Chers rhétoriciens, il vous faudra ramer à contre-courant. Mais vous en êtes capables
Voici ce que je souhaite répondre aux élèves qui ont signé le texte intitulé : " Nous, jeunes, sortons grandis de cette période sinistrée, prêts à prendre la relève".
Publié le 20-01-2021 à 09h59 - Mis à jour le 20-01-2021 à 10h09
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Une chronique de Xavier Zeegers (xavier.zeegers@skynet.be).
Chers lycéens,
Bien que n’étant pas prof d’université, ni enseignant, ni même diplômé du secondaire, je m’autorise à vous décerner une "grande dis", à vous les dix élèves qui prirent l’initiative d’exprimer votre vision de l’avenir au seuil de vos études supérieures.
J’ignore si vous resterez dans le giron de votre terroir chrétien, ce qui semblerait naturel et de bon aloi ; mais vous êtes tous majeurs et ce choix reste libre évidemment. Vous pourriez donc être parmi les organisateurs des célébrations du 600e anniversaire de l’UCL en décembre 2025. Il serait alors plaisant que vous nous donniez de vos nouvelles après cet accomplissement, étant nimbés de la fierté d’avoir grandi dans les pas d’Erasme et Mercator qui s’inspirèrent de votre université, ainsi que mon idole Georges Lemaître "notre" Einstein qui y fut professeur, et génial découvreur de l’atome primitif. La scission de Louvain en 1970 fut jugée désolante, voire catastrophique, mais le pire n’est pas toujours avéré, et le temps, surtout celui des deuils, dépose finalement un voile consolateur dont vous tisserez la trame. Mauriac disait avec cynisme à propos de la RDA : "J’aime tellement l’Allemagne que je suis content qu’il y en ait deux", mais nous dirons avec vous que nous aimons tellement la connaissance qu’il ne nous dérange plus qu’elle ait deux ailes, surtout si c’est pour mieux voler. Et si Martin V (la famille Colonna !) ne fut pas le meilleur des papes - mais pas le pire non plus -, rendez-lui grâce d’avoir écrit une bulle autorisant le duc Jean IV de Brabant à construire la plus ancienne université de notre pays.
Là où vous ne céderez pas
Vous évoquez moult déterminations, des engagements fermes que les scientifiques nomment des "invariants", en clair ces choses sur lesquelles vous ne céderez pas, vu leur valeur intrinsèque. Des impératifs catégoriques disait Kant, souvent cité dans les cimes culturelles des campus. Bravo. Mais sachez que cela fait de vous des marginaux à notre époque de sinistrose ambiante et qu’il vous faudra ramer à contre-courant. Mais vous en êtes capables, puisque vous refusez d’emblée la facilité : celle de barboter dans la vase d’un pessimisme du dernier chic que vous nommez superbement : "une pléthore de sentiments néfastes". Cela fait du bien de lire cela. Ce faisant vous êtes proches de Camus - dont le destin fut propulsé par un professeur - qui disait que savoir nommer correctement les choses est la première des lucidités. Toute vocation est un choix de vie autant qu’une option éthique. Vous le savez déjà, et cela écarte d’emblée les caillasses idéologiques de votre futur parcours tout en gagnant du temps. Vous évoquez le monde numérique, qui n’est pas une sinécure ; et comme je vous comprends, moi le fossile qui y est rétif. Cependant vous misez sur votre capacité d’adaptation aux changements s’il est porteur d’un vrai progrès. Voilà qui me rappelle John Kennedy disant il y a 60 ans déjà : "Je n’ai pas peur des responsabilités, au contraire, je les accueille favorablement." La maturité, c’est cela. À votre âge, j’avais le tiers de la vôtre. Je vous admire.
Vous entendez garder, écrivez-vous, un esprit critique face à la quantité affolante d’informations et la difficulté de discerner le vrai du faux, comme on cherche de l’or dans un fleuve de boue. Permettez ce simple conseil : laisser souffler vos smartphones, et ouvrez toujours davantage les livres. Vous préserverez ainsi la qualité de votre nerf optique autant que celle de votre cerveau. Appliquez aussi la recette du… commissaire Maigret. Son créateur, Simenon, disait de lui que plus il croit posséder la vérité, plus il enquête. Ainsi, il n’y aura pas de Trump parmi votre cénacle. D’avance, merci !
Enfin vous misez sur l’altruisme. Matthieu Ricard explique bien que l’empathie envers autrui réduit fortement nos pulsions les plus nocives au bénéfice de l’intérêt général, donc de l’harmonie sociale. J’aimerais y croire : "concilier le pessimisme de l’esprit avec l’optimisme de la volonté", disait Gramsci. Essayez donc. Moi, je suis un vieux fœtus désabusé qui aurait dû naître bien plus tard. Voire même être parmi vous : cela m’aurait plu. Bon vent à tous !