Michel Lecomte, grand nom du journalisme sportif: "Mes racines m’ont aidé à rester humble, attentif aux faibles"
Dans le livre Mes arrêts sur image (Éditions Kennes), Michel Lecomte a choisi de raconter quarante moments de sa carrière. Retour sur celle-ci et sur la vie de ce grand nom du journalisme sportif qui était déjà la "gazette" de son village condruzien.
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Publié le 17-01-2021 à 08h01 - Mis à jour le 08-02-2021 à 16h29
Namur. Quartier de La Plante. Sa jolie maison a plus de cent ans. Pimpante. L’intérieur est design, discret, sans ostentation. Trois bûches crépitent dans la cheminée, fabriquée dans la province. Il aime ses racines, Michel Lecomte. Elles ne sont pas loin d’ici, dans le Condroz où il a grandi, pédalant d’une ferme à l’autre, colportant en wallon les rumeurs du village. Déjà l’envie de savoir, de raconter. Et surtout d’aller à la rencontre des gens.
Sa jeunesse est tranquille. Il aime amuser le public. Il fait partie de la troupe locale de théâtre. Au sortir des secondaires, en internat, on lui conseille le journalisme. Ce sera l’Ihecs, alors situé près de Tournai. Quatre ans d’apprentissage, de créativité, de passions, de sorties… Un pied dans la vie professionnelle à la RTBF et tout s’emballe. Sa vie est une succession de rendez-vous et de chances. Mais l’art, n’est-il pas de provoquer cette chance ? Et de la saisir quand elle passe ? Le voici chef de la rédaction sportive à la RTBF dans une équipe rigoureuse mais qui aime rire et s’amuser. Il devient la figure de La Tribune en télévision, l’incontournable rendez-vous sportif du lundi soir, jusqu’en décembre dernier, à l’heure de la retraite.
Son approche du journalisme et des sportifs a toujours été noble. Son obsession : chercher l’homme ou la femme derrière l’exploit. Ami d’Eddy Merckx, de Justine Henin, de Christian Prudhomme, patron du Tour de France, il aime faire parler les sportifs : dans chaque victoire, dit-il, il y a un parcours, un dépassement de soi. Mais aujourd’hui, entourés d’une nuée de communicants, les sportifs se confient moins. Dommage. Car, quand ils laissent la caméra entrer dans leur vie, cela donne des moments de grâce comme lorsque l’on découvre l’amitié joyeuse entre Eden Hazard et Christian Benteke.
Dans le livre Mes arrêts sur image (Éditions Kennes), Michel Lecomte a choisi de raconter, avec son ami Stéphane Hoebeke, quarante moments de sa carrière. Même pour les non-sportifs, ce livre se dévore. Au couchant d’une carrière et à l’aube d’une retraite, il espère cultiver la vie familiale, l’amitié et… les champignons. Voici le parcours et les passions d’un homme vrai, attachant, rieur, qui aime profondément la vie, l’instant présent et les gens.

L' Entretien
Dans quelle famille avez-vous grandi ?
J’ai grandi à Verlée, hameau de la commune de Havelange, dans le Condroz. Mes parents étaient issus de familles d’agriculteurs. On ne roulait pas sur l’or mais on n’a manqué de rien. Maman, femme au foyer, s’occupait aussi du bétail tandis que papa s’activait à faire grandir son petit garage où il a fini avec une dizaine d’hommes. Il adorait la politique, il a été bourgmestre de Havelange et conseiller provincial. Nous étions quatre enfants. J’ai toujours senti l’amour de mes parents mais nous étions un peu livrés à nous-mêmes : nous fréquentions les mouvements de jeunesse, le théâtre, le tennis de table, le foot. Comme beaucoup de jeunes du village, à 12 ans, j’ai pris le chemin de l’internat.
Quelles valeurs vos parents vous ont-ils transmises ?
Le bon sens, l’humilité, la proximité, l’empathie. Mes parents m’ont appris à être plus attentif aux faibles qu’aux puissants. Aujourd’hui encore, je suis plus sensible à la fragilité qu’à la force.
Vous étiez la gazette du village…
Le village était tout petit : une rue principale, une chapelle, quelques fermes. Je me baladais beaucoup à vélo, je parlais avec tout le monde car je connaissais le patois. Les vieux aimaient cela. Ils me racontaient des cancans que je colportais jusqu’à ce qu’un jour l’un d’eux me confie qu’une des familles vendait sa ferme. Je suis allé le raconter partout : c’était une blague… ! Ce côté curieux m’est resté, c’est de là que me vient le goût des gens, la volonté d’entrer en contact.
Quel enfant étiez-vous ?
Pas compliqué. Plutôt joyeux. Boute-en-train, un peu moqueur même… J’ai été un élève moyen. Je suis un littéraire, mais mon père m’a poussé à faire "les modernes". J’aimais beaucoup les tournois d’éloquence et les expériences de théâtre à l’école. À cette occasion, les filles de Sainte-Marie venaient au collège des garçons : c’était l’effervescence… !
Après une année de droit, aux facultés de Namur, vous choisissez les études de journalisme à l’Ihecs, alors située près de Tournai…
J’ai vécu quatre magnifiques années à l’Ihecs : un enrichissement permanent qui dépassait largement les cours. Avec des professeurs passionnés, de grands professionnels comme Raoul Goulard, grand reporter, correspondant de guerre, Robert Delieu, comédien, poète. Il a corrigé mon accent condruzien, moi qui traînais les "mêêêêêêême"… C’est une école fantastique, qui favorise la créativité, le travail en équipe.
Quelle a été votre première expérience professionnelle ?
J’ai travaillé, en télé, pour le magazine Tempo . Les moyens de tournage étaient considérables : un réalisateur, un cadreur et son assistant, un éclairagiste, un preneur de son, un perchiste, une scripte, etc. Puis Marie-Paule Eskénazy et André Mignolet m’ont donné ma chance au centre régional de la RTBF à Namur. J’y ai fait de tout. On partait le matin pour dénicher les sujets les plus divers. Aux élections de 1982, on avait installé des boîtes aux lettres dans les coins les plus reculés pour recueillir les questions des gens. À Omzée, près de Philippeville, il n’y avait plus eu d’élections depuis 1921. Mais le résultat avait donné 26 voix pour une liste, 25 pour l’autre. La cicatrice était toujours là. C’était une matière formidable pour nos reportages, on allait vraiment à la rencontre des gens, ce n’était pas un micro-trottoir qui, souvent, ne veut rien dire. Ensuite, je suis devenu journaliste sportif, titulaire d’un diplôme en communication : une première. J’avais carte blanche, je cherchais, bien au-delà des faits et des exploits, des histoires d’hommes et de femmes. Puis j’ai travaillé pour l’émission Vendredi sports qui était produite à Liège et que les Bruxellois regardaient avec un certain dédain. J’ai été repéré par Roger Laboureur, provincial comme moi, qui travaillait à Bruxelles. Marc Jeuniau, patron des sports, m’a offert un contrat à temps plein. Par la suite, en 2003, j’ai pris la direction de la rédaction sportive, qui compte aujourd’hui 55 personnes. Nous avons créé La Tribune , que j’ai présentée seul puis en compagnie de Benjamin Deceuninck. Ce que j’ai surtout aimé, dans ma carrière, ce sont les rencontres, la découverte des hommes et des femmes derrière les sportifs et les sportives.
Quel est votre meilleur souvenir ?
Certainement l’émission Mexigoal , en 1986. Je n’avais que 31 ans, Nous avons reçu, avec la réalisatrice Cécile Gonfroid, Maurice Loiseau et André Remy, les manettes d’un programme qui était un concept très audacieux pour l’époque. Il y avait du public, du divertissement qui agrémentait les soirées. Il faut dire que nous avons été remarquablement servis par les Diables, qui ont fait une campagne inattendue. Ce fut un merveilleux souvenir parce que nous allions au-delà du foot.
Le pire souvenir ?
C’est évidemment le drame du Heysel. J’étais allé tourner des images sur l’esplanade du Heysel. Tout s’était bien passé. Mais, en commentant mon sujet en cabine, j’ai vu, en direct, les images du déchaînement des hooligans. Arsène Vaillant, qui était sur place, ne s’en est jamais remis. On l’a laissé seul, il était perdu, désemparé. Il disait : "Je ne suis pas un correspondant de guerre."
Dans votre livre, vous analysez les évolutions du milieu sportif. Avant, les journalistes entraient en contact facilement avec les sportifs. Aujourd’hui, ils sont souvent inaccessibles. Pourquoi ?
La sincérité des échanges tend à disparaître… Sportifs et dirigeants lissent leur discours. Aujourd’hui, la communication sur les réseaux sociaux des sportifs est très maîtrisée. Le contact direct est devenu plus difficile qu’avant. Recueillir des états d’âme de sportifs, ce serait magnifique, mais c’est devenu quasiment impossible. J’ai vécu cette évolution. Une de mes grandes frustrations est, par exemple, de ne pas avoir pu établir de contact professionnel avec cette magnifique athlète qu’est Nafissatou Thiam. Elle est très bien encadrée, recueille des résultats impeccables. Mais, freinée par des responsables de communication, elle ne franchit pas cette étape qui lui permettrait de donner un peu plus d’elle-même au grand public. Je ne dis pas qu’il faut le faire systématiquement. Mais ponctuellement, de manière à nous donner à comprendre l’épaisseur de son tempérament, de son talent, de ses valeurs. C’est un exemple, il y en a d’autres. Tout est devenu contingenté, formaté, orienté. Nafi a publié des choses très bien après l’assassinat de Georges Floyd. Mais il n’est pas possible d’aller plus loin. La liberté qui nous permettait de suivre les sportifs, de les approcher, celle qui a aussi contribué à "faire" des champions, cette liberté est en train de se réduire fortement.
Vous décrivez des footballeurs dans leur bulle, qui descendent des bus avec des écouteurs sur les oreilles sans un regard pour les journalistes.
Oui. Cela dit, les journalistes doivent aussi se remettre en question car il y a eu aussi des dérives dans notre métier. Une dérive peut expliquer l’autre. Mais il est évident, sans jouer au vieux nostalgique, que cela n’a plus rien à voir avec une époque que j’ai vécue. Roger Laboureur et Théo Mathy, deux grands journalistes sportifs, étaient dans la chambre d’Eddy Merckx après les étapes du Tour de France. Eddy m’a dit que c’est Théo Mathy qui lui avait déconseillé de participer au Tour de 1973. Peut-être cette influence était-elle excessive parce que cela sort de notre rôle. Il fallait donc mettre une certaine distance. Je comprends qu’ils se protègent. Mais la méfiance qui s’est installée induit des comportements particuliers dans la mesure où le sportif de haut niveau préfère choisir deux ou trois journalistes-relais proches, qui peuvent devenir des porte-voix, plutôt que de se confier à d’autres, plus critiques. Cela fausse la donne. Eddy Merckx s’est toujours montré extrêmement ouvert. Justine Henin a été plus parcimonieuse mais a toujours compris qu’il était nécessaire de s’exprimer. Cela dit, entre la Justine Henin qu’on a vue pendant sa carrière et la vraie, celle qu’on connaît aujourd’hui, il y a un monde, ce sont deux femmes différentes. Mais c’est normal. À ce niveau-là, ce sont des métiers de fous.

"L’argent a pourri le sport comme d’autres secteurs"
Autre évolution : l’argent fou. On s’étonne qu’un ministre gagne 11 000 euros par mois, mais pas qu’un footballeur puisse gagner 11 000 euros par jour… ou bien plus encore pour Lionel Messi.
On sait très bien que leur carrière est courte, qu’ils et elles doivent jouer très gros en peu de temps. Mais l’évolution est terrible. Au cours de son année la plus faste, Eddy Merckx, le grand Eddy Merckx au sommet de sa gloire, a gagné 14 millions de francs belges ! Franck Vandenbroucke, le cycliste, chez Cofidis, gagnait 35 millions de francs belges par an. Donc moins d’un million d’euros. Pourquoi Merckx a-t-il créé une entreprise, après son retrait ? Parce qu’il était obligé, parce qu’il devait vivre. C’est aussi ce qui fait toute la dimension du Merckx d’aujourd’hui. L’argent peut fausser la nature même de ce qu’un homme est. Il peut donc aussi fausser le sport. L’argent a pourri le sport comme il a pourri d’autres secteurs.
Mais pourquoi certains sportifs de haut niveau sont-ils si bien payés aujourd’hui ?
C’est la loi de l’offre et de la demande. D’année en année, les plafonds augmentent. Cela dit, tous les sportifs professionnels ne sont pas payés comme des nababs. J’espère que la crise aura pour effet de limiter les excès. Car l’argent peut dénaturer fondamentalement ceux qui pratiquent le sport en n’ayant plus que cela comme absolue référence avec une propension à être très "bling-bling". Le génie a un prix, partout. Mais les salaires faramineux d’aujourd’hui ne correspondent plus à rien et j’ai du mal à comprendre que certains semblent ne jamais en avoir assez. Dans sa manière d’être, Eden Hazard est un modèle mais il n’échappe pas à la règle. Or, je suis certain que son vrai plaisir n’est pas de regarder ses extraits de compte, mais de s’amuser sur le terrain. Les sportifs doivent aussi, parfois, se méfier des intermédiaires : certains sont de véritables rapaces.
Malgré cela, est-il encore possible de croire au sport professionnel ?
C’est parfois épuisant, au fil du temps. Parce qu’il y a l’argent, la triche mais aussi le dopage. Rodrigo Beenkens a dû commenter sept victoires d’Armstrong au Tour de France avant qu’il n’avoue qu’il s’était dopé…. On dit aussi que, même chez les paralympiques, il y a parfois de la triche. Je repense à ceux qui m’ont le plus fasciné sur le terrain mais qui sont tombés, par la suite, en déchéance : Maradona. C’était mon joueur préféré. Georges Best, de Manchester United, le cinquième Beatles. Et à un autre niveau Roger Claessen, du Standard. Un homme très touchant. Il y a dans notre métier des moments de grands découragements, c’est vrai, face à toutes ces dérives. Et puis, on découvre des sportifs qui ont beaucoup de fraîcheur, dont l’honnêteté et la sincérité sont authentiques. Le sport a aussi une valeur d’exemple, il suscite des vocations, il donne le goût de l’effort, du dépassement, la nécessité du lien.
Finalement : êtes-vous pour le Standard ou Anderlecht ?
C’est la question que l’on m’a le plus souvent posée ! Quand j’étais gamin, j’étais un vrai supporter du Standard. On ne perd jamais cela. Mais je ne suis pas un anti : ce n’est pas parce que je suis Standard que je suis anti-Anderlecht. Et j’ai toujours adoré le jeu plus esthétique d’Anderlecht. Cela dit, dans mon métier, j’ai toujours veillé à rester à égale distance des deux clubs. L’autre question que l’on m’a le plus souvent posée concerne mes fous rires. Dans la famille, avec mon frère et mes sœurs, on a le fou rire facile. J’en ai eu d’inoubliables, particulièrement avec Maggy, ma sœur aînée, grande complice, décédée à 51 ans. Et j’en ai eu aussi, d’anthologie, à la télévision. Avec Roger Laboureur, notamment quand j’ai dû commenter, à 23 heures à Los Angeles, la finale de lutte gréco-romaine. La caméra tremblait tellement le cameraman riait. Le lendemain, une famille nous a envoyé douze bouteilles de champagne. Le papa avait rappelé toute sa famille pour nous regarder : ils ont tous fini la soirée en pleurant de rire…
"Il n’y a pas plus coloré que le sport, dans le sens noble du terme"
Il y a parfois, chez certains supporters, un racisme latent. Mais, depuis quelque temps, le sport aide à lutter contre le racisme..
Il n’y a pas plus coloré que le sport, dans le sens le plus noble du terme. Ce fait est un témoignage permanent contre les discriminations. Mais il y avait, c’est vrai, dans les tribunes, des comportements assez primaires, des langages racistes inadmissibles contre lesquels les instances avaient une position de principe toujours clairement affichée, mais finalement assez neutre. Car il n’y avait pas de sanctions, on ne poussait pas les comités de discipline à intervenir et à sévir, à prononcer des sanctions fermes. On se contentait de passer des spots "No racism". L’année 2020 a été un jalon, une rupture. En décembre, lors du match PSG - Basaksehir, les deux équipes ont décidé de quitter le terrain parce que le quatrième arbitre a été accusé d’avoir tenu des propos racistes à l’encontre d’un membre du staff de l’équipe d’Istanbul. Nous devons mettre en avant ce genre de réactions. Voyez aussi le comportement exemplaire de Lewis Hamilton, après sept titres de champion du monde en F1. Cette saison, il a porté une combinaison noire. Les Mercedes, que l’on appelait les Flèches d’argent, ont été repeintes en noir. Il a convaincu toute son écurie d’afficher la couleur. Et au micro de Gaëtan Vigneron, il a raconté qu’il avait été victime de harcèlement, à l’école, et que sa famille avait aussi subi des injures racistes. En fin d’année, il a dit : " Je sais désormais pourquoi je cours ." J’ai sorti cette déclaration dans la rétro de l’année à l’occasion de mon dernier JT : je peux vous dire que j’étais content de terminer ma carrière avec cette prise de position.
Il y eut aussi "Histoire de famille", un reportage très émouvant, qui dépeint l’amitié entre Eden Hazard et Christian Benteke.
C’est, pour moi, le plus réussi des documentaires récents : il a été coproduit par la RTBF et Thomas Bricmont. Entendre Eden Hazard dire " j’ai dû être africain dans une autre vi e", c’est tellement fort. Ce jour-là, Hazard et Benteke ont laissé le temps à la caméra de s’installer et leurs confidences naturelles étaient exceptionnelles. Il faut se donner le temps et les moyens de faire cette télévision-là. Il faut que les sportifs nous laissent faire cela, en toute confiance. Avoir été un petit vecteur de ces moments forts, partagés par tellement de gens, des moments de joie, où les émotions sont tellement positives et liantes, cela me rend serein.
Le sport peut aussi apaiser les douleurs, vous en avez fait l’expérience concrète…
Peu avant sa mort, Philippe Maystadt avait souhaité rencontrer Felice Mazzu, entraîneur de son club de cœur, le Sporting de Charleroi. C’était bouleversant. L’ancien ministre des Finances, ancien président de la Banque européenne d’investissement, était fasciné par le sportif. Léon Vivier, l’ancien porte-parole de Philippe Maystadt, et moi avons assisté à cet étonnant échange. L’un partageait les échos des vestiaires, l’autre racontait ses anecdotes, son entrevue glaciale avec Poutine. Ce fut un moment incroyable. Il y avait beaucoup de pudeur et de joie.
Vous écrivez que la télé peut rendre fou…
Ce qui me fait dire cela, c’est Stéphane Pauwels, qui a été chroniqueur à La Tribune pendant neuf ans. Après, j’ai dû m’en séparer. Mais je n’ai pas envie de jeter le bébé avec l’eau du bain car, si je sais ses excès, je sais aussi tout ce qu’il nous a apporté. Et je pense que ce qu’il manque aujourd’hui à l’émission, c’est un personnage clivant qui apporte la contradiction au débat. Mais il faut quelqu’un qui garde la raison, qui ne perde jamais le sens du jeu… Pauwels, il lui est arrivé de le perdre. Il est devenu tellement populaire qu’il s’est brûlé les ailes. C’est un personnage fascinant mais qui a fini par dériver.
Comment rester humble ?
Mes racines m’ont bien aidé, l’humilité fait partie de mes valeurs. Le doute a toujours pris le pas sur la suffisance. Et le doute m’habite en permanence. Sortant d’une émission, d’un programme, d’une interview, je doute toujours. Je ne me regarde jamais car je ne vois d’abord que ce qui n’est pas allé. Il n’y a aucune raison pour que nous, journalistes, soyons sur un piédestal. Par certains côtés, ce métier est quand même superficiel. Maintenant, retraité, j’ai envie de revoir certaines personnes que j’ai croisées, pour approfondir le lien. J’ai besoin de profondeur. En même temps, je suis un émotif un peu primaire. Je connais mes failles et mes faiblesses.

"S’inscrire dans la perspective de la fin nous incite à rendre plus beau ce que l’on vit"
Avez-vous des regrets ?
L’écran m’a beaucoup occupé. Et peut-être, à certains moments, au détriment de ma famille. Être chef, aussi, cela pousse à faire des choix compliqués, qui peuvent laisser des traces.
Que ferez-vous, désormais, le lundi soir ?
Regarder souvent La Tribune , bien sûr !
Et dans la vie ?
Prendre du temps pour mes proches. Retourner plus encore au théâtre, quand ils seront ouverts. Voir les gens que j’aime. Et garder une touche professionnelle liée à mon expérience en donnant quelques conseils.
La politique ?
Mon père n’a pas survécu à une défaite politique. J’aime suivre les débats. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui prennent ces responsabilités, pour peu qu’ils ne soient pas rattrapés par la dictature des réseaux sociaux. Mais je n’en ferai jamais.
Qu’est-ce qui vous a construit ?
Mes racines, le groupe de jeunes de 15-18 ans où nous discutions, avec l’aumônier, du sens de la vie, de la solidarité. Le collège aussi, puis l’Ihecs, où la créativité était reine. Camus disait : " Créer, c’est vivre deux fois ." Magnifique. La RTBF, aussi, m’a construit. J’ai eu beaucoup de chance. En fait, toutes les étapes de ma vie m’ont construit.
Comment vous ressourcez-vous ?
Le vélo, la lecture et, demain, j’espère, davantage de nature : je ne raterai plus jamais le début de la saison des champignons ! J’ai aussi terriblement envie de donner aux gens. Camus, encore lui, dit : " La vraie générosité envers l’avenir, c’est de tout donner au présent ." Je veux cultiver prioritairement l’amitié et le lien familial.
En qui, en quoi croyez-vous ?
J’ai été éduqué dans un milieu très croyant. Je ne le suis plus mais reste très en phase avec la démarche spirituelle d’un Gabriel Ringlet par exemple.
Pensez-vous à la mort, parfois ?
Oui. Des deuils, on en fait beaucoup dans une vie. Il faut remplir au mieux sa vie. J’aime cette phrase : " C’est à cause que tout doit finir que tout est si beau. " De Charles-Ferdinand Ramuz. S’inscrire dans la perspective de la fin nous incite à rendre plus beau ce que l’on vit.
Qu’y a-t-il après la mort ?
Ce qu’on laissera à ceux qui restent. J’aime quand Reggiani chante : " Il faut vivre d’amour, d’amitiés, de défaites, donner à perte d’âme, éclater de passion, pour que l’on puisse écrire à la fin de la fête : quelque chose a changé pendant que nous passions ."
Bio express
1955 Naissance le 17 juillet 1955. Il grandit à Verlée (Havelange) dans le Condroz.
1978 Fin des études de journalisme à l’Ihecs.
1980 Premier contrat à la RTBF. Il entre au service des sports en 1986.
2003 Chef du service des sports à la RTBF.
2005 Création de l’émission La Tribune.
2020 Il prend sa retraite et publie Mes arrêts sur image, aux Éditions Kennes.