Comment gérer au mieux notre temps ?
Comment définir nos priorités, ce qui est fondamental dans notre vie ? Un histoire de gros cailloux, un économiste italien et les fruits de la vie intérieure peuvent nous mettre sur le chemin.
Publié le 18-01-2021 à 11h53 - Mis à jour le 22-01-2021 à 18h39
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Une carte blanche de Philippe Dembour, père de famille. Auteur du livre "Parents responsables", Éditions Mols.
Un vieux professeur fut un jour engagé pour donner une leçon à des dirigeants d’entreprises sur l’utilisation optimale de leur temps. Privilégiant les gestes, il débuta son cours en plaçant plusieurs gros cailloux dans un pot jusqu’au bord. Il demanda ensuite à ses auditeurs si le récipient était plein. Devant une réponse unanimement positive, il prit un bol rempli de gravier et le versa sur les cailloux. Le gravier s’étant infiltré, il posa la même question : "Le pot est-il plein ?" Le public manifestant plus d’indécision, il prit du sable qui se glissa dans les interstices. Devant ses prestigieux élèves médusés, il saisit ensuite le pichet d’eau sur la table, remplit le pot jusqu’à ras bord et demanda à chacun : "Quelle vérité tirer de cette expérience ?" Un jeune patron ambitieux répondit qu’il en concluait que, lorsque notre agenda était rempli, il y avait toujours moyen d’y ajouter d’autres rendez-vous… Le professeur répliqua que là n’était pas son message : "J’ai simplement tenté de vous dire que, si vous mettez d’abord l’eau, le sable et le gravier dans le pot, vous ne parviendrez pas à y faire rentrer tous les gros cailloux !"
Le professeur continua : "Posez-vous les deux questions suivantes :
1. Quels sont les gros cailloux de ma vie : ma famille, l’éducation de mes enfants, mon travail, mes amis, me divertir, aider les autres, ma vie intérieure… ?
2) Ces gros cailloux occupent-ils la première place de ma vie ? Il est, en effet, important de les privilégier. Si on donne la priorité aux futilités et peccadilles, il sera plus difficile de trouver son équilibre car les questions fondamentales de notre existence n’auront peut-être pas reçu l’attention nécessaire !"
Distinguer les problèmes
Ces gros cailloux nous incitent à réfléchir à notre gestion du temps et à la place que nous octroyons à l’essentiel. Ce besoin de prioriser trouve un écho dans les travaux de Pareto.
Cet économiste italien avait mis l’accent sur la nécessité de bien distinguer les problèmes stratégiques des problèmes secondaires. De nombreuses facettes de la gestion d’une entreprise illustrent sa règle des 80-20 (dite loi de Pareto) : 20 % des produits vendus assurent 80 % du chiffre d’affaires; 20 % des clients représentent 80 % des ventes ; 80 % des réclamations proviennent de 20 % des clients ; 20 % de l’effort assure 80 % de l’accomplissement d’une mission. En d’autres termes, 20 % des causes sont responsables de 80 % des effets ! D’où la nécessité d’établir des priorités et de se concentrer sur ce qui est fondamental en définissant les 20 % d’efforts qui permettront d’atteindre 80 % des résultats. Quelles sont les actions qui auront le plus d’impact sur nos objectifs ? Il n’y a pas de résultats sans actions et pas d’actions sans objectifs. "Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va", disait Sénèque.
Nous pouvons appliquer ces réflexions dans une multitude de circonstances : dans le monde de l’entreprise comme dans notre vie de tous les jours. L’important est de bien définir les objectifs et les priorités.
Les bienfaits de la vie intérieure
Une application m’est venue l’autre jour à l’esprit en aidant un futur ingénieur civil à comprendre un cours de finance. En une quinzaine d’heures de cours, le professeur avait réussi à donner aux étudiants une remarquable description de l’ABC de la comptabilité et de l’analyse de bilan. Bien entendu, il ne fera pas de ceux-ci des experts-comptables, mais là n’est pas le but. En quelques heures, il aura assuré une connaissance financière suffisante pour un ingénieur. S’il faut, à l’université, une grande majorité de cours pénétrant la matière en profondeur, on peut se demander si la multiplicité des branches, notamment pour un ingénieur civil, ne justifierait pas la création de nombreux cours qui, en peu d’heures, révélerait l’essentiel des disciplines non choisies comme majeures ou mineures.
Portons la réflexion sur l’intangible. Cette loi de Pareto peut aussi s’appliquer dans la gestion de notre personnalité et l’éducation de nos enfants.
"Tous les hommes recherchent le bonheur, même ceux qui veulent se pendre", disait Pascal. Si on vise notre épanouissement et celui de nos enfants, il importe de nous mobiliser sur les priorités sans nous attarder sur des points secondaires. Ceci implique réflexion, cohérence et équilibre : réflexion sur ce qui nous rend heureux, cohérence entre ce qu’on pense, dit et fait, équilibre entre la rigueur qui permet de suivre nos priorités et l’insouciance qui permet de souffler.
Connaître nos priorités exige d’effectuer un travail sur soi. Ce travail d’intériorité et d’analyse relève de la spiritualité, laïque ou d’inspiration religieuse. Notre vie intérieure nous éclaire sur le sens de la vie et les valeurs qui vont fonder notre comportement. La vie étant une succession de décisions à prendre, notre intériorité nous fournit des aides à la décision dans la mesure où elle nous fait découvrir le but ultime de la vie et les différents buts intermédiaires auxquels nous subordonnerons nos actes. La vie intérieure, c’est le lieu d’enfantement de notre idéal ; c’est quand, à l’image du doigt de Michel-Ange, l’Intime effleure l’Infini ; c’est quand le cerveau, en ballade, rejoint l’âme pour atteindre cohérence et sagesse (1) ; c’est quand notre prière ou notre recueillement nous fait entrevoir la beauté de la création et réfléchir sur les fondamentaux de notre existence.
Sans vie intérieure, la vie extérieure peinera à se déployer et à s’équilibrer. Et pourtant, les systèmes éducatifs (école et parents) ne sont pas tous prompts à la développer. Il n’est, en effet, guère dans l’air du temps de sortir du monde de l’action productive et de la frénésie des divertissements pour "philosopher". Le dialogue avec soi-même ne devrait cependant pas se limiter aux penseurs et religieux. Tout le monde devrait y être encouragé par la musique, le contact silencieux avec la nature, la lecture de livres élevant le cœur et l’esprit… Ceci implique un agenda à trous non entièrement phagocyté par le travail ou les réseaux sociaux. L’improductivité est parfois fertile ! La bonne nouvelle, comme nous l’enseigne Pareto, c’est que l’essentiel peut se contenter de peu de temps, tout en contribuant substantiellement à notre objectif ultime de vie. Rarement, activité gratuite aura été aussi rentable ! En attendant, comme nous le suggèrent les Maoris, pour tenter de l’atteindre, tournons-nous vers le soleil. Nous laisserons ainsi l’ombre derrière nous.
(1) "La Pyramide de la sagesse" ; "La Libre Belgique", 25 mai 2004
Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction. Titre original : "Pareto, les gros cailloux et… nous-mêmes"