez bien qu’un enfant pareil va obligatoirement poser soucis, les autres enfants "sains", vont régresser à son contact, certains pensent même que ces "maladies" sont contagieuses.
Dans le monde du travail, ces gens qui ne pensent pas comme la plupart des gens, ne seront pas rentables, plus lents, plus malades, plus… plus…
La réalité est bien plus nuancée
Vous conviendrez qu’il en faut de l’énergie pour expliquer, convaincre, démystifier…
Car tout cela, ce sont des histoires dans l’imaginaires des gens, que la réalité, dans les fais, est bien plus nuancée, complexe que toutes ces caricatures grossières.
Alors, les parents, les associations, ceux qui savent quand même un peu mieux de quoi il en retourne, œuvrent, jour après jour pour que cela change.
Mais nous nous sentons bien souvent très seuls, peu ou pas compris, entendus…
Ces derniers jours, un constat s’est fait dans ma tête de maman : tout ce que je fais, toute l’énergie que je déploie, toutes ces heures consacrées au secteur associatif… Je ne les fais, en réalité, pas vraiment pour mon fils.
Car tout ce travail – oui, cela en devient un à partir d’un certain degré d’implication- je le fais très certainement pour la génération suivante.
Tout comme d’autres parents nous ont ouvert la voie… Nous semons des graines d’espoir.
Vous allez penser que je suis bien prétentieuse de croire que ce que je fais est aussi important, que je me jette des fleurs en pensant que mon travail est essentiel et laissera des traces…
Et oui peut-être que vous avez raison, mais peut-être pas…
Peut-être qu’une toute petite part de ma contribution permettra des avancées.
En tout cas, laissez-moi y croire, le rêver… car croire en ses rêves, ça vous donne une énergie incroyable qui parfois, permet de garder la tête hors de l‘eau.
Elles sont si nombreuses, les choses à devoir changer dans notre société, en Belgique…
Un combat
L’inclusion, ce mot que l’on utilise à tous vents, n’est pas, encore, une réalité vraie, dans notre pays.
Nos enfants, ne peuvent toujours pas aller dans l’enseignement "ordinaire" de manière durable, faire toute leur scolarité dans l’enseignement "normal", car tôt ou tard, il y aura des blocages, le système actuel ne permet pas une scolarité sereine pour les familles qui tentent le combat de l’inclusion scolaire.
Hé oui, c’est un combat !
Un combat qui creuse, aussi, les inégalités entre les familles d’un enfant porteur de Trisomie 21, un enfant en situation de déficience intellectuelle.
Car suivre ce chemin, ça demande aux parents, du temps, de l’argent, des aptitudes sociales, des connaissances pointues du système, des réseaux… et toutes les familles ne peuvent le faire.
Aujourd’hui, nombreuses sont les familles qui font le choix de l’enseignement spécialisé, pour diverses raisons, en se disant que ça aide un peu, que ça soulage un peu la charge mentale et affective, qu’on pense aussi à la fratrie qui a aussi besoin d’attention, qu’au moins son enfant sera dans un environnement bienveillant et accueillant, protégé…
Ce choix de l’enseignement spécialisé est surtout pour les parents, une manière de protéger leur enfant d’une société qui n’est pas (encore) prête à les accueillir pleinement.
Pour que tout cela change, nous ne pourrons pas y arriver seuls, nous parents, associations…
Nous aurons besoin de TOUTE la société.
Alors, "I Have a dream" : je rêve d’une société inclusive, bienveillante, soucieuse de tous. Ça fait peut-être un peu pays des Bisounours, mais c’est comme le fait de croire au Père Noël, ça n’a jamais fait de mal à personne.