Questions du CE1D: jusqu’où sommes-nous prêts à supporter ce nivellement par le bas ?
Quelle déconvenue devant la simplicité des questions d’Excellence proposées par le CE1D de sciences aux élèves afin de passer en 3° secondaire. Quelle tartufferie! "Faire réussir" tout le monde n'est pas sans conséquences. Notre enseignement public s’effondre en silence. Les élèves en difficulté le seront davantage.
Publié le 21-06-2021 à 15h09 - Mis à jour le 23-06-2021 à 09h33
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Par Nathalie de Schoutheete de Tervarent, professeur de sciences au Sacré-Cœur de Lindthout
La France se morfond de voir le niveau de ses élèves s’écrouler depuis que "tout le monde réussit son bac". La Belgique, quant à elle, se réjouit de voir que la plupart de ses élèves réussissent le CE1D …. Oui mais, à quel prix ?
Depuis plusieurs années maintenant, nos ministres ont embarqué les professeurs et directeurs d’écoles dans un plan de pilotage lié à leur fameux Pacte d’Excellence.
Avec lui viennent les CE1D fournissant le certificat d’étude de fin du premier cycle de l’enseignement secondaire de la communauté française. Ces examens sont donc proposés par l’Etat aux adolescents au terme de leur seconde année dans l’enseignement secondaire francophone.
Où les ministres de l’enseignement francophone fixent-ils la barre de l’Excellence qui permet à un enfant de généralement 13 à 14 ans de "passer" en 3° secondaire ?
Quand on me parle d’Excellence, je pense à de nombreuses valeurs telles que la perfection, l’honneur, la supériorité, le goût pour la qualité ….. Dès lors, pour que nos jeunes puissent atteindre l’Excellence préconisée par nos politiciens, il me semble nécessaire de leur donner l’envie de se dépasser, de se cultiver et d’apprendre un maximum de choses, et ce afin d’avoir la possibilité de devenir les meilleurs, de briller, de se surclasser.
Quelle ne fut pas ma déconvenue en découvrant ce jeudi ce qui aurait dû être des questions d’Excellence proposées par le CE1D de sciences aux élèves de seconde année.
Voici en quelques lignes sur le contenu de l’épreuve.
Dès le début, on est dans le bain …. La première page rappelle aux enfants des consignes évidentes, ce que signifient les verbes démontrer, expliquer et justifier et le fait qu’une réponse doit reprendre des éléments de l’énoncé de la question.
Quel manque de confiance dans les enseignants.
Les rédacteurs du CE1D estiment-ils donc que les professeurs n’auraient même pas, en deux ans de formation, expliqué ces termes à leurs étudiants ? Ou encore, l’appareil institutionnel sous entendrait-il que certaines bases, de primaire soyons honnêtes, ne sont pas acquises par les jeunes adolescents ?
Ensuite viennent les 14 questions de l’examen (la 15ième ayant été annulée par suite d’une fuite sur les réseaux sociaux).
Aucune question de l’épreuve ne fait réellement appel à de la mémorisation, à de la matière théorique ou à du vocabulaire scientifique spécifique étudiés pendant deux années à raison de trois heures par semaine.
Celles-ci sont plutôt axées sur un genre d’exercice de lecture à caractère légèrement scientifique (questions 1 et 7) au terme duquel sont posées une série de courtes questions dont les réponses sont souvent prémâchées. Les enfants sont rarement amenés à rédiger une réflexion sous forme de texte structuré, compétence importante à peine évaluée au cours de l’épreuve.
Comme si cela n’était pas suffisant, certaines questions (comme la 3 : schéma simplifié d’une circulation à présenter de manière encore moins scientifique que celui donné initialement) sont tellement simples ou basiques que des enfants y ont cherché un piège qui n’existait pas !
En outre les documents proposés pour analyse et réflexion (question 1 sur les cycles alimentaires, questions 2 sur les isolants et conducteurs électriques, question 5 sur l’occupation d’un territoire pas des animaux, question 9 sur la reproduction chez les abeilles), sont simplifiés à l’excès et réduits à quelques phrases ou tableaux basiques faisant peu appel au vocabulaire scientifique étudié en classe.
Les textes parlent de "un peu" et "beaucoup" plutôt que de "croissant" ou "décroissant", "d’animaux qui se nourrissent d’herbe" plutôt que "d’herbivores" etc…
Quel dommage, dans un enseignement d’Excellence, de simplifier à souhait le riche vocabulaire de notre belle langue française.
Je ne vous parlerai pas ici des questions 6 et 8 qui sont d’une bêtise consternante et vous laisserai aussi la surprise de découvrir la question 15 sur la reproduction chez les grenouilles où la présentation de l’expérience 3 est particulièrement savoureuse et où les questions posées sont probablement à la hauteur de l’Excellence de leurs rédacteurs.
Les questionnaires seront je suppose accessibles très bientôt sur les sites de la communauté française.
Des élèves frustrés et déçus
Au terme de l’examen, j’ai discuté avec des élèves puis des parents. Voici ce qui ressort principalement de nos échanges. Des élèves ont été frustrés et estiment que les adultes qui ont rédigés ces questions les prennent pour des idiots ou des bébés.
Des élèves ont été surpris par la facilité de certaines questions au point de se demander si c’était possible et s’ils devaient y chercher des pièges.
Des élèves, et je reprends leurs termes, râlaient d’avoir perdu du temps à étudier juste pour ça.
Des élèves : les plus forts, les consciencieux, les travailleurs ont été déçus de ne même pas avoir l’occasion de montrer leur potentiel à travers cette épreuve … impossible pour eux de manifester leur Excellence !
Des parents s’offusquent d’être trompés. On leur laisse croire que si leur enfant réussit (et 50% suffisent) l’épreuve, il sera capable d’aborder sereinement le cours de l’année suivante. Il n’en est rien. La réussite d’un examen de ce niveau ne garantit en rien la capacité à suivre le cours de sciences en troisième.
Voyant la facilité de l’épreuve de CE1D, quel enfant aura encore envie de s’investir dans une étude sérieuse et rigoureuse de son cours de sciences durant les deux années qui précèdent l’examen ?
Ce type d’épreuve n’a certainement pas pour effet de pousser nos jeunes à se dépasser.
Elle ne lance aucun défi sérieux et à ce titre ne prépare certainement pas nos jeunes à se lancer dans un monde où tout se complique.
Au contraire…. Il faut leur apporter (j’ai envie de dire leur offrir) des connaissances, de la culture générale, un esprit critique, une bonne mémoire et du savoir si on souhaite qu’ils évoluent positivement dans notre monde qui mute à la vitesse grand V.
D’autre part, si nos jeunes n’ont plus la soif d’apprendre, "Qui" transmettra les savoirs à la génération suivante ? "Qui" seront nos professeurs de demain ?
Volonté de "faire réussir" tout le monde
Je pense qu’il y a un désir manifeste chez nos dirigeants de "faire réussir" tout le monde sous prétexte d’offrir une égalité des chances à tous.
Mais que signifie cette idée d’égalité des chances ?
Quel est finalement le vrai prétexte qui pousse les politiciens à supprimer l’idée même d’échec scolaire ?
Si tous doivent réussir … cela implique inévitablement une baisse du niveau des exigences.
Jusqu’où sommes-nous prêts à supporter ce nivellement par le bas ? A quel prix et avec quelles conséquences ?
Et si tous réussissent …. Cela implique qu’aucun parent ne viendra plus se plaindre de "l’échec de son petit" et peut-être y a-t-il un risque que ces mêmes parents ne prennent dès lors plus la peine de s’impliquer dans la scolarité de leur enfants … de toute manière il va réussir.
Si tous réussissent …. pas de doubleur …. l’état fera des économies … mais à bien brève échéance.
Pensant que leur diplôme les prépare convenablement à l’enseignement supérieur, de nombreux jeunes commencent des études universitaires et échouent, se rendant compte alors que l’école ne leur avait pas donné les compétences essentielles à acquérir pour poursuivre leur éducation à ce niveau.
Maintenir en apparence des examens scolaires qui offrent des diplômes n’exigeant que peu de connaissances met, selon moi, notre système éducatif en danger.
Le niveau de notre enseignement public s’effondre en silence mais l’effondrement est bien réel.
F.X. Bellamy parle dans un article du naufrage de l’enseignement primaire et secondaire (en France) et écrit : "Comment les jeunes, privés des moyens d’accomplir leurs talents par des connaissances essentielles, pourraient-ils ne pas en vouloir aux institutions qui leur ont menti ?"
En Belgique, cet effondrement va, me semble-t-il, inévitablement encourager la création d’écoles privées prêtes à prodiguer un enseignement plus exigeant, plus performant, plus difficile et donc de meilleure qualité où certains enfants pourront développer et travailler leur excellence.
Ces écoles ne seront évidemment pas accessibles à tous …. Où est l’égalité des chances ?
Ce qui me semble assez clair, c’est que dans la situation actuelle, les "bons" resteront "bons" et s’en sortiront quoi qu’il arrive alors que les "médiocres", encouragés à paresser et trompés sur leurs capacités intellectuelles qu’ils devraient développer à l’école, deviendront très probablement de plus en plus médiocres.
Je suis professeure... empêchée
Je souhaite pouvoir transmettre mes savoirs et mes aptitudes aux jeunes, sans être constamment empêchée …. Empêchée de les aider à prendre conscience de leurs difficultés.
Empêchée de les "secouer" pour les amener à analyser leurs échecs et les inciter à travailler pour s’améliorer.
Empêchée de les aider, sous prétexte de ne pas les blesser ou de ne pas contrarier leurs parents.
Oui certains échoueront dans l’enseignement classique, mais ils ne seront pas trompés sur leur niveau scolaire et les enseignants les aideront à trouver la voie la meilleure pour eux, celle qui leur convient vraiment. Ce sera sur un chemin différent, mais est-ce là un réel problème ? Ne sommes-nous pas par définition, tous différents les uns des autres ? A mon avis c’est aussi ce qui fait notre richesse et notre intéressante diversité.
Une tartufferie dont les enfants sont les principales victimes
En tant que professeur, je dénonce et refuse la médiocrité. Je refuse de laisser nos politiciens entretenir cette nonchalance intellectuelle chez nos jeunes.
Je refuse d’envoyer nos jeunes au "casse-pipe" à l’université en leur faisant miroiter qu’ils font à l’école des études qui leur assurent une réussite en haute école et plus tard une réussite évidente dans leur vie professionnelle.
Je ne veux plus de cet enseignement où les exigences semblent officiellement grandes mais où les évaluations exigent un "si petit minimum" de connaissances.
Je me sens actuellement l’acteur d’une vaste tartufferie dont les enfants sont, à leur insu, les principales et premières victimes.