Quand des seiches réussissent le test du marshmallow

Mis au point à Stanford par le psychologue Walter Mischel en 1972, ce test a pour but d’étudier le contrôle de soi chez les enfants via le principe de gratification différée.

Contribution externe
Quand des seiches réussissent le test du marshmallow
©Dehaes

Une opinion de David Bertrand, Professeur de psychologie à la Haute Ecole Vinci.

Les seiches, les poulpes et les calmars sont des mollusques faisant partie de la classe des céphalopodes. Depuis plusieurs années, des biologistes scrutent à la loupe leur comportement et font des découvertes étonnantes. Les poulpes sont les animaux qui ont été les plus étudiés, leur intelligence pouvant même surpasser celle de certains mammifères. Ils sont capables d’ouvrir sans difficulté le couvercle d’un bocal pour s’emparer d’un crabe coincé à l’intérieur. Dans les fonds marins, ils peuvent transporter une coque de noix de coco sur de longues distances pour s’y abriter en cas de besoin. Il a même été observé qu’ils pouvaient se protéger des attaques de requins en se confectionnant une armure de coquillages, comme le met en image le remarquable documentaire La Sagesse de la pieuvre sorti récemment sur Netflix.

Contrôle de soi

Il semble que les seiches n’aient rien à envier à leurs cousins. Une étude publiée récemment dans la revue Proceedings of the national Academy of Sciences a montré qu’elles étaient capables de réussir un des tests les plus célèbres de la psychologie : le test du marshmallow. Mis au point à Stanford par le psychologue Walter Mischel en 1972, ce test a pour but d’étudier le contrôle de soi chez les enfants via le principe de gratification différée. Son déroulement est le suivant : on demande à un enfant de se rendre dans une pièce et de s’asseoir à une table sur laquelle a été déposé un marshmallow, une guimauve particulièrement appétissante pour des enfants américains. Une fois que l’enfant est assis avec la friandise en face de lui, l’expérimentateur lui fait savoir qu’il doit s’absenter. Deux choix s’offrent alors à l’enfant : soit il peut manger la friandise tout de suite, soit il peut attendre que l’expérimentateur revienne 15 minutes plus tard, ce qui lui permet d’en obtenir une deuxième.

Les observations menées pendant ces 15 minutes d’attente se sont révélées aussi intéressantes qu’amusantes. Certains enfants décident de manger la friandise sans attendre. D’autres attendent quelques minutes et adoptent toutes les stratégies possibles pour ne pas se laisser tenter, puis finissent par céder. D’autres enfin se montrent capables de patienter jusqu’à ce que l’adulte revienne dans la pièce afin de se délecter des deux friandises. Menée de manière longitudinale sur une trentaine d’années, cette étude a permis de montrer que les enfants qui faisaient preuve de davantage d’autocontrôle avaient en moyenne tendance à mieux réussir leur vie, que ce soit au niveau scolaire, professionnel ou personnel.

Jusqu’à il y a peu, on pensait que seuls les humains en étaient capables. Il était admis que les animaux étaient dirigés avant tout par leur instinct et qu’ils étaient incapables de résister à la tentation que constitue une source de nourriture. Mais, ces dernières années, les résultats du test du marshmallow mené sur différentes espèces telles que le chimpanzé, le corbeau, le chien ou encore le perroquet ont démontré que ce n’était pas le cas. Plusieurs animaux se sont même montrés capables de mieux réussir ce test que certains êtres humains.

Facteur de survie

Dans la nature, de nombreux exemples montrent que le fait d’apprendre à attendre le bon moment pour accéder à de la nourriture et le fait de prévoir l’avenir sont des facteurs de survie importants. Par exemple, un tigre qui se précipite sur un cerf sans prendre le temps d’élaborer une stratégie de chasse n’a aucune chance de l’attraper. En Amérique du Nord, les écureuils gris cachent des milliers de noix et de graines en prévision de l’hiver. Dans les forêts de Tanzanie, certains chimpanzés peuvent passer du temps à chercher une pierre adéquate pour ensuite la transporter jusqu’à un endroit idéal afin de casser les noix les plus dures. En 1997, dans un zoo suédois, on a même pu observer un chimpanzé mâle qui rassemblait des pierres et des débris dans la matinée pour pouvoir les jeter sur les visiteurs l’après-midi, lorsque ceux-ci affluaient en nombre. Pour les éthologues, il ne fait aucun doute que ce chimpanzé préméditait son acte et qu’il se projetait dans le futur. Il n’est donc plus possible aujourd’hui de nier la présence de ces facultés cognitives chez les animaux.

C’est ce qu’a démontré une nouvelle fois cette expérience menée de façon inattendue avec des seiches. Une recherche récente avait déjà montré que les seiches étaient capables d’anticiper un futur repas. Mais, avec ses collègues, Alexandra Schnell, chercheuse au département de psychologie de l’Université de Cambridge aux États-Unis, a réussi à démontrer qu’il était possible d’adapter le test du marshmallow à ces animaux aussi étranges que fascinants. Bien évidemment, pour une seiche, un marshmallow n’a rien d’appétissant. Par contre, elle raffole de certains types de crevettes. Six individus ont dès lors été confrontés à une version adaptée du test. Ils se sont montrés capables d’attendre entre 50 et 130 secondes afin de recevoir leur crevette préférée plutôt que de consommer immédiatement une crevette qu’ils apprécient moins. D’autre part, les individus qui attendaient plus longtemps étaient aussi ceux qui avaient de meilleures capacités d’apprentissage, démontrant au passage qu’il existe également des différences individuelles chez les céphalopodes.

Contre-intuitif

Cette aptitude à s’autocontrôler serait liée à des facultés cognitives et des capacités d’apprentissage développées. D’autre part, les espèces qui vivent plus longtemps, qui ont un métabolisme plus lent et qui sont sociales sont généralement capables de tolérer des délais d’attente plus longs que les autres. Mais la seiche est un invertébré qui a un métabolisme rapide, qui ne vit pas longtemps et qui n’est pas très social. A priori, elle ne représente donc pas un candidat idéal pour ce type de test. Par contre, dans son milieu naturel, elle explore son environnement pour pouvoir localiser et attraper ses proies, mais elle est également capable de se montrer inactive et de se camoufler pendant de longs moments. Cette capacité se révèle alors payante pour augmenter la probabilité d’attraper une proie et constitue un avantage pour survivre en milieu marin. Patienter, se contrôler et se projeter dans l’avenir sont donc des compétences particulièrement importantes, que l’on soit un être humain, un chimpanzé ou une seiche. Reste à savoir à présent si, comme chez les humains, les seiches qui font preuve de self-control "réussissent" mieux leur vie que leurs congénères impatients.

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