En ville, entendrons-nous encore le chant des oiseaux ?

Avec le bruit, certains oiseaux des villes ont été contraints de s’égosiller pour se faire comprendre de leurs semblables. Leur chant a mué à tel point que les urbains n’avaient plus la même octave que leurs cousins des champs.

En ville, entendrons-nous encore le chant des oiseaux ?
©DR

Une chronique de Francis Van de Woestyne.

Le silence est rare. Donc précieux. Goûter le silence, c’est se réfugier en soi, non pour s’isoler du monde mais pour y trouver un ressourcement, une paix, une énergie nouvelle. Comme il est rare de jouir encore de la plénitude d’une nuit noire, parce que, partout, dans nos villes mais aussi nos campagnes, il y a toujours une lumière artificielle qui donne à la Terre cette image de lampion allumé, il est rare aussi de ne percevoir aucun son, d’obtenir un silence absolu, infini, que rien ne vient troubler. Fût-ce quelques secondes. Il y a toujours un moteur, un klaxon intempestif, un brouhaha venu de nulle part qui vient vous distraire, vous extraire du moment que vous recherchez : celui où l’on n’entend plus que son cœur battre. Parfois, on aimerait que les oreilles puissent, comme les yeux, se fermer pour échapper aux sons criards. Pourquoi, cher créateur, ne pas avoir prévu cette option ? Ce serait bien utile, parfois.

Si le silence est d’or, c’est aussi parce qu’il peut être rompu de la meilleure façon qui soit. Par le rire d’un enfant, la parole d’un ami, les confidences d’une amie, par la symphonie d’une vague, les claquettes des gouttes de pluie, le pas dans une neige fraîche. Ou encore par une voix qui vous retient : celle, chaude, profonde d’Édouard Baer, sur France Inter, ou celle captivante, troublante de Diane Marois, l’après-midi, sur la Première (RTBF) : suivre son feel est un régal.

Que dire de la musique ? Les joies que nos oreilles nous transmettent sont innombrables, infinies, colorées, joyeuses ou tristes. On peut se pâmer à l’écoute du prélude en do majeur de Bach, d’un impromptu de Schubert, du répertoire de Ludovico Einaudi, des musiques célestes de Johan Johansson ou d’Arvo Pärt. Pour d’autres, la joie sera d’entendre Brel, Ferré, Barbara, Dutronc, Bashung, Clara Luciani. Ou alors du plus lourd, Queen, Led Zeppelin, Deep Purple. Ces goûts ne sont pas exclusifs. On peut aimer, à certains moments, le léger, le classique et à d’autres, le rock ou le hard.

Bref. On peut adorer le silence et aimer qu’il soit brisé par des soupirs ou des notes de musiques. Car le silence n’est pas la mort. Et la mort n’est pas l’absence.

Des oiseaux contraints de s’égosiller

Mais il est des silences angoissants, surtout peut-être pour celles et ceux qui ont grandi à la campagne. Je veux parler du silence des oiseaux. Se tairont-ils un jour ? La perte de biodiversité pourrait le faire craindre.

Avant le confinement, à Barcelone, les observateurs avaient remarqué que les oiseaux chantaient de plus en plus tard, dans les villes, attendant que les voitures aient terminé leur transhumance matinale. Car aux heures d’encombrement, les oiseaux ne parvenaient plus à se faire entendre et à communiquer entre eux. Dès lors, les oiseaux des villes étaient contraints de s’égosiller pour se faire comprendre de leurs semblables. Leur chant avait mué à tel point que les urbains n’avaient plus la même octave que leurs cousins des champs. Depuis un an, l’institut catalan d’ornithologie a observé que les oiseaux recommençaient à chanter plus tôt dans les villes profitant d’une baisse du trafic. À Los Angeles, les ornithologues ont constaté que, lors du premier confinement, le bruant à couronne blanche s’était remis à chanter plus doucement, avec des notes plus graves. Son chant est, paraît-il, redevenu plus "sexy" et le dragueur séduit plus de femelles qu’avant. Le ramage est donc plus important que le plumage…

Et chez nous ? Le paysage sonore a aussi évolué. Si les cigognes blanches et les faucons pèlerins sont revenus dans nos contrées, l’association Natagora a constaté que les alouettes et les moineaux se faisaient plus rares, victimes des modifications de l’environnement.

Lorsque nous aurons vaincu le Covid - nous l’avons déjà dit dans une précédente chronique -, c’est de nos frères et sœurs qui meurent sous le joug de dictateurs qu’il faudra d’urgence se préoccuper. L’autre urgence, même si elle peut paraître secondaire aux yeux de certains humains, sera de sauver ce qui peut encore l’être de la biodiversité. En réalité, il est déjà trop tard. Par son mode de vie et le réchauffement climatique qu’il entraîne, l’homme menace directement un tiers des espèces animales et végétales. Il y a donc beaucoup moins d’insectes et moins de nourriture pour les oiseaux. Ainsi, le paysage sonore s’appauvrit. Si le silence est d’or, le chant des oiseaux est un trésor.

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