Qu'est-ce qui motive la triche aux examens, cette réaction inutile et contre-productive ?

Peut-être devons-nous oser reconnaître qu’il en va de la tricherie en classe comme de la fraude fiscale ou sociale...

Contribution externe
Qu'est-ce qui motive la triche aux examens, cette réaction inutile et contre-productive ?
©Jean-Luc Flémal

Une carte blanche de Jean-François Horemans, Professeur-chercheur en Psychopédagogie, et de Alain Schmidt, Professeur-chercheur en Management stratégique.

Maxime Brison s’étonne, dans les colonnes de la Libre Belgique, de la façon décomplexée, peut-être même inconsciente, avec laquelle les étudiants partagent leurs modes de tricherie sur les réseaux sociaux. Les cours de récréation et les banquettes de bus où l’on s’échangeait jadis ce genre de "secrets" se sont donc virtualisées. Reconnaissons-le d’emblée : la "triche" est une réalité depuis longtemps.

Nous relisons régulièrement les propos d’Adolphe Ferrière, fondateur du Mouvement de l’éducation nouvelle qui, dès les années 20, expliquait en quelques mots comment l’école sut apprendre aux élèves ce qu’ils n’auraient jamais appris sans elle : dissimuler, tricher, mentir.

Celui qui triche ne trompe que lui-même

La question n’est donc pas de savoir quel niveau d’inconscience peut conduire des élèves à vanter leurs "exploits" en toute extimité – par opposition à la notion d’intimité – mais de se demander peut-être pourquoi, tandis que les générations scolaires se succèdent, celles et ceux qui usent leurs fonds de culotte sur les bancs de l’école, ou désormais sur leur chaise de bureau à domicile, reproduisent un schéma comportemental dont chacun sait parfaitement que, non content d’être inutile, il s’avère parfaitement contre-productif.

Nous le savons tous : celui qui triche ne trompe que lui-même, il programme les difficultés à venir lorsqu’il sera confronté, un jour, aux matières qu’il a fait semblant de connaître.

Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer le nombre de personnes qui échouent lorsqu’elles présentent des examens de recrutement dont certaines questions portent sur des matières qu’elles ont, supposément du moins, étudiées dans le cadre de leur parcours scolaire.

"Et pourtant, ils trichent !", pourrait-on affirmer, comme Galilée soutenait que la terre tourne ("E pur si muove !").

Ne serait-il pas grand temps, vraiment, de s’interroger sur ce qui peut bien motiver cette réaction paresseuse et/ou parfois désespérée ?

Et si nous osions nous demander pourquoi, à telle époque et dans tel cours, nous avons triché ?

Pour ce qui nous concerne, les réponses sont assez simples :

  • le sens et donc l’utilité de ce qui nous avait été enseigné ne nous apparaissaient pas ;

  • la masse d’informations que nous étions supposés retenir nous semblait inabsorbable ;
  • le délai qui nous était imparti pour mémoriser une matière nous semblait trop court ;
  • personne ne nous avait appris à apprendre.
  • Cette liste n’a bien sûr rien d’exhaustif. Sans doute devrions-nous y ajouter, par pure honnêteté intellectuelle, et parce que c’était possible et que tout nous y invitait.

    Aux questions de savoir si nous prenions des risques en trichant, si une surveillance parfois tatillonne était organisée par nos enseignants et si, peu importe les précautions adoptées par ceux-ci, nous parvenions quand même à tricher, la réponse est systématiquement positive.

    Il en va de la tricherie en classe comme de la fraude fiscale ou sociale

    Peut-être devons-nous dès lors accepter l’idée selon laquelle il vain de s’interroger ou encore de s’offusquer des tricheries en classe. Peut-être devons-nous oser reconnaître qu’il en va de la tricherie en classe comme de la fraude fiscale ou sociale, à savoir que leurs auteurs sont notamment mus par l’idée de tromper l’institution. Peut-être devons-nous formuler l’idée que celui qui trompe l’institution est motivé pour ce faire parce qu’il n’a pas compris son utilité.

    Il trompe l’institution scolaire parce qu’il n’a pas compris qu’usurper, en quelque sorte, les qualifications qui lui permettront d’obtenir un diplôme ne revient qu’à franchir la première étape d’une série d’autres qui le confronteront aux conséquences de ces qualifications non maîtrisées. Il trompe l’institution fiscale ou sociale parce qu’il n’a pas compris qu’il met ainsi en danger des systèmes de solidarité dont il aura tôt ou tard besoin. Il trompe ses interlocuteurs primaires – parents, enseignants, contrôleurs fiscaux ou sociaux – parce qu’il n’a pas compris que ces 'petites victoires' immédiates et momentanées le confrontent à des risques majeurs pour l’avenir.

    Des pistes pour éradiquer la triche

    Faut-il dès lors l’en rendre conscient, l’effrayer, en quelque sorte, pour le convaincre de quitter son comportement "répréhensible" ?

    Les neurologues confirment aujourd’hui ce que les pédagogues expliquent depuis toujours : on ne convainc personne par la menace mais on engrange toujours des résultats encourageants en recourant à la norme d’internalité (faire en sorte que l’autre agisse pour des raisons qu’il a faites siennes).

    Les pistes sont multiples qui permettent d’éradiquer toute envie de tricher sans le moins du monde transformer les salles d’examen en espèces de camps retranchés où l’on mesure finalement bien davantage la résistance des étudiants au stress que leur maîtrise d’une quelconque matière.

    La pyramide des besoins développée par Huguette Desmet et Jean-Pierre Pourtois (Université de Mons-Hainaut) permet, lorsqu’on en applique les principes, de créer une dynamique de classe dans laquelle chacun s’engage, comprend la valeur qui est la sienne aux yeux de son enseignant, comprend et donc intègre les matières qu’on lui enseigne et partage un ensemble relationnel et de valeurs qui soutient une démarche continue d’apprentissage.

    La pédagogie de l’erreur notamment développée par le regretté Jean-Pierre Astolfi encourage à se lancer dans l’aventure des apprentissages et d’y maîtriser progressivement les matières loin de toute stigmatisation toujours contre-productive.

    Les modèles de classe inversée et de notation partagée par les pairs développés par Marcel Lebrun (UCL) invitent les apprenants à prendre conscience du véritable rôle de toute évaluation, à savoir aider chacun à améliorer sa copie, à parfaire sa connaissance et à faire sienne les raisons d’apprendre.

    Cette liste est encore bien pauvre mais plusieurs dizaines de paragraphes ne suffiraient pas pour tendre vers l’exhaustivité, en incluant notamment les apports de Bernard Rey (cadre propice aux apprentissages), de Philippe Meirieu (principes d’éducabilité et de liberté), de Paolo Freire (pédagogie bancaire), de Fernand Oury (pédagogie différenciée), de Charles Pepinster (pédagogie du chef-d’œuvre) et de cent autres encore qui, depuis Joseph Jacotot (pédagogie du "maître ignorant") et même nombre de leurs prédécesseurs, ont proposé des idées, des démarches qui, assemblées, tracent, non pas des chemins mais de véritables boulevards de possibilités d’apprendre et de se perfectionner sans jamais être même simplement titillé par l’idée d’une quelconque forme de tricherie.

    Et si nous reprenions tous le chemin de ces lectures essentielles pour le plus grand bénéfice, à court, moyen et long termes de nos élèves, au lieu de ressasser les éternelles questions de savoir pourquoi certains trichent, osent tricher et/ou encore osent s’en vanter plus ou moins maladroitement?

    Et si nous parvenions à allumer systématiquement, dans le cerveau des apprenants, le circuit de la récompense en lieu et place du cortex préfrontal ventromédian, récemment identifié comme le centre de l’anticipation des remords ?

    Ce ne sont que des propositions. Elles sont certainement critiquables. Le sont-elles moins que des réussites éphémères galvaudées en trichant ?

    >>> Titre de la rédaction. Titre original: La "triche" et les "bonnes" questions

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