La reconstruction post-Covid doit reposer sur la justice fiscale

La Coalition Corona, large plate-forme d’organisations belges de la société civile, appelle la Belgique et l’Union européenne à faire reposer la reconstruction post-Covid sur la justice fiscale et la lutte contre l’évasion fiscale, afin de réduire les inégalités et mobiliser des recettes suffisantes pour financer la transition écologique et sociale. Des opportunités historiques sont à saisir dans les prochains mois.

Contribution externe
La reconstruction post-Covid doit reposer sur la justice fiscale
©Flemal

La crise du coronavirus a pour effet de creuser les déficits publics et d’augmenter les inégalités sociales, alors que la transition écologique et sociale nécessite des investissements conséquents dans les prochaines années. Le retour de l’austérité aurait, comme ce fut le cas après la crise de 2008, des conséquences économiques, sociales et environnementales néfastes. La justice fiscale, en garantissant que chaque catégorie de revenu contribue à sa juste part, permettrait au contraire de réduire les inégalités et de mobiliser les moyens nécessaires pour financer un Green New Deal. C’est pourquoi la reconstruction post-Covid doit reposer sur la justice fiscale et la lutte contre l’évasion fiscale.

Dans ce but, des réformes fiscales doivent être adoptées en Belgique, dans l’Union européenne et à l’échelle mondiale. Or des opportunités concrètes sont à saisir dans les prochaines semaines et les prochains mois. Dans l’accord du gouvernement Vivaldi de septembre 2020, la Belgique s’est engagée à jouer un rôle "constructif et proactif" dans les négociations internationales. Traduit en langage commun, ceci signifie que la Belgique s’engage à contribuer à faire avancer les choses positivement, et même à prendre des initiatives. Elle doit désormais passer des paroles aux actes en contribuant à concrétiser des réformes ambitieuses aux niveaux national et international.

La taxation des multinationales

Au niveau international, le plan fiscal proposé à l’OCDE par l’Administration Biden a relancé les discussions pour enrayer la course au moins-disant fiscal et les stratégies qui permettent aux firmes transnationales de transférer leurs profits dans des paradis fiscaux. L’enjeu consiste à instaurer un taux d’impôt minimum mondial sur les profits des multinationales, ainsi qu’une taxation unitaire de ces profits répartis dans les pays où les activités ont lieu. Le G7 propose d’instaurer un taux minimum mondial d’au moins 15% et de mieux répartir les droits d’imposition sur au moins 20% des bénéfices dépassant une marge de 10% pour les 100 multinationales les plus grandes et les plus rentables. Pour être suffisamment efficace, la réforme devrait appliquer un taux minimum plus élevé et concerner les bénéfices de davantage de multinationales.

La Belgique devrait soutenir un taux minimum effectif proche de la moyenne mondiale, pour mettre fin aux paradis fiscaux et à l’évasion fiscale. Selon les estimations du Tax Justice Network, un taux minimum de 21% permettrait aux Etats de récupérer chaque année 540 milliards de dollars, dont 8,2 milliards (7 milliards d’euros) pour la Belgique, contre 275 milliards pour un taux de 15%. La taxation unitaire devrait quant à elle viser l’ensemble des profits de toutes les multinationales, plutôt que les profits résiduels d’une centaine de firmes. Le gouvernement belge doit œuvrer dans ce sens au sein de l’Union européenne pour saisir l’opportunité d’adopter dès cet été une réforme ambitieuse du système international de taxation des multinationales au sein du cadre inclusif de l’OCDE.

La fiscalité européenne

Au niveau de l’Union européenne, le financement du plan post-Covid « Next Generation » nécessite de mobiliser des ressources européennes propres pour ne plus dépendre des contributions des Etats membres. Le Parlement européen a proposé plusieurs sources de recettes propres, dont une taxe sur les transactions financières (TTF) pour le 1er janvier 2024. Après avoir fait l’objet d’une proposition concrète par la Commission il y a une dizaine d’années, la TTF a en effet été remis sur la table des 27 États membres le 24 février dernier par la présidence portugaise de l’Union européenne. Toutefois, le texte en discussion constitue un affaiblissement inacceptable de la proposition initiale. Il s’inspire en effet de la taxe française sur les achats d’action au comptant et exclut donc la majorité des transactions financières. Un tel projet, qui ne permettrait de mobiliser au mieux que quelques milliards d’euros annuels plutôt que la cinquantaine de milliards escomptée par le projet initial, échouerait à mobiliser des recettes suffisantes pour la reconstruction post-Covid. La Belgique doit au contraire défendre une taxe uniforme sur toutes les transactions financières.

Un système fiscal belge plus juste

Enfin, au niveau belge, l’injustice fiscale concerne en particulier la différence entre la taxation des revenus du travail et celle plus faible du capital, le manque de progressivité de l’impôt sur les personnes physiques et la multiplication des niches fiscales et des stratégies d’optimisation qui permettent aux firmes transnationales de payer un taux effectif d’impôt des sociétés moins élevé que les PME.

L’accord du gouvernement Vivaldi prévoit la préparation d’une réforme fiscale durant cette législature. Cette réforme devrait viser en priorité la taxation équitable de tous les types de revenus des personnes physiques, en les imposant de manière plus progressive et en exonérant les plus bas revenus. Elle devrait intégrer un impôt progressif sur les revenus du patrimoine et un taux effectif minimum d’impôt des sociétés. Il est également urgent de renforcer les moyens de la justice contre la criminalité financière et de recruter des inspecteurs supplémentaires au SPF Finances pour renforcer les contrôles et lutter contre la fraude fiscale.

La justice fiscale permettrait à la fois d’enrayer les inégalités exacerbées par la pandémie et de mobiliser des recettes supplémentaires pour financer les investissements dans la santé, l’emploi, la protection sociale et le climat. Dans son plan anti-crise présenté en avril dernier, le FMI propose ainsi d’augmenter les impôts des plus riches et des entreprises qui ont fait de substantiels bénéfices pendant la pandémie, afin de soutenir les plus vulnérables. Il ne s’agit pas de taxer plus, mais de taxer de manière plus juste, en fonction des capacités de chacun. C’est ce principe de justice fiscale qui doit guider l’action du gouvernement Vivaldi en Belgique, dans l’Union européenne et à l’OCDE.

Signataires : Bernard Bayot, directeur de Financité ; Thierry Bodson, président de la FGTB ; Xavier Brenez, directeur général des Mutualités Libres ; Elisabeth Degryse, vice-présidente de la Mutualité Chrétienne ; Valérie Del Ré, directrice de Greenpeace ; Ariane Estenne, présidente du MOC ; Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris ; Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté ; Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC ; Olivier Valentin, secrétaire national de la CGSLB ; Caroline Van der Hoeven, coordinatrice du Réseau belge de lutte contre la pauvreté ; Nicolas Van Nuffel, président de la Coalition Climat ; Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11.

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