Les chantres de l’isolement prolongé prônent les vertus de la séquestration protectrice. Quelle horreur !
Attention, il ne s’agit pas ici de plaider pour le non-respect des règles sanitaires. Bien au contraire. Il est impérieux, ici et maintenant, de les respecter tant que le virus n’a pas desserré son étau. Mais demain, il serait insupportable de continuer à vivre sans contact.
Publié le 31-07-2021 à 16h30
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Une chronique de Francis Van de Woestyne, journaliste.
"Pour être heureux, il faut éliminer deux choses : la peur d’un mal futur et le souvenir d’un mal passé.” (Sénèque) Dans quelques années, des historiens étudieront la manière dont les habitants de la planète Terre ont vécu ces années 2020 et 2021 (2022 peut-être aussi…), prisonniers d’un virus né à la fin de 2019. Le constat sera sans doute cinglant : hormis certains pays d’Asie du Sud Est, les nations n’étaient pas préparées à une pandémie, ne disposaient pas en suffisance du matériel de protection de base pour freiner la propagation du virus. Les États n’étaient pas prêts. La population non plus. Les Occidentaux vivaient les uns contre les autres. Leurs gestes étaient amicaux : serrer la main, donner des accolades, plonger dans les bras de l’autre pour dire leur amitié. Au fil des ans, les hommes avaient joyeusement adopté la bise et avaient pris pour habitude, quel que soit leur rang – voyez Emmanuel Macron avec les autres chefs d’État – de s’embrasser simplement, timidement, sobrement, virilement, pour signifier le plaisir de se croiser, de se voir, de se parler. Quitte, par la suite, à se fâcher.
Unanimes, les experts ont tôt fait de désigner ces comportements comme responsables de la propagation rapide du virus. Et la distanciation sociale, cet horrible oxymore (figure de style qui consiste à allier deux mots de sens contradictoire) s’est imposée à tel point que les plus tactiles d’entre nous ont dû se résigner à se méfier de leur penchant naturel à aller vers les autres. Personne ne conteste que ce recul a sauvé des vies. Mais ce faisant, ces gestes barrières ont aussi, l’air de rien, posé des distances entre les êtres. Entre les amis. Entre les humains. Et entre les continents.
Ainsi, insidieusement, les prophètes du repli sur soi, du souverainisme, ceux qui estimaient que l’on peut vivre aisément avec un peu moins de liberté, ont subrepticement propagé l’idée du distancialisme, cette théorie qui voudrait que pour être heureux et heureuse, il faudrait désormais maintenir des distances, même après quand nous aurons vaincu ce virus. Il s’agirait, selon les chantres de l’isolement prolongé, de prôner les vertus de la séquestration protectrice. Mais quelle horreur ! Alors que peut-être, en plus de l’indispensable vaccin, l’aération des maisons dans lesquelles nous vivons, des locaux dans lesquelles nous travaillons, a des effets bien plus protecteurs que l’éloignement physique des gens.
Attention, il ne s’agit pas ici de plaider pour le non-respect des règles sanitaires. Bien au contraire. Jamais. Il est impérieux, ici et maintenant, de les respecter tant que le virus n’a pas desserré son étau. C’est une question de respect à l’égard des autres mais aussi du personnel soignant, épuisé après des mois de lutte.
Ce virus, ce poison, nous aura quand même offert un cadeau : désormais, nous connaissons mieux la valeur qu’avaient, qu’ont, qu’auront les contacts humains, ces gestes qui permettent de dire avec les mains et les bras ce que les yeux et les cœurs suggèrent. Ces élans ne sont pas limités à la sphère privée. Être généreux ici, c’est aussi être solidaire avec nos frères et sœurs des pays lointains, ceux et celles qui ont souffert bien plus que nous des affres de cette pandémie.
S’il est, dans nos vies, des modes “sans contact” qu’il sera intéressant de conserver (les payements sans contact, le télétravail, certains jours), il serait insupportable de continuer à vivre sans contact, de dire nos sentiments à travers des écrans, de partager des apéros via zoom, d’assister à des événements heureux ou malheureux sans pouvoir partager physiquement la joie ou la peine.
Il faut, plus que jamais, croire en l’avenir. La recherche médicale a démontré ses prodigieuses capacités à développer des sérums efficaces en un temps record. Il faut se préparer dès maintenant, non pas à vivre à petit feu, mais à croquer la vie comme jamais. Le même Sénèque a dit, aussi : “Hâte-toi de bien vivre et songe que chaque jour est à lui seul, une vie”.