Pierre Marcolini, meilleur pâtissier du monde: "Je vis un rêve éveillé. Mais cela n’a pas toujours été le cas…"
Voici l’histoire peu banale d’un petit garçon un peu perdu devenu meilleur pâtissier du monde.
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Publié le 20-12-2020 à 09h00 - Mis à jour le 08-02-2021 à 16h28
Un artisan, une star
Une rue perpendiculaire à l’avenue Louise à Bruxelles. Un triplex dans une maison de maître. La capitale a des trésors cachés. Simplicité, calme et volupté. Une partie très design. L’autre plus ancienne. À l’image de Pierre Marcolini, qui aime puiser son art dans les traditions et innover.
Son parcours force l’admiration. Comme toutes celles et ceux qui, partis de rien, ont construit une œuvre.
Né à Charleroi, dans une famille de mineurs, élevé par sa seule mère, moqué à l’école pour ses origines italiennes, bagarreur, Pierre Marcolini se découvre à 14 ans, et peut-être même avant, une passion pour le chocolat. Apprenti ici et là, il a de l’or dans les doigts. Partout où il passe, les commandes décollent. Il prend son indépendance, travaille comme un dingue dans 30 mètres carrés. Un jour, il crée sa marque, qui s’installe d’emblée au firmament des chocolatiers. Il révolutionne et désucre la praline, il transforme le ballotin en plateau. Il refuse de se soumettre aux industriels et crée ses propres filières, choisit ses producteurs de fèves. Ses mots d’ordre : retour aux sources et authenticité : bean to bar, de la fève à la tablette.
C’est un artisan, mais aussi une star. Au Japon, il est l’Adamo du chocolat. On y fait la file pendant deux heures pour qu’il signe ses boîtes. Aujourd’hui, Marcolini, c’est 40 boutiques dans le monde. La Belgique reste le premier marché. Son rêve ? Il le vit tous les jours. Il voudrait que cela continue. Un projet, peut-être : créer une école. Voici l’histoire peu banale d’un petit garçon un peu perdu devenu meilleur pâtissier du monde.

"Parfois, Madame Jeanne faisait chauffer de l’eau pour que je puisse me laver les cheveux." Dans quelle famille avez-vous grandi ?
Je suis né dans une famille italienne, qui provient de la région du Nord, du côté de Vérone. Le père de ma maman est venu en Belgique, à Charleroi, juste après la guerre, pour travailler dans les mines. Quelques mois plus tard, ma grand-mère l’a rejoint avec leurs cinq enfants. Ils ont encore eu deux enfants par la suite. Je suis né en 1964 : maman n’était pas mariée. Marcolini, c’est le nom de maman. Mon père a "oublié" de venir à ma naissance. Je ne connais que le nom de mon père : Jean Dumas. Il ne s’est jamais manifesté, je n’ai pas de photo de lui, je ne l’ai jamais rencontré. Je l’aurais souhaité. Ce désir m’est passé.
Pas facile de vivre sans père…
Le plus dur, ce fut l’adolescence, il me manquait un référent masculin. Ma maman a dû jouer les deux rôles : il y en a toujours un qui rate un peu. Aujourd’hui, je suis le papa de deux enfants, je me rends compte que les deux parents ont un rôle, une importance. Assez vite, maman a quitté Charleroi pour trouver un emploi à Bruxelles : elle était femme de ménage. J’ai fait mes études à Saint-Gilles. Ce n’était pas simple tous les jours. Il y avait parfois des moqueries à l’égard des Italiens. Je me souviens d’un professeur qui nous disait : "Messieurs les Italiens, la bande des ‘i’, sortez !" J’étais un peu bagarreur : quand on vous fait comprendre que vous n’êtes pas le bienvenu, la seule manière de vous défendre, c’est celle-là. Peut-être les Italiens avaient-ils encore cette image d’immigrés venus ici pour profiter de la mutuelle ? Mais il ne faut pas généraliser évidemment : plus tard, j’ai eu des professeurs qui m’ont beaucoup encouragé, François Foulon, notamment, au Ceria. Je lui dois beaucoup.
Parliez-vous italien avec votre maman ?
Non ! Maman ne voulait pas. Elle souhaitait que je parle, d’abord, le français, pour faciliter mon intégration. Il y avait cette obsession d’être intégré. À l’époque, je me sentais un peu apatride. Je n’étais pas encore belge - j’ai obtenu ma grande naturalisation plus tard - et je n’étais plus vraiment italien puisque ma famille avait quitté le pays.
À 14 ans, vous choisissez d’aller au Ceria (Centre d’enseignement et de recherches des industries alimentaires et chimiques). Un hasard ? Un choix ?
Maman m’avait demandé : "Que veux-tu faire de ta vie ?" J’ai eu la chance d’avoir cette conviction précoce, cette envie de travailler dans la pâtisserie, le chocolat et de m’y investir à fond. J’ai très vite senti que c’est cela que je voulais faire. Je me souviens que le professeur de chocolaterie nous avait demandé de réaliser une bonbonnière : une boîte carrée avec un couvercle. Je trouvais cela assez banal. En me baladant à Bruxelles, j’ai aperçu un kiosque. Plutôt que de réaliser une bonbonnière, j’ai conçu un kiosque en chocolat. Plus tard, je me suis demandé si ce n’est pas cette soif d’exister qui me poussait déjà à vouloir faire mieux que les autres. Quand le départ dans la vie a été compliqué, vous nourrissez peut-être, en vous, très tôt, le désir de vous surpasser.
D’autant que sur le plan familial cela restait difficile. Vous vous êtes retrouvé seul en Belgique…
Ma mère, son compagnon et mon demi-frère sont partis vivre en Espagne. Moi, je n’y suis resté que deux mois. Je suis revenu car j’aimais l’école, ici. J’ai été placé sous la tutelle de ma tante Rita : à l’époque, la majorité était à 21 ans. À 17 ans, après le Ceria, je suis retourné à Charleroi : je travaillais quatre jours, en tant qu’apprenti, dans une boulangerie à Chapelle-lez-Herlaimont. Je me levais tous les jours à 4 heures du matin pour prendre le premier tram. J’habitais à La Hestre, chez Madame Jeanne, dans une petite chambre : j’étais logé et nourri. Je dormais sur un lit de camp, j’avais une armoire, un petit chauffage avec une bonbonne de gaz, un lave-mains. Parfois, Madame Jeanne faisait chauffer de l’eau pour que je puisse me laver les cheveux. Et, chaque soir, pendant un an, elle m’a offert une tartine de beurre avec une tranche de jambon. C’était compris dans le prix… Bon, cela fait un peu Zola, mais c’était comme cela.
Après un an, vous êtes revenu à Bruxelles…
J’avais une soif d’aller plus loin dans le métier. J’ai été engagé à la Boulangerie Gérard, au boulevard Mettewie. Là aussi, j’étais nourri : une côte de porc et des pommes de terre tous les jours. Puis, j’ai travaillé deux ans à La Brioche d’or, puis trois ans à La Parisienne, rue Washington à Ixelles, où l’on m’a engagé en tant que chef, alors que je n’avais que 19 ans. Le chiffre d’affaires a explosé : de deux personnes en brigade, on est passés à huit. Le patron m’a proposé de reprendre sa pâtisserie. Mais je sentais que ma formation n’était pas terminée. Je suis allé travailler à Stockel. J’ai rencontré ma première épouse, Nicolette Regout, qui m’a rapidement dit : "Arrête d’hésiter, lance-toi !" J’avais peur. J’ai d’abord fait de la sous-traitance pour les boulangers-pâtissiers, dans un local de 30 mètres carrés. Je faisais des pâtes d’amande, des truffes, des figurines. On a travaillé comme des fous. On s’est étendus dans le local voisin. Je me souviens que mon beau-père, le papa de Nicolette, en découvrant l’espace, m’a demandé : "N’as-tu pas vu un peu trop grand… ?" Je n’en ai pas dormi. Mais c’était un homme extraordinaire, il m’avait dit : "Avant d’être mon beau-fils, tu es devenu un ami."
Et ensuite, le succès a été rapide…
Oui, car entre-temps j’ai été désigné meilleur ouvrier de Belgique en 1991, j’ai gagné trois fois le Concours Mandarine Napoléon international, j’ai été vice-champion du monde de pâtisserie et enfin champion du monde en 1995. Ces concours, c’était l’occasion de rencontrer des gens aussi passionnés que moi. Il n’y avait pas d’Internet, on s’échangeait nos recettes, écrites à la main sur nos carnets. Nicolette insistait : "Maintenant, ça suffit de travailler pour les autres, on va mettre ton nom sur tes chocolats." On l’a fait. L’atelier est passé à 500 mètres carrés, j’ai ouvert une boutique Pierre Marcolini, avenue Reine Astrid à Kraainem. Le succès a été immédiat. Mais il y a eu des plaintes des voisins dans ce quartier résidentiel car on commençait à 4 heures du matin. Donc on a déménagé à Haren sur un terrain de 1500 mètres carrés, puis 2 500. Quand mon beau-père a vu cela, il a dû s’asseoir… Ensuite, nous avons ouvert une boutique avenue Louise, puis au Sablon.
On dit de vous que vous avez révolutionné la praline. Comment était-elle, qu’en avez-vous fait ?
La praline traditionnelle faisait, et fait toujours dans certaines maisons, entre 15 et 20 grammes. J’avais remarqué que, dans le domaine de la restauration, toutes les portions gargantuesques, saucées, alcoolisées, avaient diminué. Quand vous regardez ce que les gens mangeaient avant, on peut se demander comment ils sortaient vivants de ces déjeuners ! Tout avait diminué, donc, y compris les pâtisseries, mais pas dans le domaine du chocolat. Les Belges ont été de grands chocolatiers. Grâce à la mécanisation, on était descendus à moins de 30 microns d’épaisseur du chocolat. Mais rien n’avait plus bougé depuis trente ans. J’ai voulu faire des chocolats plus petits, plus intenses, qui racontent une histoire : j’ai balayé les intérieurs fortement sucrés. Je voulais des chocolats qui aillent à l’essentiel, qui racontent une histoire, à plus de 70 % de cacao, donc désucrés au maximum. J’ai osé associer le chocolat à de nouvelles saveurs, comme le thé, à l’earl grey ou encore du poivre, du gingembre, le côté floral, épicé. Et cela a plu.
"Je recherche l’essence de mon métier, son âme"
Après les pralines, vous vous êtes attaqué au ballotin…
Le ballotin, tel qu’on le connaissait, a été inventé par la maison Jean Neuhaus, au début du XXe siècle. Cent ans plus tard, il n’avait pas changé. Je me suis adressé à François Schwennicke, de la maison Delvaux. Je lui ai demandé de participer, avec son équipe de création, à un projet qui permettrait de présenter les chocolats sur un plateau. Juste un plateau. Aujourd’hui, c’est évident. À l’époque, cette idée de déringardiser le ballotin était révolutionnaire. Delvaux, au départ, créait des malles. Je faisais des pralines. Le ballotin est devenu la "malline" : malle et praline. Un autre François, Schuitten, a illustré la boîte : "le tour du monde en 80 pralines". C’est l’image d’une Belgique que j’adore : la qualité, l’artisanat, le savoir-faire.
En 2001, une directive européenne, prise après le lobbying des grands industriels du chocolat, autorise la présence de 5 à 10 % de matières grasses autres que le beurre de cacao dans la confection du chocolat. Vous la rejetez. Pourquoi ?
Le monde du chocolat, ce sont des pays planteurs, des plantations de cacao qui vendent leurs fèves à des industriels qui font le travail de torréfaction : ils broient les fèves de façon à fabriquer ce que l’on appelle la couverture de chocolat. Elle est utilisée par des industriels ou des artisans qui font fondre ces blocs ou pastilles de chocolat pour en faire des tablettes, des pralines, etc. Mais ce chocolat, on le reçoit, on ne le fabrique pas. En 2001, après avoir visité de vieilles chocolateries qui travaillaient à partir de la fève de cacao, comme Bernachon, à Lyon, j’ai voulu revenir à l’essence du chocolat. J’ai donc voulu me détacher de la dépendance des grands industriels du chocolat. Pour moi, la liberté devait nécessairement passer par la maîtrise du processus de transformation des fèves et je suis reparti de la base, de la fève de cacao. C’est ce que l’on appelle bean to bar, de la fève à la tablette. Je suis allé à la recherche de producteurs : un travail long, des moments de peur, de doute, de larmes mais aussi de joie.
Il a fallu convaincre votre conseil d’administration. Car refuser le formatage et préférer l’artisanat, cela a un prix…
Oui, la première chose qu’ils m’ont demandée fut : "Quelle est la différence de prix ?" Le choix de filières indépendantes faisait passer la tonne de chocolat de 2 000 dollars à 6 000 dollars. Mais torréfier une fève de cacao, c’est l’âme du chocolatier. En reprenant la main sur la fève, j’ai voulu retrouver l’essence de mon métier, son âme. Car, pour moi, le chocolatier est celui qui fabrique son chocolat, pas uniquement des bonbons de chocolat. Beaucoup de chocolatiers m’ont dit : "Tu es malade, comment veux-tu q ue les gens voient la différence ?" Mais si, il y en a une… On est partis à Trinidad et Tobago, au Vénézuela, à Cuba, au Mexique, en Inde. Un projet un peu fou.
Résultat, vous fabriquez et vendez cher des chocolats de luxe…
Oui, même si je n’aime pas trop ce mot. Car le luxe réside dans la quête des meilleurs crus de cacao : criollo, trinitario, nacional, forastero, chuao. C’est comme pour le vin, il y a des grands crus de chocolat. Là, un monde s’est ouvert à nous. Des plantations voisines peuvent produire des arômes différents avec une incroyable amplitude de goût. Beaucoup de fèves ont un arôme naturel épicé ou floral. Cette démarche nous a permis d’avoir la compréhension de ces territoires et surtout le respect des hommes qui y travaillent et de leur proposer une charte morale.
Que contient cette charte ?
Cette charte est exigeante, elle est un gage de respect pour la terre et les personnes qui y travaillent. Pour moi, l’écologie contient une dimension sociale importante. La culture du cacaoyer, pratiquée à l’échelle industrielle, est synonyme de dérèglement climatique. Elle entraîne des déforestations et souvent, encore aujourd’hui, elle n’est pas exempte de violations du droit du travail, car elle utilise des enfants. L’engagement social et environnemental que je signe avec les producteurs de fèves prévoit l’interdiction du travail infantile, l’interdiction du glyphosate et aussi la garantie d’utiliser des cacaoyers d’origine, natifs, qui n’ont pas été modifiés. Nous nous engageons aussi à mettre en avant le planteur rémunéré correctement et son produit. Cela leur permet d’investir et d’envoyer leurs enfants l’école.
Vous n’êtes pas le seul à concevoir votre métier de la sorte, à prôner un retour à l’authenticité…
Non, il y a une nouvelle génération de chocolat, que j’appelle 2.0. Tout est réuni aujourd’hui, les fèves, le matériel, pour que de nouveaux chocolatiers reprennent le métier en main. C’est comme avec les microbrasseries ou les viticulteurs.

"La Belgique, c’est ma maison. Mais j’ai mal…"
Bilan de l’aventure aujourd’hui, 400 collaborateurs, 40 boutiques dont 8 au Japon. Là, vous êtes un peu l’Adamo du chocolat…
On a ouvert nos premières boutiques au Japon en 2000. Sur les 400 collaborateurs actuels, 130 sont au Japon, le deuxième marché, après la Belgique. C’est un immense défi. Car toute la production est toujours fabriquée dans notre atelier de Haren et nous devons tout livrer, dans un état impeccable, au Japon. Le Japon, c’est une aventure incroyable, que j’ai menée à bien avec mon partenaire Yushi Tajima. J’y vais deux ou trois fois par an. Et, lors de la Saint-Valentin, nous y ouvrons 110 pop-up où travaillent 500 personnes. Les gens font parfois deux heures de file pour acheter leurs chocolats et recevoir une boîte dédicacée ou une photo. Là-bas, les artisans sont la mémoire vivante du pays. Pour eux, le geste est primordial, ils ont beaucoup de respect pour l’élégance. Comme le dit John Ruskin, l’art est beau quand la main, le cœur et l’esprit travaillent ensemble. Le Japon puise son art dans son histoire tout en ayant un regard moderne. Notre succès au Japon me permet d’engager du personnel en Belgique.
Pour réussir cela, il faut que les financiers suivent. Or, un de vos partenaires a souhaité se retirer…
Les associés sont toujours les mêmes depuis vingt ans, ce sont mes trois mousquetaires : François Schwennicke, Laurent Levaux et Olivier Coune. La vocation du fonds franco-anglais Neo Capital n’est pas de rester. Il devait sortir en 2019. L’opération a été retardée à cause du Covid. Je ne pense pas qu’ils se sont plaints de la valorisation de la maison Marcolini. Nestlé est resté trois ans. Ils nous ont permis de réaliser certains développements en nous demandant de créer des recettes pour aller avec les cafés Nespresso. Ils ont des chocolatiers en interne, mais ils étaient quand même venus chercher le savoir-faire d’une PME bruxelloise. C’était flatteur.
La prochaine étape ?
Quand je me retourne, je revois l’enfant qui se cherchait, le balbutiement. Puis l’adolescent un peu fou qui partait un peu dans tous les sens. Maintenant, c’est la maturité. On veut continuer à grandir mais de façon raisonnée, en gardant l’artisanat. Cela, c’est un état d’esprit. Mais il faut aussi, dans la mesure du possible, être visionnaire comme nous l’avons été avec le bean to bar. Une autre préoccupation me vient, c’est la transmission du savoir, l’un des rôles premiers de l’artisanat. Dans notre métier, un homme qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Peut-être, à un moment donné, faudra-t-il créer une école de l’excellence. Ce qui tue aujourd’hui le chocolat belge, contrairement à d’autres nations comme la France, c’est l’enseignement. Il faut des écoles à la pointe. Les jeunes qui sortent des écoles, nous devons les reformer. Ce n’est pas le cas en France, où il y a toujours eu le compagnonnage. Cette culture-là les sauve.
Faites-le…
C’est ce que nous faisons dans notre entreprise aujourd’hui, nous leur transmettons notre manière de voir le métier, de construire leur avenir. C’est ma satisfaction de voir des jeunes passés chez nous qui s’installent après. Il y a du talent en Belgique, en Europe et dans le monde. Si l’on pouvait concentrer cela dans un même endroit… ! Si je peux terminer ma carrière avec cela, je serais vraiment très heureux.
Que représente la Belgique pour vous ?
C’est ma maison, mon engagement. Mais qu’est-ce que j’ai mal de la voir se séparer. Elle fonctionne difficilement. A-t-on fait les bons choix ? Faut-il avoir neuf ministres de la Santé ? Le modèle est-il le bon ? L’enseignement est-il assez performant ? Je me pose ces questions. Je ne comprends pas. Je n’ai pas la solution. J’adore voyager, aller à Tokyo, à Shanghai… mais je ne peux pas me passer de Bruxelles. Je suis bruxellois dans l’âme. La qualité de vie y est incroyable : en dix minutes, on est dans une forêt. Il faut deux heures pour s’extraire de Shanghai… J’aime la Belgique du produit, du travail, de la qualité, de la culture, de la diversité.
"Ce qui m’a construit ? Mes origines et maman"
Comment vous ressourcez-vous ?
Mon ressourcement, c’est aller dans les plantations. Un vrai moment de bonheur. Avec le Covid, c’est compliqué. J’espère y retourner bientôt. C’est une manière de me réancrer. Je me ressource aussi en dégustant une nourriture simple, sans chichis. Mon ressourcement, c’est aussi un regard, un moment d’amitié, cela fait aussi partie de mon équilibre. J’aime aller à la rencontre des gens. Je peux passer un temps infini avec des gens "de produits", chez un producteur de fèves ou mon vendeur de noisettes dans le Piémont. Dans ma deuxième vie, Valérie, mon épouse actuelle, m’entraîne souvent voir des expos, de Bacon, de Soulages, par exemple. Cela me nourrit beaucoup aussi. C’est souvent une grande source d’émotions.
Quel est le meilleur moment de la vie ?
La famille, évidemment. J’adore cuisiner pour ma famille, pour mes amis. Me donner aux autres, c’est essentiel. On ressent une certaine fragilité : est-ce que cela va plaire ou pas ? J’aime partager des émotions, c’est le sens de la vie, je crois.
Êtes-vous un homme heureux ?
Oui, je vis un rêve éveillé. Mais cela n’a pas toujours été le cas.
En qui, en quoi croyez-vous ?
Je crois en l’être humain. J’ai été élevé par une maman très catholique. Donc, j’ai le sentiment qu’il y a quand même quelque chose là-bas. On ne peut pas s’empêcher d’y penser.
Pensez-vous à la mort parfois ?
Oui. Je pense à ce que je laisserai, alors.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Il y a peut-être quelque chose qui suit derrière. On verra… Mais de quelle façon ? J’aime la notion d’histoire collective, de la mémoire que l’on va laisser à ses enfants. Je crois plus dans cette immortalité-là. L’important est de vivre dans l’instant présent, de transmettre des belles valeurs. Je crois en cela.
Vous arrive-t-il de prier ?
Oui. Pour remercier. Oui, parce que parfois je me demande comment j’ai fait pour faire tout cela.
Qu’est-ce qui vous a construit ?
L’adversité, je crois. Et ma naissance, étonnamment. C’est sans doute mes origines, mon parcours qui ont fait que je suis ce que je suis. Et, surtout, ma mère, évidemment. Les valeurs qu’elle m’a transmises. C’est une grande dame. On n’avait pas le droit de se plaindre. Je crois qu’elle a aujourd’hui une certaine fierté, mais c’est une fierté modeste, simple. Ce qui m’a construit, c’est la valeur du travail. Si on veut réussir, il faut se lever le matin et travailler. Se plaindre ne sert à rien.
Du côté de chez Proust
Quelle est votre vertu préférée ? Ce n’est pas une vertu, mais on se bat pour que cela en soit une : la gourmandise.
La qualité que vous préférez chez un homme ? L’intégrité.
Chez une femme ? La même chose.
Votre principal défaut ? De temps en temps, un peu de mauvaise foi.
Votre principale qualité ? La générosité.
Votre rêve de bonheur ?Ne pas me réveiller, je suis en plein dedans.
Quel serait votre plus grand malheur ? Perdre le goût. Ce serait dramatique.
Votre auteur préféré ? De grands chefs comme Joël Robuchon, Pierre Gagnaire, des gens qui m’inspirent.
Votre compositeur préféré ? Difficile, je citerais Francis Cabrel. Et les suites de Bach par Rostropovitch : magique !
Votre héros préféré ? Léonard de Vinci. Quel talent !
Ce que vous détestez par-dessus tout ? L’injustice.
Le don que vous auriez aimé avoir ? La connaissance des langues. Cette porte m’est fermée.
Comment aimeriez-vous mourir ? Un beau matin, doucement. Mais en pleine conscience.
Quelle est la faute, chez les autres, qui vous inspire le plus d’indulgence ? D’avoir raté. Dans notre société, l’échec est mal vu. Pourtant, il faut rater pour réussir.
Avez-vous une devise, une phrase qui vous inspire ? Entre le rêve et la réalité, la seule porte qui les sépare, c’est le courage.