J’étais loin d’imaginer que mon tortionnaire serait un jour "élu" à la présidence de l'Iran

Le nouveau président iranien a incarné la brutalité du régime totalitaire depuis ses débuts. Ebrahim Raïssi a été l’assassin de mon frère, de mon mari et mon propre tortionnaire, alors qu’il était un jeune procureur. L'impunité dont joui Raïssi perpétue une culture mortifère dans un pays qui détient le record mondial d’exécution par tête d’habitant.

Contribution externe
J’étais loin d’imaginer que mon tortionnaire serait un jour "élu" à la présidence de l'Iran
©AFP

Une carte blanche de Farideh Goudarzi, militante iranienne des droits des femmes et ancienne prisonnière politique(*).

J’ai vu Raïssi la première fois lors de mon interrogatoire, immédiatement après mon arrestation. Je me souviens de son regard glaçant qui avait pétrifié mon être, alors que les tortionnaires ordonnaient de m’étendre sur une table de torture. Je ne connaissais pas son nom, mais il m’avait semblé détenir une position d’autorité parmi la demi-douzaine d'individus présents à cette sinistre occasion. Plus tard, lorsque je l’ai rencontré à d’autres occasions, j’ai appris par mes codétenues qu’il était le procureur de Hamedan, un certain Ebrahim Raïssi. J’étais loin d’imaginer que ce tortionnaire serait "élu" un jour à la présidence de la théocratie qui sévit dans mon pays.

C’est Ali Khamenei, le Guide suprême religieux à la tête du pouvoir iranien, qui a préparé le terrain pour son ascension à la présidence, après avoir écarté de la course électorale tous les candidats qui auraient pu menacer le succès de son favori. Le dictateur iranien cherche ainsi à consolider son régime, gravement menacé de l’intérieur par le mécontentement d’une société en ébullition. Face aux révoltes récurrentes contre la vie chère et la mauvaise gestion des crises économiques et environnementales, Raïssi est pour le Guide suprême l’homme de la situation. Il aura la tâche d’étouffer toute velléité de changement de régime.

De bien mauvais souvenirs

Son ascension a réveillé en moi et d’autres rescapés de la dictature, de bien mauvais souvenirs. Au moment de mon arrestation, j’avais 20 ans et j’étais enceinte. Mon état de santé et les dangers pour l’enfant à naître n’ont pas empêché mes tortionnaires de commencer leur sévices immédiatement après mon arrestation. Les séances de torture se tenaient dans une pièce lugubre de trois mètres sur quatre, avec un lit en fer au milieu et une variété de câbles électriques pour frapper le détenu à la plante des pieds, une des pires tortures subies par les prisonniers.

Mes tortionnaires voulaient que je collabore avec le régime et que je dénonce mes amis avec qui j’avais milité pour la défense des libertés. Nous dénoncions, avec la distribution de la littérature et des manifestations clandestines, l’emprise des intégristes qui dévoyaient les acquis démocratiques de la grande révolution de 1979 qui avait renversé la monarchie des Pahlavis. Raïssi était à la tête de la répression des militants de la résistance à Hamedan et ne manquait aucune séance d’interrogatoire.

Mon mari, Behzad Afsahi, arrêté quelques jours avant moi en juillet 1983, a subi onze mois de tortures et de violences psychologiques, qui l’ont fait basculer dans la folie, avant d’être exécuté dans la cour du tribunal de Hamedan. Selon le règlement du régime, le directeur de prison, le juge islamique et le procureur doivent assister à l’application des peines capitales. C’est à ce titre que Ebrahim Raïssi a participé à la pendaison avec une grue, de mon mari et de quatre autres prisonniers innocents.

Un bourreau zélé récompensé

Récompensé pour son zèle dans l’éradication de l’opposition, le bourreau a gravi les échelons de l’appareil judiciaire du pouvoir islamiste. En 1988, il s’est vu confié une mission macabre : mettre en œuvre une fatwa édictée par Rouhollah Khomeiny, fondateur du régime islamiste, pour purger les prisons iraniennes des membres de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI). L’édit religieux préconisait la solution finale et taxait les prisonniers de la principale force de l’opposition démocratique de Mohareb (ennemis de Dieu) : "Il est décrété que ceux qui sont dans les prisons du pays et qui s’obstinent à soutenir les hypocrites [l’OMPI], sont en guerre contre Dieu et sont condamnés à l’exécution. La fermeté avec laquelle l’islam traite les ennemis de Dieu fait partie des principes incontestables du régime islamique. Anéantissez les ennemis de l’islam immédiatement. En ce qui concerne les dossiers, utiliser n’importe quel critère qui permette d’accélérer l’application du verdict (…)"

Quelque 30 000 prisonniers ayant refusé de renoncer à leurs convictions, sont alors envoyés devant les pelotons d’exécution ou pendus à des grues par groupe de six à douze. Mon frère, Parviz Goudarzi, a été parmi les premières victimes du massacre de 1988 à Hamedan. Il avait été arrêté le même jour que moi et condamné à vingt ans de prison.

Le massacre des prisons de 1988

Le carnage perpétré par la "commission de la mort" a duré tout l'été et les victimes furent ensevelies en secret dans des fosses communes, éparpillées à travers le pays. Les parents cherchent toujours les lieux où ont été enterrés leurs enfants. Certains charniers découverts par les familles ont été détruits par les autorités.

Agnès Callamard, la secrétaire générale d'Amnesty International a eu raison de s'indigner de l'accession d'un bourreau à la présidence : "Le fait qu'Ebrahim Raïssi ait accédé à la présidence au lieu de faire l'objet d'une enquête pour les crimes contre l'humanité que constituent les meurtres, les disparitions forcées et la torture, est un sombre rappel de l'impunité qui règne en maître en Iran. (…) Les circonstances qui entourent le sort des victimes et le lieu où leurs corps sont enterrés sont, à ce jour, systématiquement dissimulés par les autorités iraniennes, ce qui s'apparente à un crime contre l'humanité qui perdure depuis cette date."

Ces crimes ne pouvaient être commis qu’à la faveur d’un silence quasi-total sur la tragédie qui se déroulait à l’intérieur des prisons. Les militants des droits de l’homme ont tenté d’alerter les gouvernements du monde sur le drame en cours, mais ces derniers étaient trop occupés à chercher les "modérés" chimériques à l’intérieur du régime. Je dois souligner que la faction dite "réformatrice" n’a jamais remis en cause le massacre, puisque la majorité de ses leaders y ont pris une part active.

La présidence de Raïssi met fin à jamais aux illusions de modération ou de réforme dans ce régime et marque l'échec de la politique de complaisance occidentale avec le fascisme religieux. "C'est un test pour la communauté internationale pour savoir si elle va traiter avec un régime génocidaire ou si elle va se tenir aux côtés du peuple iranien", a estimé pertinemment Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la Résistance iranienne. Entretenir des relations comme à la normale avec le gouvernement Raïssi n'a plus aucune légitimité.

La Belgique et l’Union européenne doivent se tenir aux côtés du peuple iranien et son combat pour instaurer une république démocratique fondée sur des élections libres et la séparation de la religion et de l’État. Elles devraient exiger une enquête internationale sur le drame de 1988 en Iran. Ce sera un message fort en direction du Guide suprême iranien et de son président, que le temps de l’impunité est révolu.

>>> (*) Farideh Goudarzi a fui l'Iran en 2016 et réside actuellement en Europe.

>>> Titre et intertitres sont de la rédaction. Titre original : "Iran : L'insolente impunité dont jouissent Ebrahim Raïssi et son régime doit cesser"

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